mardi 15 juillet 2014

TRILOGIE AIXOISE, ACTE III - ARIODANTE


A Aix où, sans doute grâce aux inquiétudes provoquées par les mouvements des intermittents, nous avons cette année pu voir trois opéras. Après avoir commencé par le meilleur (voir l'article fort bref, mais très enthousiaste sur la Flûte), nous avons malheureusement terminé par ce qui nous le moins plu... Était-ce la fatigue ou la qualité réelle des spectacles ? En tout cas les faits sont là, le dernier opéra que nous avons vu est celui qui nous a le plus déçus.
Au départ d'Ariodante, il y eut un autre livret, Ginevra, Principessa di Scozia d'Antonio Salvi, écrit pour un opéra de Giacomo Antonio Perti en 1708, lui-même inspiré des chants 5 et 6 de l’Orlando Furioso de l'Arioste. La vaste épopée de chevalerie médiévale de l'italien de la Renaissance avait, depuis le XVIIe siècle, la faveur de tous les librettistes de renom, et le public du XVIIIe appréciait encore beaucoup les aventures épiques de cette grande fresque dont le nombre impressionnant de personnages offrait aux gens de scène moult aménagements divertissants et émouvants. L'histoire adaptée par un anonyme pour le grand compositeur allemand (ou anglais si vous préférez !!) est, comme il se doit, compliquée, simplette et fort manichéenne.


Le vieux roi d'Écosse, touché par l'amour du chevalier Ariodante pour sa fille Ginevra, offre au jeune héros et sa fille et sa couronne. C'est plus que ne peut en supporter le duc d'Abany, Polinesso, qui ourdit une sombre machination pour ruiner le mariage de son rival. Son stratagème réussit, précipite chacun au bord du suicide ou de la folie, avant que la vérité n'éclate, que le traître soit châtié, et que tout rentre dans l'ordre. En sus du roi d'Écosse, pivot décideur de l'intrigue, parfois bien perturbé le pauvre, cinq personnages principaux liés par la traditionnelle chaîne passionnelle : Lurcanio aime Dalinda, qui aime Polinesso qui aime Ginevra, qui aime Ariodante. Car au récit principal s'ajoutent la suivante de Ginevra, Dalinda, et Lurcanio, le frère d'Ariodante. Avec un tel imbroglio Haendel s'est éclaté : et l'affaire était d'importance, voire politique. En effet, depuis 1729, le compositeur et son impresario avaient obtenu du nouveau roi, Georges II, l'usage du King's Theatre pour une durée de 5 ans. Tout semblait donc aller pour le mieux pour sa carrière. Or, une troupe rivale, soutenue par le nouveau Prince de Galles, Frédéric, revenu à Londres en 1728 et manifestant une constante opposition politique à son père régnant, venait de voir le jour. L'Opera of the Nobility qui avait donc les faveurs des opposants à la cour, avait pour compositeur attitré Nicola Porpora, et  l'on s'y battait à coups d'opéras. Le jeune et fougueux Frédéric de Galles y avait, de plus, attiré tous les chanteurs auparavant dévoués à Haendel. Et summum de la réussite, l'Opéra de la Noblesse s'était assuré le concours de Carlo Boschi, autant dire le très en vogue castrat surnommé Farinelli. Il fallait lutter ferme pour défendre les couleurs royales et s'assurer à la scène le succès qui s'imposait quand on avait la charge de représenter Georges II d'un point de vue artistique ! C'est dans cette ambiance quelque peu électrique qu'Haendel conçu, écrivit et monta ce nouvel opéra. Représenté 11 fois seulement entre le 8 janvier et le 3 mars 1735, l'oeuvre n'eut pas le succès escompté malgré la présence d'une troupe de danseurs, venus tout spécialement de Paris, mais dont la tenue légère choqua fort les spectateurs britanniques. Tant et si bien que, lors de l'unique reprise de l'opéra un an plus tard, le compositeur supprima carrément les ballets dans l'esprit de Rameau qui émaillaient la partition, à la fin de chaque acte. Il fallut attendre 1928 pour que l'oeuvre fut de nouveau montée, et encore rarement, et la reprise d'Aix n'en était que plus exceptionnelle.


Mais, las ... malgré quelques voix tout à fait convenables (je pense en particulier à David Portillo, le ténor qui interprète Lurcanio, ou à Sandrine Piau qui se tire plutôt bien du rôle de Ginevra) l'ensemble vocal était, à mon goût, de qualité, mais fort peu adapté à la partition et, surtout, au lieu. La cour de l’Archevêché, en plein air, battue par le vent, agrémentée par quelques bruits parasites, est très ingrate, et il y faut, pour être convainquant, une puissance qui manquait singulièrement à Sarah Connoly (Ariodante), très raffinée, très élégante mais ne remplissant pas assez l'espace sonore ! Elle tenait tout de même le rôle titre ... Patricia Petibon, quant à elle, avait plus d'ampleur, mais, malheureusement, parfois au détriment de la justesse de ses envolées finales. Rien de dramatique au demeurant, mais l'on se prenait à rêver d'une distribution plus brillante, pour servir une partition qui, composée essentiellement d'airs virtuoses, nous est connue chantée par les plus grands.
Les opéras de Haendel furent tous écrits pour des chanteurs bien précis, et, si l'on y pense, il est naturel que les voix d'aujourd'hui ne soient pas forcément adaptées aux rôles : témoin le fait que le compositeur, n'obtenant pas pour les rôles les chanteurs prévus modifia, pour la création, les partitions initiales. Rien d'étonnant alors que les tessitures modernes soient parfois défaillantes ou trop justes. Un opéra de Haendel aujourd'hui se monte en proposant le rôle à divers artistes, qui, même s'ils ne doivent pas s'y sentir parfaitement à l'aise, sont trop heureux de paraître sur la scène de l’Archevêché et promettent, forcément, beaucoup plus qu'ils ne peuvent finalement tenir.
L'orchestre, quant à lui, était excellent mais la direction, certes très propre, d'Anton Marcon, nous a semblé, le lendemain de celle tellement inspirée de Minkowski, un peu planplan, manquant de souffle. Rien de grave là non plus, et ma mauvaise humeur à propos d'Ariodante concerne essentiellement la mise en scène, très appréciée de la critique, qui m'a, quant à moi, carrément horripilée !

