vendredi 25 janvier 2008

LE SUBLIME MATHEMATIQUE

"On appelle sublime ce qui absolument grand, et en comparaison de quoi tout le reste est petit. Il suit de là que le sublime n'est pas dans la nature, mais dans les idées. Le sublime est ce dont la seule conception atteste dans l'âme la présence d'une faculté qui surpasse toute mesure des sens."
Comment déterminer qu'une chose est grande, petite ou moyenne ? L'estimation des grandeurs par des nombres est mathématique, celle par la simple intuition est estéthique, nous répond Kant. On peut, ou on est censé pouvoir, évaluer objectivement une grandeur mathématique dès lors qu'on est susceptible de concevoir sa valeur en la comparant à d'autres connues. Il y aurait donc une certaine universalité à cette notion de grandeur, quoique Kant admette qu'en général notre capacité d'estimation se révèle plus empirique qu'universelle. Kant oppose à ce sublime mathématique, le sublime dynamique qui se mesure par la simple intuition et qui est de nature esthétique, produisant une émotion que le sublime mathématique est incapable de faire naître.

Bon, alors restons au ras des pâquerettes, et surtout ne perdons pas notre sang-froid. Avez-vous remarqué que chaque matin, les informations nous apportent un lot de quantités d'euros variables, parfaitement mesurables, et à propos desquelles les commentateurs entendent, justement, provoquer chez nous une émotion, soit d'admiration soit, le plus souvent, d'effroi.

Prenons ces derniers jours : à l'issue du procès d'indemnisation à la suite du naufrage de l'Erika, les "pollueurs" ainsi qu'on aime à les nommer, ont été condamnés à verser 192 millions d'euros, alors que les victimes réclamaient un milliard. Bon, vous, 192 millions d'euros ça vous semblait pas si mal, mais, vrai, comparé à un milliard (oups, vite un calcul, à peine un cinquième) ça fait rapia !!!

Le lendemain matin, oublié l'Erika, il n'est plus question que du plan banlieue, pardon "espoir banlieue"... Aïe, c'est quoi ce changement de nom ??? Un intrépide, qui se mêle de mesurer autre chose que les euros, souligne au passage que remplacer "plan" par "espoir", cela revient à revoir les ambitions à la baisse... Laissons à ce trublion la responsabilité de ses remarques désobligeantes (!!) et tenons-nous en aux chiffres... puisque Kant nous affirme que nous sommes aptes à les comprendre par la mesure. Est-il sublime (car grand, donc respectable en nos temps où tout se mesure en monnaie sonnante et trébuchante) ce projet d'aide aux banlieues ? S'il n'y avait pas eu l'histoire de l'Erika la veille, moi il me semble qu'un milliard d'euros cela m'aurait impréssionnée. Ma jauge élevée étant de l'ordre du mutiple de 1000 euros, en gros, un milliard, ouf, c'est pas mal... Mais tous comptes bien comptés, finalement, comparé à l'indemnisation suite aux dégats du pétrolier, ça fait un peu radin un petit milliard de rien du tout... Enfin, c'est preuve de bonne volonté, mais sans doute, comme à l'ordinaire ne se donne-t-on pas les moyens de sa politique... discours redondant, d'ailleurs : moi vous savez je suis fonctionnaire, et on dit toujours cela dans la fonction publique, où nous n'avons aucune idée des l'ampleur de nos budgets mais où on nous refuse toujours quelques dizaines d'euros pour des dépenses indispensables. Samedi dernier j'étais au salon Passerelle à La Rochelle, vous savez ces salons où les établissements présentent aux futurs bacheliers leurs formations. Partout des stands attrayants, les boîtes de formation privée ont les moyens, affiches, musique, comptoirs décorés, vidéos, animations diverses. Au fond, une double rangée de petites cases austères, les lycées d'enseignement plublic, beaucoup plus sobres, une ou deux affiches de travers, une table et quelques profs de bonne volonté, chargés d'expliquer aux parents inquiets tous les bienfaits de quelque BTS prometteur. Et au fond du fond, le dernier stand, celui du lycée de Pons, où nous avions pour tout brouet des affiches de papier collées avec force bulles disgracieuses sur des cartons qui alignaient notre offre pourtant importante, puisque qu'en plus des BTS en question nous offrons même, entièrement gratuitement, deux licences. La honte ! La seule consolation c'est qu'on le remarquait, notre stand, tant il était minable ! Et tout cela parce qu'il avait été déclaré qu'on n'avait pas les moyens de faire mieux. Il ne me restait plus qu'à expliquer aux parents compréhensifs qu'il ne fallait pas se fier aux apparences... En ces temps de communication médiatique outrancière et tapageuse, léger comme argument !! Mais j'ajoutais pour faire bon poids qu'on restait soucieux de ne pas gaspiller les fonds publics dans d'inutiles fioritures, et que l'important n'était pas dans les affiches ! Ouf !

