lundi 14 avril 2008

DOPO IL PONTE

Ce matin, le soleil nous invite aux îles, direction Torcello. Avant l’embarquement, il me prend le besoin d’un stylo et d’un carnet pour profiter de la traversée afin d’écrire quelques idées pour le Petit Re… Je demande où trouver un tabac à un vendeur de souvenirs, il me répond tout sourire « Dopo il ponte »… Réplique universelle ici, voilà 4 fois qu’on me fait ce type de réponse, à chaque demande de renseignement. Vous pouvez l’utiliser vous-même sans crainte de tromper quiconque lorsqu’on vous demande une direction. Vous tendez une vague main vers un horizon approximatif et répondez sans sourciller « dopo il ponte », et tout est dit.

A Torcello, la magie agit toujours, c’est en ce qui me concerne mon refuge préféré à Venise. Il suffit de s’enfoncer dans les marécages derrière Santa Maria Assunta, ou de monter en haut du campanile pour avoir l’impression soudain que la ville oubliée palpite et qu’on se sente absorbé par une grandeur passée qui a disparu.

Après avoir pirouetté et virevolté sur les marbres arrondis du pavement cosmatesque qui se déploie comme un grand jeu d’enfant, on se sent soudain écrasé devant l’immense arc de mosaïques qui promet aux pécheurs les tourments d’un enfer proportionné aux fautes commises.

On sait que si on passe sous cette voute où jouent mille couleurs menaçantes, on devra affronter un monde difficile et grossier. Et pourtant dehors la lumière éclate, joue sur les pierres sages, s’enfonce dans les roseaux, ricoche sur les flaques d’eau stagnantes et c’est comme si tout redevenait vivant de ce qui fut une ville prospère et maintenant oubliée. Torcello est pour moi la plus belle évasion vénitienne, celle du triomphe du temps sur le désespoir, celle d’une nature enfin retrouvée, sauvage et lagunaire. Bien sûr la file obligée de touristes bavards pour joindre l’église depuis l’embarcadère a quelque chose de fâcheux, mais nous avons eu la chance en arrivant tôt un lundi d’y échapper, et de parcourir l’île en toute quiétude. Et par un drôle de miracle cette quiétude s’est poursuivie tout au long de la splendide matinée que nous y avons passée, avant de décider d’y déjeuner tardivement dans le jardin tranquille de la villa 600. Après une friture de poissons toute en légèreté, arrosée d’un petit blanc du Frioul bien sympathique, moment de détente sur cette terrasse ensoleillée et sereine, avant de repartir vers la civilisation agitée et factice.

Retour vers Burano où la traversée obligée des magasins à touristes et à dentelles chinoises est de nouveau un vrai pensum. Burano, nous l’avons connue moins affectée, Michel pense que c’est l’effet de la peinture acrylique qui lui donne un air trop brillant, mal adapté à l’ambiance en demi-teintes de la lagune. Les dentelles de pacotille et les masques figés s’étalent sur avec insolence sur le chemin balisé, et nous avons foncé vers l’embarcadère qui fait face à l’île aux cyprès pour tenter d’y trouver une barque à destination du couvent franciscain. Les natifs interrogés nous dirent que plus personne n’assurait le trajet depuis longtemps et qu’il fallait prendre un taxi, mais de taxi, point.

Nous avons donc déambulé dans les ruelles multicolores de l’île avant de reprendre le vaporetto vers Murano. Dans le genre Perrette, ou plus moderne « les toilettes du pape », Michel s’est construit un plan juteux pour la retraite : venir s’installer à Burano, non, à Mazzorbo juste à côté après réflexion ! C’est plus calme et il y a des jardins partout. Et avec une petite barque se faire « des tunes » en assurant le transport des touristes en mal d’originalité, vers San Francesco. Il se voyait tout à fait en petit vieux « trentolant », manœuvrant vaille que vaille son esquif chargés de curieux vers l’île où il attendrait ses troupes en discutant d’éternité avec un moine franciscain (ce besoin d’éternité c’est un effet retard de la grande mosaïque de Torcello !!). Il a été décidé que je resterais à la maison pour préparer la pasta, puis, plus tard comme je protestais que même en la faisant « a mano » la tâche risquait de me laisser beaucoup de loisirs, que nous assurerions le transport à tour de rôle. Il assure qu’il aura plus de succès que moi grâce à sa barbe et à son air sérieux, et surtout à ses tarifs : 60 euros l’aller et le retour gratuit. Ben voyons, déjà de la concurrence déloyale !

A Murano, nous avons accompli le tour du parfait touriste : désireux de trouver quelques cadeaux pour le retour, nous avons en effet consciencieusement visité de nombreuses boutiques, et fait la moue sur des monceaux de verroteries criardes. La ville a orné les places d’immenses sculptures de verre : l’eau, le feu et autres éléments qui alignent leurs teintes éclatantes le long des quais déserts. Nous avons revu avec plaisir les églises de l’île, surtout San Damiano, son pavement cosmatesque et son abside d’une élégance presque excessive, tant elle est « décorative », inoubliable en tout cas.

Comme est inoubliable le strudel de la petite boulangerie située au bout du quai qui lui fait face et dont Michel se souvenait parfaitement. Chance, malgré l’heure tardive il restait quelques unes de ces délicieuses pâtisseries gorgées de fruits secs et de pommes, dont la saveur est la digne concurrente des gâteaux juifs de Rome !

Retour tardif sur la lagune, où après un détour intempestif par la Guidecca, après avoir confondu deux arrêts, nous avons opté pour une soirée pasta à la maison.

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