vendredi 2 janvier 2015

AUTRES TEMPS, AUTRES MOEURS


En des temps pas si lointains, il était de bon ton, au moment des fêtes de fin d'année, de se livrer à un exercice obligé, mais finalement salutaire : celui de "l'envoi des vœux". On prenait sa plus belle plume, son inspiration des grands jours, on achetait une collection de jolies cartes oscillant entre une banalité de circonstance quant à la formule, et une originalité de bon aloi quant au décor, et, vogue la galère. Il ne restait plus qu'à, carnet d'adresses d'une main, brouillon avec trame de l'autre, rédiger une cinquantaine ou une centaine de cartes, allant de la plus insignifiante, pour les simples "connaissances", à la plus personnalisée, pour les personnes chères. On soignait particulièrement ceux qu'on aime beaucoup mais que le temps, la vie et les trépidations outrancières de la machine nous empêchent de voir souvent. Occasion idéale pour souhaiter, du fond du cœur et pour la dixième année consécutive, que, promis, cette nouvelle année serait, entre autres bonnes résolutions, celle de nos retrouvailles.



Le pensum, vilipendé par certains qui en critiquaient le côté convenu et les formules rebattues, avait pourtant le mérite de permettre un tri, parfois douloureux, des noms contenus dans les carnets d'adresses. On en barrait certains d'un trait hésitant, petite larme au coin de l’œil, pour les amis disparus, d'autres d'un trait rageur, pour ceux avec lesquels on s'était fâché dans l'année écoulée.  On accumulait enfin des points d'interrogation de plus en plus nombreux en face de ceux qui, malgré nos invites annuelles, ne donnaient plus signe de vie depuis des années. Maintenant, le carnet d'adresses est obsolète : on stocke tout cela dans nos répertoires téléphoniques, tablettes et autres fournisseurs d'email. C'est ainsi que le jour où quelqu'un décède, ses amis ne sont même plus prévenus car la famille n'a pas trouvé le précieux petit calepin, aux pages à demi arrachées, aux coins cornés et bourré de surcharges illisibles qui permettait d'envoyer à tout ce petit monde l'annonce du départ d'un ami. On apprend les décès quelques mois plus tard, par la bande ou pire, par fessebouc, où il est de bon ton de s'émouvoir sur la disparition de gens qu'on ne connait ni d’Ève ni d'Adam mais auxquels certains de vos "contacts", engrangés de façon compulsive pour en avoir la plus grande liste possible, rendent un hommage ému. Chacun y va alors de sa compassion complaisante, histoire de s'émouvoir avec l'autre, pour ne pas être en reste. 

Si vous ne savez pas quoi faire des cartes que, malgré mon article défaitiste, vous avez reçues, pourquoi pas le hérisson livre pour les présenter ? Idée Amomarqueterie

Mais les cartes de vœux avaient d'autres mérites. Elles maintenaient, fut-il distendu, fut-il de circonstance, un certain lien social, à l'ancienne mode. Le nouveau lien social, on le sait, ce sont les réseaux, et autres agitations internautiques qui permettent de tisser des relations, passées de convenues à virtuelles... ce qui ne vaut pas nécessairement mieux. Et l'on y va, de forum en plateforme d'échanges, de twitter en emails collectifs, en passant éventuellement par les envois presque traditionnels de cartes postales électroniques : les vœux s'envoient à la pelle, la "machine" balance automatiquement votre formule, piquée sur un site supposé fournir inspiration et formules originales, sur tout votre nouveau carnet d'adresses, celui de votre boîte électronique où tout est mélangé. C'est ainsi qu'en cette saison, on reçoit des vœux de gens qu'on ne connait pas mais auxquels, pour une raison ou une autre, on a envoyé un mail il y a 5 ou 6 ans. En lieu et place des cartes aux couleurs éclatantes, aux motifs désuets et paillettes pétillantes qu'on décachetait, lisait, commentait, avant de les placer, debout sur la tranche, sur une cheminée ou alignées comme à la parade sur un buffet vite encombré. Cette hétéroclite petite parade complétait la décoration de Noël, et voisinait parfois avec la crèche, qu'on faisait encore sans crainte du qu'en dira-t-on, dans un coin du séjour.


