samedi 28 juin 2008

AMOUR AMER

Soleil couchant sur l'estuaire, litanie régulière de la mer qui monte doucement, aubade insatiable des pinsons planqués dans les pins, voilà le cadre rêvé pour une lecture d'extraits d'Amers de Saint John Perse, hier soir aux grottes de Matata.
C'est une des bibliothécaires bénévoles de Meschers qui avait eu cette idée. Accompagnée de ponctuations à la guitare pour lui permettre les enjambées d'un passage à l'autre ou simplement de reprendre son souffle, elle nous a lu avec délicatesse et modération quelques pages de ce long poème du diplomate écrivain à ses heures. J'avoue avoir été agréablement surprise par son interprétation du texte : alors que je la croyais trop fluette pour le souffle épique de ces vers incantatoires, elle a impulsé aux mots une fragilité, une musique discrète qui finalement en gommait fort avantageusement l'emphase et les effets extrêmes.
Certes il est indéniable que la langue est somptueuse, les tournures riches et travaillées, le rythme lyrique et volontiers féérique. Les mots, choisis avec un soin extrême, ciselés, travaillés jusqu'à une sorte de préciosité savante, enveloppent, développent et s'étirent avec une volupté luxuriante. Mais la dame qui disait en sortant que cela avait vieilli, n'avait pas tout à fait tort. Cette débauche de sons, cet envoûtement habilement construit, cette générosité lexicale finissent pourtant par paraitre factices. C'est tellement exacerbé que cela frise la saturation. Le ton, qui se veut biblique, voire prophétique, donne parfois l'impression de verser dans une forme obscure de rhétorique poétique. Cela se veut savant, cela fait vieil érudit grec en mal de références. Est-ce l'intellectualisation inévitable des passions émoussées d'un homme qui avait 67 ans quand il a terminé ces lignes qui privent ce texte pourtant érotique de toute véritable passion, et qui nous laissent lassés quand nous devrions être émus ? C'est sur-écrit et somme toute cela finit par être un peu surfait. Qu'on ne s'y trompe pas, l'idée d'en faire une lecture était excellente car ces mots demandent le son pour être savourés, et même s'il est parfois difficile de suivre les déambulations de ces phrases sans fin, il y a un tel travail sur la polysémie que l'oreille y trouve son compte. C'est le cœur qui reste un peu sur la sable, noyé par trop d'intensité affectée.
Notre passeuse de mots avait choisi de centrer sa lecture sur la partie centrale du poème, dialogue entre les Amants, flambée lyrique faites d'échos thématiques et sonores, sans doute la plus imagée et de fait, la plus connue. Mais ce faisant, elle a volontairement occulté la cohérence du récit, construit en 4 parties, dont le volet érotique n'est que le sommet.

… Étroits sont les vaisseaux, étroite notre couche.
Immense l’étendue des eaux, plus vaste notre empire
Aux chambres closes du désir.

Entre l’Été, qui vient de mer. À la mer seule, nous dirons
Quels étrangers nous fûmes aux fêtes de la Ville, et quel astre montant des fêtes sous-marines
S’en vint un soir, sur notre couche, flairer la couche du divin.

En vain la terre proche nous trace sa frontière. Une même vague par le monde,
une même vague depuis Troie
Roule sa hanche jusqu’à nous. Au très grand large loin de nous fut imprimé jadis ce souffle…
Et la rumeur un soir fut grande dans les chambres : la mort elle-même, à son de conques, ne s’y ferait point entendre !

Aimez, ô couples, les vaisseaux ; et la mer haute dans les chambres !
La terre un soir pleure ses dieux, et l’homme chasse aux bêtes rousses ; les villes s’usent, les femmes songent… Qu’il y ait toujours à notre porte
Cette aube immense appelée mer – élite d’ailes et levée d’armes, amour et mer de même lit, amour et mer au même lit –
Amers, strophe IX, 1, O. C., p. 326

La mer, source à laquelle s'abreuvent les amants et qui fait l'objet d'une gigantesque fresque préparatoire au travers de 8 strophes précédentes, avant de conduire au sommet de cette extase amoureuse objet de la strophe 9, semblait donc absente de notre soirée. Sauf à admettre qu'amer/amour (selon le sens médiéval que lui donne Yseut quand elle tente de révéler à Tristan la nature réelle de son tourment) vient bien évidemment compléter l'homophonie exploitée jusqu'à la corde par le poète : amers/amer/mer/mère... Et ses balancements féminins et virils ont ponctué notre soirée avec toute la délicatesse requise, proches car la marée était montante, mais discrets puisque le coefficient était modeste.



1 commentaire:

  1. Merci Nicole, de nous faire partager ces évenements, cela devait être très agréable et reposant!!

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