jeudi 17 juillet 2014

LA COLLECTION PEARLMAN A AIX - Les débuts d'une collection (1)

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Sous-titrée, il faut bien "vendre", Cézanne et la modernité, cette exposition qui se tient au musée Granet d'Aix en Provence, dure jusqu'au 5 octobre et mérite, autant pour Pearlman que pour Cézanne, la visite. Car s'il est vrai qu'elle présente, dans la ville du peintre qui, par ailleurs, ne possède aucune oeuvre de lui, 6 peintures du maître et une très belle collection d'aquarelles aux couleurs d'une fraîcheur idéale, la visite vaut, à mon sens, pour la mise en perspective de la personnalité d'Henry Pearlman, le self-made man américain, passionné et débonnaire qui constitua entre 1945 et sa mort en 1974, la collection que nous avons la chance d'admirer à Aix. Prêtée par le Princeton University Art Museum qui l'héberge en temps normal,  la collection est d'abord passée à l'Ashmolean Museum d'Oxford (Grande-Bretagne) au printemps 2014, car la politique de la Fondation qui la détient est de la faire connaitre au plus grand nombre, selon le souhait du collectionneur lui-même. Le choix d'Aix pour accueillir ces oeuvres est, lui aussi, bien dans l'esprit de Pearlman, qui, non content d'admirer Cézanne aimait à s'imprégner des lieux où le maître avait peint. De son vivant, Aix boudait Cézanne, et le conservateur du musée Granet s'opposa même à ce qu'une de ses toiles y fut accrochée.

Les autoportraits sont rares dans l'oeuvre de Soutine (il n'en a réalisé que 3) et celui-ci révèle avec force comment l'artiste désirait être vu à l'âge de 25 ans. L'artiste, installé de façon frontale, plonge hardiment son regard dans celui du spectateur. Son maintien est fier et sa mise "bourgeoise". Pourtant, sur la gauche, une toile énigmatique, déclare son statut de peintre, offrant semble-t-il un autre autoportrait ! Une palette de couleurs vives, dominée par des bleus, des jaunes et des teintes orangées, vient contredire la volonté de "respectabilité" affichée dans cette toile.

Quand l'américain commença sa collection, par l'achat lors d'une vente aux enchères en 1945 d'un Soutine (il faut dire qu'il avait des ascendants slaves),  il ressentit le besoin d'aller voir sur place les lieux de réalisation des toiles acquises. C'est ainsi qu'en 1948, il vint à Céret, pour identifier les motifs des paysages peints par le russe. Ce dernier était mort en 1943, et une vague d'expositions hommages avait sans doute attiré l'attention du collectionneur et guidé sa première acquisition d'importance.
Sur les 7 toiles de Soutine que possède la collection Pearlman, 3 sont des paysages (Le Chemin de la fontaine des Tins à Céret, vers 1920, Vue de Céret, 1921-22 et Le clocher de l'église Saint Pierre à Céret, vers 1922), trois sont des études de figures (un extraordinaire Autoportrait de 1918, un portrait de jeune garçon de 1925, dit le Choriste, et l'impressionnant Portrait de femme de 1929) et la dernière est une nature morte typique du peintre, La Dinde pendue, aux larges ailes luisantes et noires, qui date de 1925.

La bestiole est plumée, pour être vendue sans doute, et pendue la tête en bas. Mais ce qui est admirable et spectaculaire au sens fort du terme, qui se donne à voir, dans cette toile, ce sont les larges ailes noires qui se déploient de part et d'autre du corps dénudé, accentuant par leur teinte profonde la couleur orangée de la volaille à l'étal. En bas, la tête est juste suggérée par une crête d'un rouge vif, presque sanglant, qui donne à la composition une violence inattendue.