La dernière vertu de ces missives démodées était qu'on le gardait : ainsi, 30 ans ou 50 ans plus tard, on pouvait les relire, un jour de vague à l'âme ou d'opération rangement, l'oeil humide - "ah oui, untel, tu te rappelles, on a fait les 400 coups ensemble" - et la mémoire parfois défaillante - "machin, machin, mais qui cela peut-il bien être". On les glissait en vrac, janvier éteint et guirlandes rangées, dans une boîte à chaussures d'où elles viennent, encore parfois, nous lancer quelques clins d’œils complices.


Les temps ont changé et nos salons sont vierges de toutes ces manifestations tranquilles d'amitié, épisodique certes, mais fidèle. En revanche, nos portables regorgent de sms qu'il faudra effacer bientôt pour cause de saturation octéique ou qu'on perdra à la prochaine carte SIM fusillée. Nos boîtes email demandent un tri drastique, pour extraire du flot envahissant de "Meilleurs vœux" les seuls qui ne soient pas commerciaux, et nos langues n'ont plus à lécher, en protestant que c'est bien trop mauvais, une centaine de timbres au goût répugnant. 


Loin de moi l'idée de faire du passéisme, les mœurs évoluent et c'est ainsi que doit aller le monde. Pourtant, soumise moi aussi au nouveau diktat technologique, et envoyant vœux ou souhaits d'anniversaire selon ces méthodes virtuelles qui sont devenues notre quotidien, il m'arrive de me donner du mal, de chercher une formule adéquate, une expression personnalisée, une rédaction individualisée, voire affectueuse ou sentie. Et je ne peux alors m'empêcher de penser "à quoi bon ?? cela va disparaître dans le flot continu des "nouveaux messages", voire partir directement à la corbeille, confondu avec une publicité"... J'ai une petite attaque de nostalgie en me disant que mes mots, soigneusement choisis, difficilement équilibrés et consciencieusement pensés n'ont aucune substance matérielle et sont voués à l'oubli immédiat. 


Je sais, les méthodes modernes permettent des choses superbes, comme cet étonnant petit film qui m'est allé droit au cœur, envoyé par une amie invitée au réveillon michelais et qui travaillait très tôt le lendemain matin. On y voit, en un généreux panoramique, le soleil qui se lève sur une campagne givrée, aux allures fragiles de coffre de cristal, et elle nous y renouvelle, d'une voix douce, ses vœux pour que l'année 2015 soit aussi belle que ce matin d'hiver. Je sais, les boîtes email conservent très longtemps le courrier et, en matière d'archives, n'ont rien à envier à mes boîtes à chaussures d'antan. Pourtant, le mot gravé, tracé, calligraphié, qu'on relit sur du papier jauni, la carte ringarde et un peu attendrissante choisie avec soin par quelqu'ami perdu de vue ou parti vers des cieux meilleurs, me laissent un petit vague à l'âme, aggravé par le fait que tout cela est allé tellement vite qu'on a déjà l'impression, à en parler ainsi, d'être une vieille baderne !! mais je ne dois pas être la seule nostalgique du coin, à preuve, ce joli blog de lecture Books are my wonderland qui proposait, l'an dernier, un défi épistolaire consistant à s'envoyer de "vraies" cartes de vœux !!

Et, à défaut de pouvoir l'écrire à chacun d'entre vous, ...


16 commentaires:

  1. J'avoue... honteusement que cette année je n'ai envoyé que 10 "vraies " cartes de voeux... je plaide coupable mais suivant une certaine tradition c'était aux plus jeunes de commencer donc j'attends de recevoir ces cartes pour y répondre ! actuellement sur le buffet il y a 2 cartes de sociétés qui ont effectue des travaux dans la maison et 2 réponses (j'envoie mes cartes avant Noël souhaitant d'un seul élan joyeux Noël et bonne année !).
    Je profite donc de ce billet "retro" pour souhaiter à la famille "Bon Sens et Déraison" que le soleil et les bonnes étoiles se lèvent toute l'année sur Meschers.
    @micalemnt

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Exactement ce qui finit par arriver Josette, tu le décris fort bien : on envoie, on envoie et puis on s'aperçoit qu'on reçoit une réponse sur 5. Alors, on se dit, l'an prochain, je me contenterai de répondre, et là, on a nettement moins de travail !!! Pas de honte à cela, finalement les mœurs ont changé, et mon article passéiste n'est là que pour constater ce changement. J'ai adoré les voeux par mail de l'amie qui m'a offert le premier matin de l'année, givré et lumineux avec sa douce voix : je n'aurais jamais eu cela sur une carte postale.
      Merci pour tes voeux Josette, soleil, étoiles et, parfois la lune, absolument magique quand elle brille sur l'estuaire. A toi aussi, tous mes voeux les plus amicaux pour 2015.

