dimanche 9 novembre 2014

TROP, C'EST TROP !


J'ai, avec "mon" fromager, des rapports qu'on pourrait qualifier, sinon de passionnels, mais disons d'affectifs... Cela tient, bien sûr, au produit qu'il vend, ce fromage qui reste LE produit alimentaire le plus typiquement traditionnel et dont la qualité est le critère dominant. Son l'appréciation, terriblement subjective, tient à des caractéristiques gustatives d'importance, liées aux modes de préparation. Texture, couleur, arôme, goût, odeur aussi (1) se forment grâce aux interactions d’un très grand nombre de composants, dont la nature est directement liée à l’histoire du produit. Et à l'action du fromager, qui a aussi choisi ses fournisseurs et qui pratique, avec plus ou moins de bonheur, l'art difficile de l'affinage. Or "mon" fromager est un affineur remarquable ce qui, dans notre région portée essentiellement sur le chèvre, est une qualité rare. De plus, il faut bien que je vous l'avoue, il est charmant : drôle sans être équivoque, consciencieux avec légèreté et commerçant juste comme il faut. L'été il vient sur le marché très régulièrement, mais l'hiver, il ne vient plus que le dimanche et sa clientèle est alors des plus restreinte. On imagine volontiers que ses frais fixes sont certains jours largement supérieur aux quelques ventes qui réalise sur notre petite aire villageoise. Pour autant, l'année où, durant tout un hiver, il nous fit faux bond, nous attendions chaque semaine son retour en espérant que cette absence ne serait que passagère. Finissant par apprendre qu'il avait décider de nous abandonner pour un marché plus lucratif, ce qui, en qualité de prof de contrôle de gestion, me sembla cohérent mais me révolta très fort en tant qu'amateur de fromage. Une petite jeune femme charmante mais totalement à côté du produit - les premières semaines, elle ne savait pas la différence entre un fromage au lait cru et un autre, pasteurisé - prit la place restée vacante : les marchés ont horreur du vide.
Et quand "mon" fromager revint, contraint de s'installer dans un coin plus reculé de la place, j'avoue lui avoir "fait la tête" durant plusieurs semaines. Ce qui est bien la preuve que ce n'est pas pour moi un simple commerçant !! Et vous auriez entendu la "scène de ménage" que je lui fis le jour où, n'y pouvant plus tenir, je retournais le voir, c'était carrément du Goldoni ...

Ce matin donc, j'allais y faire mes achats hebdomadaires et, assez discrètement (du moins le pensais-je) lui demandais de compter en plus un ... Pont l’Évêque, acheté il y a déjà quelque temps déjà et qu'il avait oublié de mettre sur ma note. Vérifiant le ticket de caisse pour voir ce jour-là combien j'avais acheté de fromages, je remarquai l'erreur et me promis de le lui signaler. Puis, bien sûr, j’oubliais à mon tour. Pourquoi ce matin cela m'est-il revenu à l'esprit : tout simplement parce qu'achetant un Gaperon, il me revint à l'esprit le dernier Gaperon mangé, qui faisait justement partie du lot au fromage absent. Bref, toutes ces explications pour "me justifier". Vous allez comprendre pourquoi.
- Pont l’Évêque, un petit ou un gros ??
Un peu surprise, je n'avais pas dans l'idée que ce soit un fromage qui soit petit ou gros ...
- Un petit.
- Un entier ou un demi ??
Alors là, non, ce n'était pas un fromage qui se coupe en deux pour la vente ...
- Mais non, je me trompe, pas un Pont l’Évêque, c'était un Langres !! Vous connaissez le prix ?
- Oui, oui, me répond-il avec un bon sourire.
Et là, j'entends les gens qui me succédaient dans la file et qui commentaient l'affaire sans aménité, déclarer assez haut :
- Trop c'est trop !!
Je ne peux éviter de me retourner et de leur dire :
- Pourquoi ?? Il ne fallait pas le lui dire ? C'est c.. à vous avis ?
- En tout cas, moi je ne l'aurais pas dit. Si cela avait été de la semaine dernière, peut-être, mais là, c'est ridicule.
Morale de l'histoire, je me suis retrouvée à me justifier ! Oui oui, je me suis surprise, réaction naturelle je pense quand on est "agressé", à chercher des arguments pour expliquer à ces individus, "bien propres sur eux" et franchement rigolards, pourquoi j'avais agi ainsi. Mon fromager, gêné aussi, a, comme à son habitude, trouvé une plaisanterie ...
- Mais entre nous, ce n'est pas pareil, c'est une histoire d'amour !
... et je suis partie contrariée de l'aventure où j'avais, bien à mon corps défendant, joué le rôle de l'idiote de service. Pourtant, je continue malgré moi à tenter de me disculper : je n'avais nullement l'intention de "la ramener", ce n'était pas, quoique je le raconte ici, un acte ostentatoire d'honnêteté (vis à vis de qui, grands dieux !!) et j'ignorais même qu'il y eut des clients derrière moi quand j'ai lancé la demande.


