Quand vous étiez petites, j’ai commis à votre égard deux énormes forfaits : non contente d’avoir énergiquement omis de vous emmener à Disneyland (mais Hélène a depuis réparé cet oubli majeur !), j’ai non moins obstinément refusé de vous offrir des poupées Barbie. Peut-être en avez-vous eu tout de même une offerte, par quelque amie compatissante, mais tout de même la faute est là ! Alors que, moi-même, à votre âge, j’avais bénéficié dès sa sortie sur le marché de cette merveilleuse poupée qui fit révolution chez les petites filles des années 60… Elle avait même une tête interchangeable, avec plusieurs coiffures, et plusieurs superbes tenues qui me ravissaient. D’ailleurs, quand il s’est agi de faire le tri dont ce journal s’est longuement fait l’écho, je n’ai pas eu le cran de la jeter ma vieille Barbie !
Bref, mes réticences étaient théoriques et dérisoires, on est vraiment très dogmatique parfois quand on est parent, mais je voulais à tout crin vous épargner les rêves en rose Barbie, pour faire de vous des femmes libres, autonomes et indépendantes. Faut-il en conclure que, ayant eu moi-même un asservissement précoce au schéma standardisé de cette femme aux mensurations hypertrophiées, aux yeux démesurés et au regard faussement ingénu, j’ai versé dans de pareils travers (la vision rapprochée de ma tête hilare et de la poupée de Dior, démontrent en attendant qu'un nouvel article vienne nous séparer, qu'on en est loin !!!) ? Une telle inquiétude était purement formelle et je reconnais volontiers que mes réticences n’avaient aucun sens. C’était méconnaître votre capacité à résister aux stéréotypes !
Toujours est-il que le modèle est loin d’être mort et que même, il a connu depuis 1959 année de son apparition, de nombreux et envahissants développements. Le dernier en date, qui m’a vraiment scotchée sur mon écran, est traduit en chair et en os dans la collection automne-hiver 2008-2009 de Christian Dior, dont je vous propose la visite en le long d’images proprement stupéfiantes :
Un look baby doll des années 60 totalement décadent, des maquillages copies conforme de la tête de la poupée, et, plus étonnant, des morphologies aussi hallucinantes que celle des modèles en plastique. Morphologie dont j’avais pourtant toujours entendu dire qu’elle était physiologiquement impossible. Le contraste avec une série de livres policier qui se déroulent au Botswana, m’a saisie. Le Botswana, c’est un projet de voyage que nous a inoculé Marc, ravi par son expérience passée dans les lodges du delta de l’Okavango… et ayant découvert cette série consacrée à une certain Mma Ramotswe, directrice de l’Agence numéro 1 des Dames Détectives, j’ai craqué !! C’est savoureux, plein d’humour et d’humanité, écrit par un britannique qui a grandi et vécu longtemps au Botswana, et auteur par ailleurs du Code Pénal de ce pays.
Mma Ramotswe se pose, au long de ces livres dont les anecdotes sont reprises en boucle, un peu comme dans les contes pour enfant, de nombreux problèmes moraux sur l’évolution sociale de son pays, et sur les méfaits que la société de consommation fait naître chez un peuple tellement traditionnel. Un de ses soucis permanents concerne la morphologie féminine, car Mma Ramotswe est de « constitution traditionnelle » et elle en est très fière. Le jour où un homme a la mauvaise idée de se cacher sous son lit, il manque très précisément de périr étouffé, risquant ainsi comme le lui rappelle gentiment sa tyranique amie Mma Potokwane de commettre un homicide involontaire. Elle est donc totalement éberluée par l’intrusion dans son territoire des préoccupations diététiques des jeunes femmes qui l’entourent et ne parvient pas à comprendre comment elles peuvent se livrer à de telles folies. Je ne peux pas résister au plaisir de vous livrer quelques lignes de ses réflexions sur le sujet :
« Mma Ramotswe avait pleinement conscience des difficultés que rencontraient désormais les personnes de constitutions traditionnelle, surtout les felles. On avait connu au Botswana un temps où personne ne prêtait attention aux gens minces. Parfois, on ne les voyait même pas du tout, puisque le regard pouvait passer facilement à côté. Quand une personne mince se tenait dans un paysage constitué d’herbes et d’acacias, ne se fondait-elle pas dans le décor et ne pouvait-on pas la prendre pour un morceau de bois, ou même une ombre ? Les individus de constitution traditionnelle ne couraient pas ce danger : ils se détachaient dans le décor avec la même distinction et la même autorité que les baobabs.
Dans l’esprit de Mma Ramotswe, il ne faisait aucun doute que le Botswana devait revenir à ces anciennes valeurs, qui avaient toujours nourri le pays et fait de lui la meilleure nation d’Afrique. Ces valeurs-là étaient nombreuses, et parmi elles figurait le respect du grand-âge – en particulier des grand-mères, qui connaissaient beaucoup de choses et avaient été témoins de maintes souffrances – et des personnes de constitution traditionnelle. C’était bien beau d’être une société moderne, mais la prospérité et la croissance des villes constituaient une coupe empoisonnée qu’il fallait boire avec mille précautions. On disposait certes de tous les bienfaits qu’offrait le monde moderne, mais à quoi servaient ceux-ci s’ils détruisaient tout ce qui vous avait donné la force, la fierté et le courage vis-à-vis de vous-même et du pays ? Mma Ramotswe était horrifiée par exemple, de lire dans les journaux des articles présentant les gens comme des consommateurs. Non, les gens n’étaient pas des consommateurs gloutons qui agrippaient tout ce qui leur passait à portée de main ; ils étaient des Batswana, ils étaient des êtres humains »
Le style, vous le voyez est simple et sans emphase, les préoccupations des personnages quotidiennes et pleines de bon sens. Si l’on ajoute à cela la façon dont l’auteur répète comme des leitmotivs les rares détails savoureux qui font le relief de la vie bien débonnaire de ses héros très ordinaires, on se trouve devant une littérature sans doute inspirée de la tradition orale africaine, délicate et pleine de charme. Toujours est-il que, dans les préoccupations majeures de Mma Ramotswe, figure en bonne place le bétail richesse et fierté du Botswana… Et savoir juger une bête, apprécier sa santé et son état fait partie des connaissances traditionnelles qui, à son grand désarroi, se perdent ! Mais rassurez-vous, Hélène, qui n’a pas eu de poupée Barbie, a trouvé la parade à l’air délétère de notre 21ème siècle : hier elle est allée voir les meeuhh (je cite) au Salon… Et elle s’est bien amusée, enfin sans doute plus qu’à un défilé de Dior !! Car elle n’a pas vu que les vaches… « Y avait aussi de petites dégustations à négocier, alors c’était vraiment bon !! On s’en est mis plein les papilles ! ». Voilà qui ferait plaisir à Mma Ramotswe !
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