samedi 11 août 2007

IKEA SPIRIT

Ou quand l'égalitarisme se pare des plumes de l'individualisme
La première fois où j’ai entendu parler d'un magasin Ikea c’était par mon ami Fred qui, rentrant en Espagne avec celle qui allait de venir sa femme, se proposait de s’arrêter à Bordeaux pour y faire quelques achats. Cela date donc d’une dizaine d’années environ. Il faut longtemps pour que les nouveautés atteignent nos campagnes ! J’ai mis, malgré l’enthousiasme général affiché pour cette enseigne, plusieurs années avant de m’y rendre moi-même pour la première fois. « On » m’avait vanté l’ambiance, le choix, l’économie, le côté convivial et sympathique du magasin, et « on » m’assurait que vraiment c’était un concept vraiment séduisant. J’avoue que, lors de ma première visite, j’ai carrément piqué une crise existentielle, une véritable révolte contre le chemin imposé, balisé étroitement et savamment agencé pour obliger le consommateur potentiel à devenir, sinon consommateur compulsif, mais au moins acheteur minimal. Sauf à avoir oublié sa carte bleue, son carnet de chèque et même son porte-monnaie, car quelques piécettes suffisent à se faire plaisir, ou à être totalement et définitivement fauché, on ressort toujours avec un objet voire plus, même si on est venu en simple curieux. J’ai passé obsessionnellement ma première visite à chercher les passages courts, pour fuir au plus vite, mais je crois, en toute honnêteté que je suis, même ce jour-là, partie avec un truc inutile et génial dont j’ai certainement fait le meilleur usage depuis. Car, il faut bien l’admettre, on trouve des articles astucieux, pratiques, bon marché et même de qualité chez Ikea. Soyons clairs, mon propos n’est pas de dire du mal d’Ikéa, j’y ai acheté deux cuisines, des canapés, des bibliothèques et des tas de gadgets hyper commodes et je ne m’y suis pas ruinée. Je reconnais que c’est génial pour s’installer, voire plus si affinités.
Le concept Ikea, vous connaissez : « Tout sous le même toit à des prix bas ». Le style : des meubles simples, fonctionnels et faciles à vivre, des matériaux et des textiles naturels, conjugué avec une réelle originalité et un bon goût rarement prix en défaut. Les modalités : c’est le kit, qui permet de réduire au maximum de coût du stockage et de faire supporter au consommateur les frais de montage et en grande partie de livraison. La gamme évolue sans cesse, l’inventivité est réelle et les gadgets correspondent souvent à un besoin réel. Le tout pour des prix défiant toute concurrence. A cela s’ajoute la fameuse culture d’entreprise de la marque, enthousiasme, volonté de renouvellement, conscience du prix, humilité et simplicité. Avec ces principes, admis unanimement par les foules qui envahissent ses rayons, Ikea affirme « faire du consommateur l’artisan de son propre bonheur » (carrément), lui propose tous les outils et toutes les aides possibles pour le seconder dans son travail créatif, du catalogue aux logiciels de conceptions en 3D qui permettent de simuler et de chiffrer son projet, en passant par les espaces de « mise en scène » qui fourmillent de bonnes idées. C’est vrai que c’est absolument génial. Pour compenser le coût du montage transféré vers l’acheteur, la marque offre de nombreux et incontestables services : facilités de paiement, conseil, retour de marchandises aisé, et même restauration, garde d’enfants etc… Car aller chez Ikea c’est passer une journée complète dans un environnement unique où tout est conçu pour vous inciter à rester le plus longtemps possible.

Et c’est là que le bât blesse. Car finalement, sous couvert d’une philosophie de l’économie qui n’est que marketing déguisé, d’une éthique forcenée consacrée par un « code de conduite » aux multiples engagements envers ses fournisseurs qui n’est qu’un prétexte à publicité supplémentaire qu’aucun audit ne vient vérifier (on a le sens du secret chez Ikea), sous couvert d’un égalitarisme de bon aloi mais qui n’est que prétexte à réduire les coûts au maximum (avez-vous lu la prose édifiante qui vous invite à desservir vous-même votre table ?), Ikea a un objectif et un seul : provoquer l’achat, inciter à entasser un max de choses dans l’immense cabas jaune auquel s’ajoute, revenu au rez-de-chaussée, le chariot aux dimensions imposantes sans lequel la fin du périple est impossible. Et s’il vous prend envie de faire pipi au milieu du voyage imposé ? Faut parcourir au pas de charge les rayons vous séparant de la sortie, et refaire le tour en recommençant par le début. Et tout cela n’a qu’un but, favoriser les achats impulsifs et entraîner une sur consommation dont l’entreprise est la première bénéficiaire. Tout est très bon marché, mais décomposé, empilable, modulable, et d’euro en euro, on a toujours une drôle de surprise en passant à la caisse. Il y a du subliminal dans les méthodes de persuasion clandestines employées pour provoquer l’acte d’achat. Tout cela a été étudié et décortiqué par de nombreux auteurs (je cite seulement le titre le plus drôle : IKEA : un modèle à démonter, par Denis Lambert, Jean-Marc Caudron et Olivier Bailly, Editions Luc Pire, Bruxelles, sept. 2006, 108 p.)
Quant à moi, vous l’avez compris, j’ai accompagné Gilles qui est en train d’équiper sa nouvelle maison, et j’ai ressenti comme à chaque fois une vraie fureur qui me donne envie de m’insurger contre le parcours obligé. J’ai dû faire preuve d’une grande volonté et appelé à la rescousse mes souvenirs très récents d’envahissement post déménagement pour résister à la tentation d’une superbe enveloppe de couette alors que j’en ai 20 autres, d’un magnifique système de rangement alors que je viens d’en jeter 12, d’un petit meuble de salle de bain tellement plus astucieux que le mien… Malgré cette farouche résistance, j’ai acheté très exactement le double des objets prévus, ces achats supplémentaires n’ayant cependant rien de superflu, c’est sûr que je m’en servirai J’ai mangé suédois, ce qui n’a rien de bien exaltant quoi qu’on dise, supporté les braillements des gamins que le concept n’enthousiasme guère, fait la queue un peu partout, et à la sortie pas de doute, Ikea gagne toujours… En prime, j’ai même décidé d’équiper mon arrière cuisine en meubles ingénieux, grâce au logiciel de conception assistée par ordinateur qui m’offre tant de variantes et éclaire mon futur d’un bonheur intense !!! Et j’y retourne bientôt. Histoire de râler encore et de me soumettre avec bonne humeur au « concept Ikea » !


1 commentaire:

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