Henry Pearlman, né à New York en 1895, était le fils d'immigrés russes installés dans le Lower East Side. Son père, contremaitre dans une imprimerie, lui permis de fréquenter l'école publique ce qui lui permit, après des études secondaires de devenir secrétaire d'une entreprise qui importait du liège pour l'utiliser comme matériau isolant. Entreprenant et vif, le jeune homme prend vite des galons et même, en 1919, décide de voler de ses propres ailes. Il a seulement 24 ans lorsqu'il crée sa propre entreprise qui produit et installe des isolants pour chambres froides. Ce qui lui permettra rapidement de se constituer une clientèle dans le secteur de la réfrigération maritime, secteur particulièrement porteur durant la seconde Guerre mondiale, ce qui assurera son aisance future. Il achète à cette époque quelques œuvres de primitifs italiens et autres peintures françaises ou américaines, mais ne se considère pas encore comme un collectionneur, faisant dater le début de sa passion de ce fameux achat de janvier 1945.


C'est aussi cette année-là qu'il achète "l’inoubliable (1)" portrait de jeune femme par Courbet. On a pensé longtemps, sans qu'aucune preuve puisse en être apporté qu'il s'agirait d'un portrait de la soeur de l'artiste, Zoé, âgée d'une vingtaine d'année au moment de sa réalisation. La force de cette esquisse tient sans doute à la façon dont la tête surgit du fond obscur et les forts contrastes du visage, entre ombre et lumière, qui trahissent la fascination de Courbet pour Rembrandt à l'époque où il réalisa cette toile. Cette moue boudeuse et cette lumière qui ricoche sur les joues de la jeune fille rendent en effet ce portrait très frappant.
Le rythme des affaires se ralentit avec la fin du conflit et Henry peut consacrer plus de temps à ce qui est en train de devenir sa passion.


En 1948 donc, il décide de s'offrir un petit tour d'Europe qui passe par l'Angleterre, la France, l'Italie et la Suisse. Introduit auprès des galeries d'art les plus en vue, il rencontre Oskar Kokoschka à Londres et lui commande son portrait. L'oeuvre, qui ouvre l'exposition, est le fruit de 14 séances de pose amicales et détendues et il en résulte une toile lumineuse, d'une verve tout à fait inhabituelle sous le pinceau de l'autrichien tourmenté. Le modèle est détendu, les mains posées sur les accoudoirs d'un fauteuil invisible, grosses paluches sagement au repos et patientes ! Les yeux bleus, très clairs, d'Henry Pearlman, reflètent une lumière printanière et animent le visage rond du commanditaire. Tout respire ici la confiance et le bien-être : on imagine volontiers la conversation décontractée entre les deux hommes. A l'air heureux de l'américain on devine qu'il évoque pour le peintre ses filles, Marge et Dorothy, représentées à l'arrière de la scène, en train de s'ébattre auprès d'un plan d'eau et de jouer avec une barque et un filet, sans doute en vue d'une joyeuse pêche. Les lettres que les deux hommes échangèrent par la suite prouvent que naquit entre eux, à l'occasion de ces séances de pose, une chaleureuse amitié qui dura longtemps. On pourrait imaginer que se faire portraiturer est preuve de vanité, mais on sait que Pearlman commanda ce tableau plus pour aider l'artiste (il le lui acheta et envoya même à son frère et à sa soeur, restés derrière le rideau de fer, des colis de nourriture) et lui donna comme titre, modestement Portrait d'un collectionneur. L'américain reçut fort amicalement le peintre chez lui lorsque ce dernier vint à New York, et la seule ombre à leur amitié était l'admiration que Pearlman portait à Soutine dont Kokoschka enviait la popularité aux Etats Unis et qu'il n'aimait guère !
Voici donc posé le portrait de celui dont nous allons, dans un prochain article, découvrir plus avant les goûts.

(1) Selon le poète John Ashbery qui, lors d'un compte-rendu de visite de la collection Pearlman en 1974 écrivit "Le portrait de sa soeur par Courbet est une oeuvre mineure, sans doute, qui parait une esquisse à l'huile, et pourtant il est inoubliable, il nous renvoie une décharge électrique spirituelle".

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