Le Langres, le petit fromage à la discrète dépression centrale et à la croûte délicatement formée de vaguelettes orangées, quand il est fait à point !

Certes, la racontant ici je rends "publique" une réaction qui me semblait naturelle. Et qui fut, croyez m'en, spontanée à l'instant où je découvris l'impayé. Mais, vous aurez compris j'espère, que je ne fais pas ce récit pour m'attirer des compliments quant à une éventuelle vertu (2). Je le fais pour m'insurger de m'être trouvée, dans une situation dans laquelle le moins qu'on puisse dire est que je n'avais rien fait de critiquable, à devoir m'expliquer, à tenter de m'innocenter je ne sais trop de quoi ... et surtout, à être tournée en dérision par quatre retraités en goguette. Est-ce devenu répréhensible d'être honnête ?? Est-ce à ce point ridicule de respecter un commerçant au point de se dire "je n'ai pas de raison de lui coûter un fromage, il l'a payé, affiné, stocké, je me dois de le régler" ?
Mesure-t-on l’honnêteté au temps : la semaine prochaine je le dis (peut-être !!), mais si j'ai oublié, je n'en parle plus. Même si le Gaperon me rappelle l'histoire !
L'aune serait-elle plutôt le prix de l'objet non facturé ? C'est un grand Pont l’Évêque à 15 euros, je le signale, c'est un modeste Langres à 5 euros, c'est absurde de le signaler !
Au-delà de toutes ces considérations, somme toute fumeuses, j'ai été impressionnée, que dis-je, bouleversée par le cynisme et par la muflerie de ces gens, très contents d'eux. Cynisme de déclarer, devant le commerçant "moi, je ne l'aurais pas dit !", se moquant délibérément de son travail et de sa prestation. Muflerie de me railler ainsi en "public" (certes restreint) au simple motif que mon attitude leur semblait stupide, voire simplette. Le tout allié à une impressionnante sûreté de soi, qui leur a permis d'affirmer haut et fort (ils étaient 4 !) leur position de défenseur de la morale nouvelle. Car c'est bien de cela qu'il s'agit au final : nous sommes dans une société où des gens, en apparence et sans doute reconnus comme étant respectables, peuvent, sans rougir, se poser en censeurs d'un comportement qui leur semble désuet, voire blâmable, au simple motif que tout cela est "passé de mode" ? Ou simplement n'a plus lieu d'être.


Le laxisme lié à la consommation anonyme en supermarchés, l'impunité assurée quand on ne signale pas à la caissière qu'elle a oublié de compter un article, la certitude, perverse, que, de toutes façons, la grande surface compte dans ses frais généraux les pertes exceptionnelles de ce genre et les répercute sur le prix final, sont, nécessairement, à l'origine de cette bonne conscience. Qui vire à la norme, et là, cela devient plus gênant : car, dès lors, ce ne sont pas eux qui se sont trouvés gênés par leurs ricanements, c'est moi qui ai été mal à l'aise d'être prise en flagrant délit de ... de quoi, ma parole ? Je ne me posais pas en parangon de vertu, j'étais simplement une consommatrice avisée et honnête. Quand on pense que le Code Civil évalue tous les comportements et errements humains à l'aune due celui d'un "bon père de famille"... il a bien évolué le pauvre homme et doit, pour être au goût du jour, faire fi de nombre de mérites qui semblaient simplement naturels à ses ancêtres !

Article dédié à Michel de Lyon, qui va forcément mettre Michelaise en boîte !!

PS : Alter, de Meschers, à qui la susdite hésitait à conter ses mésaventures, a partagé son indignation, sa révolte et a compris que l'affaire la bouleverse, faut dire que c'est un peu pour cela qu'il l'a élue, sa Michelaise !!

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(1) Il y avait, ce fameux dimanche, juste avant moi deux personnes qui clamaient haut et fort que le fromage sentait mauvais : j'avoue, sans m'en être mêlée (moi !!) que je me suis vraiment demandé ce qu'ils fabriquaient là !!