      Supprimer
  2. Tous nos vœux (électroniques...) à la famille BS&D pour cette année 2015 !

    Amitiés

    Claude et Jean

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à vous deux, en espérant que 205 vous sera une année douce et sereine et que vous ferez de nombreux voyages tels que vous les aimez, et tels qu'ensuite vous nous les racontez. Accompagnés, bien sûr, de découvertes culinaires toujours passionnantes.

      Supprimer
  3. Une belle année à toi aussi, Michelaise, et à ton Alter. Continue à nous instruire, avec bon sens et déraison!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Noune, à toi aussi tous mes voeux pour la nouvelle année, continue quant à toi à nous abreuver de poésie !!

      Supprimer
  4. Ton billet est juste réaliste il souligne très bien la disparition des traditions chaleureuses qui fortifiaient les liens familiaux et amicaux.Notre société se déshumanise à grande vitesse.Nous sommes arrivés à l'ère du chacun pour soi que ne nourrit aucune poésie.
    Je me souviens avec nostalgie des heures passées à trouver de jolies phrases à écrire de mon mieux sur des cartes choisies avec plaisir.Et puis, le lever matinal du jour de l'an car nos grands-aînés , levés eux aussi de bonne heure- attendaient impatiemment la visite des plus jeunes: neveux, nièces, cousins qui se croisaient en cours de route autour d'une table,devant les galettes empilées dans un grand plat." Une petite goutte de sucrée pour les femmes? Un coup de sec pour les hommes?"Les bouteilles ne passaient pas la journée.Et puis, il n'y eut plus que les aînés et moins de famille à retrouver .Cousins , cousines aux prises avec la vie, ont moins de temps à consacrer aux effusions annuelles. Aujourd'hui, mon mari et moi sommes "les aînés" et seuls nos enfants sont heureux de venir animer cette journée particulière.Notre famille est nombreuse mais chacun vit sa vie de son côté.Nous ne sommes pas fâchés , nous sommes seulement "trop occupés" et nous trop âgés !
    Chaque année, la première carte livrée par le facteur, est c elle envoyée par ma soeur ( 10 ans plus jeune) qui a fait sa vie sans moi, qui habite à 1km, dans le même village et qui chaque année avec ponctualité, nous souhaite le meilleur pour la nouvelle année!Ainsi va la vie! Répondre à cette carte ,je l'avoue,me coûte énormément.
    Je continue d'acheter de jolies cartes que je garde pour les occasions particulières.Mais je reconnais que comme beaucoup d'entre nous, j'use et parfois abuse du courrier électronique.
    Imagine que je t'écris sur une belle carte choisie avec soin et plaisir( ou mieux encore confectionnée par moi): Chère Michelaise, je forme des voeux pour que cette année qui commence soit généreuse à ton égard, qu'elle partage ses bienfaits avec tous ceux qui te sont chers, qu'elle te les garde proches et attentifs.Que ta plume reste bavarde , cultivée et parfois légèrement frondeuse. La grippe est passée, je peux t'embrasser sans te faire courir de risque! Belle année 2015!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ta jolie carte enluminée d'affection et d'amitié virtuelle, elle est aussi précieuse que l'aurait été ton "carton", et elle restera longtemps dans mes archives, celle du blog, très solides, peut-être plus sûres qu'une boîte à chaussures.
      Je trouve cependant très jolie cette tradition de la carte que ta soeur, habitant à 1 km, et qui arrive toujours la première !!
      Merci pour ce long commentaire

      Supprimer
    2. Et bien tu vois, je ne comprends pas pourquoi elle envoie ses voeux à quelqu'un qu'elle a balayé de sa vie.:-)

      Supprimer
  5. Si je n'étais pas certain que vous ayez plus de déraison que de bon sens je me dirais que votre article est un brin nostalgique d'un temps où les petites cartes postales écrites avec le petit stylo Bic bleu un peu bavant, vous apportaient des nouvelles. Et puis... paf ! Dans la boite à godasse... et peut-être des années plus tard.... D'accord, c'est un vrai moment pour compter ses amis (vrais) mais au lieu de les ranger dans un tiroir ou une boite à chaussure, vous pouvez les ranger (les électroniques) simplement dans la tête...
    Allez... à Bon sens et Déraison et à tout ceux qui gravitent autour... Bonne année même si c'est sous forme électronique !
    Michel de Lyon

