Hier soir, c'était Électre de Giraudoux : totalement réussi ! d'abord c'est une VRAIE (1) pièce, en plus elle est bien écrite, poétique, drôle et, cela ne gâte rien, chargée de sens. Il fut, à une époque, de bon ton de dénigrer Giraudoux mais il serait de fort mauvais goût de ne pas l’aimer. Adaption moderne de l’Odyssée d’Homère, l'auteur a fait de sa pièce une ode à la recherche de la vérité : Électre (Elektra en grec, la lumineuse) est là pour faire la lumière sur les événements passés et futurs, et faire éclater la vérité. Grâce à sa présence, de nombreux personnages vont se dévoiler, « se révéler » et faire éclater « leur » vérité. Entre les principaux protagonistes, le personnage du mendiant (à la fois dieu, mendiant et metteur en scène) contribue par son franc-parler à lier l'intrigue et à favoriser les révélations. Électre, c'est le cri de la jeunesse contre tous les mensonges et toutes les hypocrisies du monde. Mais l'éclat de la vérité est parfois trop violent. La dernière réplique « Cela a un très beau nom, femme Narsès, cela s'appelle l'aurore » termine la pièce sur une ouverture à la fois pleine d'espérance, de prise de risque et de foi (2). Comme un « catastrophisme » précurseur et visionnaire, que les auteurs modernes, hantés par le thème de l’apocalypse moderne, ne sauraient renier !
La mise en scène des sœurs jumelles Odile Mallet et Geneviève Brunet (dont on pourrait presque dire qu'elles sont des "spécialistes" de Giraudoux (3) est parfaite : limpide, respectant le texte et offrant une excellente lisibilité du propos de Giraudoux. Faussement "bricolée", avec des perruques et des vêtements qui semblent tirés des penderies d'une troupe amateur, elle laisse toute la place au texte et à son à l'interprétation ; et ces oripeaux finissent, portés et sublimés par les acteurs, par devenir presque beaux. Ces deux "grandes" dames ont ... 84 ans, et Geneviève, aussi actrice, joue crânement Clytemnestre, d'une façon très émouvante, fragile et pourtant redoutable.
Quant à la Compagnie Théâtre et Tradition (impossible de trouver des infos sur eux !! sauf que c'est une troupe parisienne ... dont il va falloir tenter de retenir le nom, pour pouvoir la suivre !), elle est à saluer bien bas ! Marta Corton Vinals, l'actrice qui tenait le rôle écrasant (deux heures de présence sur scène) d'Électre, est parfaite : forte et sensuelle, tragique et blessée, elle joue dans le ton juste, avec une immense sensibilité et sans jamais d'exagération. Le mendiant, Jean-Pierre Bernard, est, lui aussi un acteur hors pair : sa voix chaude et admirablement placée, sa diction irréprochable, son jeu tout en nuances, en font un "révélateur de vérité" idéal. Les autres acteurs sont, de fait, tous à la hauteur : Gunther van Severen en Oreste, discret mais efficace, Michel Baladi (le Président), drôle et pourtant grave un haut fonctionnaire pitoyable ... et tous les autres !
Théâtre en l'Abbaye, clône "sites en Scènes" de l'ancien et prestigieux Festival de Théâtre de Saint Jean d'Angély des années 90, où l'on voyait du Mouchkine et autres merveilles, "se tient" décidément fort bien et ne démérite pas !!! (4)
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(1) Quand on pense qu'à Avignon, le Off présente plus de 1300 pièces et qu'il n'y avait pas, cette année, un seul Anouilh, pas un seul Montherlant, pas le moindre Pirandello (pour ne citer que quelques auteurs consacrés) et un seul Giraudoux, joué par (qu'ils en soient loués) une troupe d'adolescents amateurs, on comprend mes majuscules.
(2)
LA FEMME NARSÈS. Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
LA FEMME NARSÈS. Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
ÉLECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.
LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.
(3) Odile Mallet, metteur en scène, est la sœur jumelle de la comédienne Geneviève Brunet et la veuve du comédien Jean Davy, sociétaire de la Comédie-Française. Elle met en scène les pièces du cygne de Bellac depuis les années 80, participant à presque tous les Festivals de la ville natale de Giraudoux. Un Festival qui a 61 ans et dont je n'avais jamais entendu parler ! Merci Internet et les rubriques Wikipedia !!
(4) Voici donc la suite du programme :
Samedi 2 août 2014 :
11h : L'affaire suit son cours - Compagnie Les Urbaindigènes
de 15h à 17h : Françoise Guillaumond invite les couples parents/enfants à l'écriture de courts textes autobiographiques...
18h : King Lear Fragments, d'après l'oeuvre de William Shakespeare – cours d’Honneur. Deux comédiens présentent cette pièce. Ils endossent tous les personnages de l’histoire, commentent le texte original, jouent la musique et prennent le public à parti.
20h30 : Cosi Fan Tutte, d'après l'oeuvre de Mozart et Da Ponte – cours des Angériens. Cette pièce est un condensé du théâtre amoureux de XVIIIe siècle. Tout en conservant une qualité musicale de haut niveau, cette compagnie réussit à rendre l’opéra compréhensible et accessible à tous.
Dimanche 3 août 2014 :
18h : cérémonie d'adieu au nouvel arrivant – cours d’Honneur. Théâtre de rue Un cortège funèbre de canapés, un musicien, quatre porteurs et des catastrophes qui s’enchaînent…
20h30 : Les Jumeaux Vénitiens de Carlo Goldoni – cours des Angériens. Séparés à leur naissance, deux frères jumeaux, Tonino et Zanetto, se retrouvent sans le savoir et par hasard dans la même ville pour y épouser leur belle mais leur proximité engendre alors un tourbillon de situations des plus incongrues. Pièce que nous avons prévu d'aller voir !
Les photos sont empruntées au site du Théâtre du Nord Ouest : je n'avais pas envie de gâcher mon écoute et celle de mes voisins, en mitraillant la scène !
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