Mais je m'égare... Mon sujet était me mesurer aux euros ! Un milliard pour le plan banlieue, donc, correct ou trop peu ? Et voilà que ce matin il n'y en a que pour le trader de la Société Générale qui a détourné 5 milliards d'euros... Ou 7 selon les sources.... Allez savoir. Et nous voilà confrontés à un autre ordre de grandeur qui rend dérisoire le milliard de Fadela. Si vous ajoutez à cela les problèmes liés aux subprimes, entre la banque HSBC qui a annoncé lundi avoir consititué une provision de 9 milliards d'euros pour couvrir ses pertes, somme négligeable au regard des 600 milliards de crédits immobiliers avec subprime accordés aux Etats Unis en 2006, vous êtes noyé dans les échelles de valeur... Tous ces milliards, ça soule. Et moi, je vous avoue bien humblement que passé un million d'euros, une maison très luxueuse valant peu ou prou cette somme là, je ne sais plus où j'en suis. J'essaie de rapporter les infos les unes aux autres, pour savoir si, comme on me l'indique, je dois m'indigner, m'inquiéter ou m'esbaubir. Mais cela reste totalement virtuel. Encore que, si l'on m'ajoute que la Bourse s'effondre, et le lendemain se relève, je suis censée réagir. Mais quand il apparait que les spécialistes eux-mêmes barbotent dans le flou monétaire, et que les milliards du trader ont disparu dans la nature par un effet de passe passe informatique, je suis abasourdie. Je décroche.

Et pourtant, c'est le sort de ces milliards évaporés, détournés, accordés, ou dispensés qui régit notre quotidien. Indirectement certes, mais comme les 100 dolars du baril de pétrole, ils nous gouvernent. L'air du temps est tel que nous avons du mal à échapper aux conséquences de variations mathématiques globales dont nous avons un mal infini à mesurer les effets, faute d'en comprendre la portée réelle. Nous sommes donc réduits à suivre le sens du vent médiatique et à nous extasier quand on nous annonce que c'est superbe, et à déplorer de concert ce qu'on nous présente comme dérisoire. Le sublime mathématique de Kant se déforme au gré des commentaires journalistiques, et nous citons des sommes énormes sans même nous rappeler s'il s'agit de millions ou de milliards. Faites l'expérience, demandez autour de vous à combien s'élève le plan de Madame Amara... ou le montant des fonds détournés par Kerviel à la Société Générale, détournés ou volatilisés...

Alors, pour en revenir à Kant et à son distingo entre appréhension et compréhension, il nous propose pour comprendre son propos l'exemple des pyramides dont "il ne faut ni trop s'arrpocher ni trop s'éloigner... pour éprouver toute l'émotion que cause leur grandeur". Alors restons dans un juste milieu et délaissons le sublime mathématique pour nous consacrer à ressentir le sublime dynamique, dont l'expression et la source sont en nous. Et (l'exemple est de Kant) le ciel étoilé sera sublime, non à cause de la complexité du système innombrable d'astres qui le compose, mais en tant que voûte céleste, que notre âme, notre corps, nos sens éprouveront dans toute sa plénitude à un moment qui pour nous prendra la marque du bonheur. Et surtout pas parce qu'un journaliste labelisé "vu à la télé", nous aura enjoints de nous extasier sur sa multitude et son importance réelle ou supposé. Allez savoir combien il y a de milliards d'étoiles au firmanent !!!!

PS vous connaissez, j'imagine, le site de google qui a numérisé de nombreux ouvrages... On y a trouve "La critique du jugement" de Kant in extenso et tout ce qu'on veut ou presque, moins encombrant que les livres. Voir la photo du précédent article...

2 commentaires:

  1. Excellent article, bien que Kant m'hérisse les cheveux (1er licence de philo oblige).

    Bien à vous,
    Matthias

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  2. Merci Matthias... j'avais oublié cet article, et depuis la valse des millions, des milliards et autres fariboles nous a fait danser, tourner, virevolter !!! On ne sait décidément plus où on est est... et parfois on a envie de revenir au troc basique, ou simplement à d'autres valeurs !

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