Le décor, faussement rustique d'une chaumine écossaise d'un goût douteux, constitue le cadre unique de l'action. Fleurettes sur les murs, fausse pierre dans la cuisine, vilaines photos en noir et blanc autour du dressoir, longue table de chêne autour de laquelle le metteur en scène fait défiler, sans imagination, chanteurs et danseurs, comme à la parade et toujours de la même façon, ce décor campagnard de pacotille qui a tant ému, par sa "modernité" les critiques, m'a tout simplement rebutée. Mais passe encore. Richard Jones a ensuite décidé d'accoutrer ses protagonistes, en particulier les chanteurs et danseurs, de vieilles fringues trop étroites, tout droit sorties d'Emmaüs, vilains pulls en jacquard, marinières raidichonnes, pantalons trop courts et tablier à carreaux. Ce look années 50 faisait par trop misérabiliste.


Ce sont surtout les "heureuses distances avec cet imbroglio baroque" prises par le metteur en scène qui m'ont "gonflée". "Il a fait avant tout d'Ariodante le drame d'une famille d'aujourd'hui, une tragédie domestique de l'aveuglement et des bonnes consciences impulsives". Ben voyons !! Il nous assène donc de la guimauve de bon aloi, puis déguisant le duc d'Abany, Polinesso, en un hypocrite ecclésiastique dissimulant un loubard impudique et brutal qui viole, ment, humilie, il nous persuade que tous les traits immondes du personnage ne peuvent être compris qu'à travers son habit d'homme d'église. Un peu facile, non ?? Et, entre prêchis-prêchas rajoutés à l'aide de banderolles extraites de la Bible, col romain trop vite dégrafé et interminable scène de viol, vrai catalogue des différentes humiliations qu'on peut faire subir à une femme, nous nous voyons imposer la vision calamiteuse de ce scénariste un peu trop sûr de lui. L'idée d'avoir remplacé les ballets par des manipulations de marionnettes est, en soi, plutôt bonne (et en plus, ce sont les choristes qui les meuvent, ce qui, en soi, doit constituer une économie non négligeable !). Mais quand à la fin du second acte, en une "magnifique intuition" (toujours Télérama) il transforme cette pauvre Ginevra en pute d'autoroute, on se sent bien loin de la magie de l'Orlando Furioso ! Du coup, il faut bien l'avouer, nous n'avons guère eu envie d'affronter le troisième Acte : "Au moment du « lieto fine », réjouissance finale de rigueur dans l'opéra séria, (Ginevra) laisse les autres, y compris Ariodante, se rassurer à peu de frais. A leur insu, elle boucle sa valise, enfile un manteau, s'extrait du décor pour venir, devant la rampe, faire du stop, telle une prostituée de grand chemin — et telle que ses proches, à la fin du deuxième acte, l'avaient stigmatisée en effigie. La Ginevra de Haendel rejoignant la Lulu d'Alban Berg : magnifique intuition de metteur en scène ! ".


Et si l'on en juge par le nombre de gens qui, comme nous, n'ont pas demandé de ticket pour sortir, et qui se pressaient vers les parkings, nous ne sommes sans doute pas les seuls à avoir trouvé, quoiqu'en dise une critique extatique, la mise de Richard Jones ennuyeuse, voire inadaptée ou carrément pénible. Ce qui m'a, je l'avoue, le plus déplu est cette espèce de prétention qui sous-tend une mise en scène de cet acabit : prétendant que les mises en scène respectant l'ambiance suggérée par le livret ne peuvent donner le frisson à un public moderne, il a eu l'ambition de nous présenter "un drame psychologique qui (nous) tienne en haleine", en renonçant au décorum chevaleresque ce qui, selon lui, lui permettait de "gagner en crédibilité et en implication du public". Très fier d'avoir fait de Polinesso "une sorte de prédicateur qui a beaucoup d'influence sur la vie sprirituelle de l'île et qui, à la Jekyll & Hyde s'engage clairement dans la part du diable", il déclare en avoir fait un "chrétien-libre penseur qui visite l'île et qui, doté d'une intelligence supérieure, vient sans doute d'une grande ville (ben voyons !!) et tente une expérience sur un groupe de gens assez naïfs (forcément !!). Il se montre très misogyne... ce qui explique son plaisir à détruire Ginevra".


Alter proposait une mise en scène entièrement basée sur de vraies marionnettes siciliennes, grandeur nature et maniées depuis les cintres, doublées par les chanteurs, soit dans la même tenue, soit au contraire dans un costume entièrement noir et restant statiques auprès de leurs doubles évoluant au gré de l'action : je me demande si on ne devrait pas lui confier le prochain Ariodante !

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