(2) Pour prouver que je ne suis pas bégueule : l'autre jour, au supermarché, rangeant un produit qui avait englobé, donc caché, dans son fond un peu épais, un autre produit, second article manifestement "zappé" par la caissière, après la première réaction instinctive de signaler l'oubli à la caissière, j'ai jeté l'éponge, elle en était au total et rendait déjà la monnaie ... Je me suis dit que j'allais l'énerver, la mettre mal à l'aise et, en prime, j'étais pressée. J'ai donc choisi de me taire, ce qui, bien évidemment, m'a fait profité d'un produit gratuit... volé ? Sans risque pour elle, et plus rapide pour moi.

9 commentaires:

  1. À moi dédié ? J’en suis confus et rose à l’arête. Et j’aurai bien mauvais esprit de vous mettre en boite ! Mais si vous le préférez, je le fais ! Il me semble que toutes les explications que vous tentez peuvent être admises. Ces gens respectables seront les premiers à critiquer leurs élus pour leurs petits arrangements éventuels. Tant que vous n’aviez pas constaté l’erreur, vous étiez absoute ; à partir du moment où vous l’avez constatée vous pouviez la compenser (deviez à mon sens). Je fais une différence certaine entre un grand système de distribution qui sait nous manipuler et tenir compte de la ‘démarque inconnue’ dans ses prix et un petit commerçant qui doit tenir face à ces monstres et qui a le réel savoir faire. Lui mérite qu’on le ‘soigne’ autant qu’il soigne pour nous ses produits. Il a une bonne tête votre langres et, visuellement, il vaut certainement le prix que vous avez mis. Savez-vous que la petite dépression que vous mentionnez est destinée à une petite mesure de marc de Bourgogne… pour la dégustation complète. Continuez-donc à fréquenter ce fromager… ils sont si peu nombreux avec ce savoir-faire.
    Bonne semaine… surtout avec ces beaux produits !

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    1. Ah Michel, je savais bien que vous aviez quelque bonne goutte à rajouter à mon billet !!
      Quant au supermarché, il est, malgré la démarque inconnue, préférable de signaler les erreurs dès lors que cela ne met pas les caissières dans l'embarras, mais utile de faire un embouteillage un jour de grande presse pour un truc oublié découvert sur le parking ! faut pas en rajouter non plus.
      Mais, comme vous le dites si bien, avec un commerçant de la vieille et bonne école, on se doit de respecter son tiroir caisse... merci de ne pas sourire de mes fureurs dominicales !!
      Rose à l'arête, c'est un mode de cuisson ça ???

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  2. J'avoue - dois-je aussi être honteuse- que j'aurai agi de même , et comme toi j'ai déjà retrouvé une carte achetée pour un anniversaire au fond de mon sac et non totalisée au supermarché... Mais il m'est arrivée une aventure inverse ayant mal vidé mon panier je suis allée au dit supermarché avec un paquet de biscuit apéritif...payé une première fois et comptabilisé une seconde fois à la sortie ! une leçon qui montre ma négligence désormais je vérifie si rien ne reste caché sous les sacs entassés dans le panier !
    Bonne journée

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    1. Voilà qui me réconforte Josette, il y a donc d'autres c..s qui agissent d'une façon qui, en son temps, était normale !!! quant à payer deux fois, c'est une manie de mon tendre et cher, surtout son son Trésor ! et il a un mal fou ensuite à se faire rembourser, bien sûr !!

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  3. Bonjour, J'ai un blog sur l'art et je souhaite faire un article sur André Delauzières. Je ne trouve aucune reproduction sur Google, à part les vôtres. M'autoriseriez-vous à les utiliser ? Je mettrai bien sûr ma source ! Merci. Adresse de mon blog : http://museevirtuel.canalblog.com

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    1. Mais bien sûr que je vous y autorise, avec d'autant plus de plaisir que la plupart des toiles qui figurent dans mon article sont à la mairie de Saujon, donc pas forcément très faciles d''accès !! Vous pouvez aussi puiser des infos s'il vous en manquait, c'est vraiment un plaisir de se dire qu'il y aura quelques renseignements sur le net pour ce peintre peu connu mais qui mérite qu'on parle de lui.

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    2. Merci beaucoup, c'est très sympa !

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  4. Le bon fromage de Langres vaut bien une histoire d'amour, comme tu la racontes, bien sûr t'es dans le vrai, il fallait lui payer son fromage à ce charmant marchand, en plus qu'il était déjà parti voir ailleurs si ça marcherait mieux pour lui, c'était pas le moment de le remettre sur la paille...

    ne lui fais pas la tête, chacun fait comme il peut pour que ça aille mieux :-)))

    Bises du soir Michelaise.

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    1. Tu as tout compris Danielle, une des raisons principale de mon rappel était que, déjà qu'il ne fait pas fortune sur notre marché, s'il se met à distribuer des fromages gratuits, il ne s'en sortira pas !!
      Merci de me rassurer sur ma supposée débilité !

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