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Beurk, je déteste les Bics qui bavent, cela me remplit d'un dégoût inexpliqué !! Bref, vous m'auriez pas aimé voir votre jolie carte remisée à la boîte à chaussure ... et je vous comprends, mais elles mettaient un certain temps avant d'y échouer, rassurez vous, elles faisaient décor puis tiroir de bureau longtemps avant. mais basta et, comme vous le dites, faisons fonctionner notre mémoire ... informatique. Une simple recherche sur un mot ou un nom, et on retrouve à tout moment les missives reçues... et, vu la teneur de certaines missives, les conseils que parfois on vous y dispense ou les drôleries dont on vous abreuve, cela vaut le coup de garder sous la main certains courriers !!! Bonne année au lyonnais !!!

      Supprimer
  6. Ben Michelaise c'est quoi ce coup de nostalgie ? C'était bien mieux avant ? Le regret des images et des paillettes ? Des boîtes à chaussures pleines de baisers et de formules stéréotypées, comme maintenant d'ailleurs. Moi qui suis une adepte des puces, combien ai-je trouvé de cartes de Noël toutes en paillettes, en fleurs en sapins de Noël, en houx, en gui l'an neuf, en je t'embrasse, portez-vous bien, je le fais parce que c'est la mode sociale, parfaitement inutiles et oubliées dans des boîtes en carton, directement mises à la poubelle par les héritiers de tous âges...

    Moi qui n'ai jamais mis la tranche de la carte à paillette sur le dessus de ma cheminée (que je n'ai pas), je me suis mise à la carte carton très tard, moi aussi, très longtemps je trouvais totalement désuet ce genre de tradition qui ne correspondant jamais à la sincérité des sentiments, l'usage voulait qu'on le respecte, je ne savais pas pourquoi... Un truc de vieux...

    Aujourd'hui, l'usage n'est ni plus bête ni plus intelligent sans doute, mais je m'y suis mise avec amusement et rien n'est plus touchant que de recevoir des mots qui font souvent mouche dans mon coeur, finalement j'adore les voeux qui remettent en selle des amitiés un peu diluées avec le temps c'est vrai, mais finalement quelque fois bien réconfortantes... Pour les amis, les familiers, ceux qui comptent pour moi, j'aime bien trouver les mots qui vont les touchers car je les aime.

    Aujourd'hui, rien ne nous oblige au diktat technologique, ne rien envoyer, ne rien recevoir peut demeurer la règle dans les relations humaines, mais moi j'y trouve toujours de l'intérêt et souvent de la poésie dans les envois que je reçois toujours avec plaisir... Je n'ai jamais reçu de voeux de personnes inconnues... Plus je vieillis, plus je deviens moderne, c'est drôle :-))

    Michelaise je te souhaite de recevoir beaucoup de mots savoureux et amicaux, des vrais, des touchants de ceux qui resteront un peu dans un coin de ta tête...

    Grosses bises à toi et belle belle année...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bah Danielle, il fallait bien trouver une formule pour ce billet de nouvel an, et comme je suis en plein rangement, croulant sous les boites d'anciens courriers, j'ai trouvé là matière à nostalgie facile et à prose ronronnante !!
      Tu as raison, peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, pardon, peu importe la forme pourvu qu'on ait l'amitié !! Reçois à ton tour mes voeux, banals et convenus certes, mais vraiment amicaux ...

      Supprimer
  7. Je remise les cartes de voeux et toutes les autres dans des boites "IKEA" un peu plus jolies que des boîtes à "chaussures",mais je viens d'y faire un tri sérieux.Ainsi peut-être ne finiront-elles pas à la poubelle.... comme dit Danielle.
    Très belle année à vous !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Au moins Marie Claude, votre boîte plaira à l'ami Michel de Lyon, qui n'a pas trop aimé la boite à chaussures michelaise.
      Tous mes veux à vous pour cette année nouvelle et bien carrée, 2015 cela fait sérieux non ?? amitiés

      Supprimer
  8. Pour ma part, j'aime envoyer de "vraies" cartes de voeux et prendre le temps de les "fabriquer" grâce aux nouvelles technologies.
    Un petit "mixe" d'ancien et de nouveau en quelque sorte !
    Bises et belle année,
    Betty.

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...