mercredi 27 mai 2015

Les femmes du jeûne contre la Mafia (juillet 1992)


23 mai 1992 : le juge Giovanni Falcone, pionnier de la lutte contre la Mafia, est sauvagement assassiné à Palerme lors de ce qu'on a appelé le massacre de Capaci. Les membres de Cosa Nostra avaient placé, dans un tunnel d'évacuation des eaux situé sous l'autoroute reliant l'aéroport de Punta Raisi à Palerme, 600 kilos d'explosifs destinés à piéger l'homme et son escorte, un cortège de trois voitures blindées. Il est tué, ainsi que sa femme, Francesca Morvillo, elle-même juge, et les trois gardes du corps du premier véhicule, Vito Schifani, Rocco Di Cillo et Antonio Montinaro.
Lors de leur enterrement, 15 000 personnes crient leur honte et leur chagrin ... Un homme est prostré dans la basilique San Domenico et pendant que le cortège accompagne Giovanni Falcone à sa dernière demeure, la tête dans les épaules, Paolo Borsellino se traîne sous des trombes d'eau jusqu'à sa voiture blindée. Il n'a plus que cinquante-cinq jours à vivre. Et il le sait. Cela fait 5 ans qu'aux côtés de Falcone il lutte contre l'Honorable Société. Le 19 juillet 1992, alors qu'il rendait visite à sa mère, il est tué par l'explosion d'une voiture piégée Via D'Amelio. L'explosion tue également ses cinq agents de police nationale composant son escorte, Agostino Catalano, Walter Cosina, Emanuela Loi, Vincenzo Li Muli et Claudio Traina.


Le 22 juillet, des femmes se réunissent sur la piazza Castelnuovo : elles ne veulent plus attendre passivement la prochaine victime, elles veulent crier leur révolte, leur épuisement, leur colère, elles interpellent les autorités : elles entament une grève de la faim. Ce sont les "donne del digiuno contro la Mafia", ce sont des héroïnes discrètes, anonymes et effacées qui veulent que cette terreur cesse. Elles crient leur faim de justice. Elles exigent la démission des représentants de l'Etat italien, un Etat qui a été incapable de défendre ses meilleurs hommes, engagés pour tenter d'éradiquer la Mafia.



La « traînée de sang » ne s'interrompra pas et entre 1993 et 1994, de Rome à Florence, Milan, puis, à nouveau, à Rome, la Mafia continue à frapper avec une férocité contre tous les « symboles de la nation », aggravant un bilan déjà tragique et continuant de semer la terreur sur l'île. Mais le geste de ces femmes, qui, en prenant de vrais risques ont voulu dénoncer le silence et la complicité de ceux qui, au sein des institutions, aurait pu empêcher les massacres a sans doute permis une prise de conscience plus rapide et plus efficace, et, depuis, les attentats se sont raréfiés. Oh, il reste encore un long chemin à parcourir et la Mafia est toujours vivante, mais cet acte de courage a marqué l'histoire de la Sicile où les femmes, traditionnellement, se taisent et subissent.


En 2012, vingt ans après, un jeune photographe sicilien, Francesco Francaviglia, dont l'oncle avait été tué par la Mafia, a voulu enquêter sur les circonstances forcément mystérieuses de la mort de ce dernier. C'est à cette occasion qu'il a rencontré d'anciennes manifestantes du jeûne, qui lui ont raconté l'épisode. Ce qui lui a donné l'idée de ce superbe hommage en portraits. Certaines de ces femmes étaient dès 1992 à visage découvert : ainsi Pina Maisano Grassi, épouse de Libero, l'entrepreneur tué parce qu'il se révolta contre le racket, Simona Mafai, leader historique du Parti communiste local, la photographe Letizia Battaglia et l'ancien maire de San Giuseppe Jato, Maria Maniscalco. Michela Buscemi, connue pour avoir osé réclamer des dommages-intérêts lors d'un procès en 1985 après l'assassinat de ses deux frères, et Luisa Morgantini, ancienne vice-présidente du Parlement européen, et aussi la chanteuse Giovanna Marini, venue de Rome pour participer à l'initiative des femmes parlemitaines.


Mais d'autres devaient rester anonymes pour ne pas courir trop de risques : elles résistaient au quotidien, dans la classe d'une école, dans un bureau, dans un quartier difficile ... On peut les nommer maintenant : Bice Salatiello, Virginia Dessy, Anna Puglisi ... Au total 31 femmes ont accepté d'être portraiturées par Francaviglia et ainsi que soit immortalisée leur révolte silencieuse.


Il les a toutes rencontrées longuement, il a parlé avec elles et les a ensuite photographiées en cadrage resserré, dans une lumière crue. Elles font face à l'objectif sans timidité, et leur visage émerge sans fard d'un fond noir - pour évoquer le silence qui, aujourd'hui encore, entoure la vérité sur les massacres. Leurs rides et les marques du temps témoignent d'une longue histoire d'engagement civique. Elles sont belles et fières et leurs yeux mélancoliques portent à jamais les traces de leur tristesse. L'exposition a été installée en octobre 2014 à la Galerie des Offices de Florence (1) : c'était la première fois que cet illustre musée accueillait une exposition photographique. Elle veut forcer le silence qui entoure les affaires judiciaires liées à la lutte contre la Mafia et ces femmes, 23 ans plus tard, disent encore paisiblement leur colère et rappellent leur message symbolique : elles ont toujours faim de justice.


(1) Nous l'avons vue à Forlimpopoli où elle se tient actuellement.

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