lundi 14 juillet 2008

ALLONS Z'ENFANTS...

Ben oui ! On est vaguement en dehors du temps quand on stakanovise en Avignon... Programme main droite, plan main gauche, toujours à la recherche d'un stylo pour noter, biffer, barrer, ne pas oublier le téléphone portable pour les prises de rendez-vous (à éteindre sous peine de honte totale s'il devait sonner durant les spectacles) ni la carte du off très chèrement acquise à l'arrivée ! Et vogue la galère... On mange à n'importe quelle heure, parfois on ne mange pas, on court dans tous les sens pour trouver d'improbables salles aux noms étranges ( ) et finalement quand on entend l'hymne national au détour d'un petit déjeuner, tilt !!! Mais c'est vrai qu'on est le 14 juillet aujourd'hui ! Pas marrant d'être président de la République, car là pas moyen d'y échapper, au "Allons Z'Enfants"... Bref, nous, les petits veinards qui n'avons comme contrainte du jour qu'à essayer de faire coller les heures et les déplacements pour concocter un programme tout confort, nous avons commencé la journée par
"Ah! Ne pas laisser un moment de répit à l'imagination." Voilà l'action ultime de l'homme à la fleur à la bouche qui initie un paisible client de café à déguster la vie, comme on déguste un abricot. Une rencontre entre deux hommes sans visage joué par un seul comédien. "Je vois chez Pirandello une immense naïveté, la naïveté même de l'acteur, toujours prêt à se laisser piper, modeler par le personnage." G. Pitoëf

Un petit Pirandello, avec une mise en scène économique, puisqu'un seul acteur jouait les deux rôles. Il se donnait la réplique en parlant à son reflet enregistré en vidéo, confortablement installé sous une redingote rouge à la même table que lui. A mi-spectacle, l'importance des rôles s'inversait et notre acteur changeait de chapeau pour prendre l'autre rôle. Il s'en tirait honorablement, même si, à chaque réplique nous tremblions de voir son "auto-comparse" parler avant qu'il n'ait terminé sa tirade. Ce système nuisait un peu à la fluidité du texte, et imposait un rythme assez peu naturel.
Après une longue conversation sympa avec la programmatrice d'un festival en banlieue parisienne désireuse de connaitre des spectacles susceptibles d'être vus et achetés pour sa manifestation, et un dopage au guarana pris sous les platanes de Présence Pasteur, un spectacle grandiose :
Fernando Pessoa, prisonnier de sa solitude, se retrouve face à ses amis et autres complices imaginaires. Des doubles de lui-même s’invitent mystérieusement à lui, par intervalle, dans son corps et son esprit. Des personnages créés de toutes pièces, aux extrêmes les uns des autres, et aux visions contradictoires sur la capacité à être et à aimer. Tous prennent chair et parole sur scène, tour à tour, en un seul et même corps. « Au regard de sa performance, O. Poujol pourrait sans conteste être l’un des hétéronymes de F. Pessoa. Sa mise en scène et son interprétation sont des plus fascinantes.» L a Presse de la Manche
C'est une étonnnante mise en scène qui décrit la douleur d'une personnalité multiple et déchirée entre ses égos contradictoires, l'écrivain portugais Fernando Pessoa.
Peu ou mal connu en France, il est dans son pays voué à une gloire récente, qui trouve matière à éblouissement dans le cas d'école extraordinaire que représente cet auteurIl écrivait en anglais ou en portugais, mais n'a quasiment rien signé de son nom, sauf quelques articles, et a très peu publié de son vivant. A sa mort, on découvrit plus de 27 000 manuscrits, écrits sous des noms et dans des styles littéraires d'une variété sans borne. On en compte environ 72 !
« Pendant trente ans, de son adolescence à sa mort, il ne quitte pas sa ville de Lisbonne, où il mène l'existence obscure d'un employé de bureau. Mais le 8 mars 1914, le poète de vingt-cinq ans, introverti, idéaliste, anxieux, voit surgir en lui son double antithétique, le maître "païen" Alberto Caeiro, suivi de deux disciples : Ricardo Reis, stoïcien épicurien, et Álvaro de Campos, qui se dit "sensationniste". Un modeste gratte-papier, Bernardo Soares, dans une prose somptueuse, tient le journal de son "intranquillité", tandis que Fernando Pessoa lui-même explore toutes sortes d'autres voies, de l'érotisme à l'ésotérisme, du lyrique critique au nationalisme mystique. Pessoa, incompris de son vivant, entassait ses manuscrits dans une malle où l'on n'a pas cessé de puiser, depuis sa mort en 1935, les fragments d'une œuvre informe, inachevée, mais d'une incomparable beauté. » (Christian Bourgois). Il est à lui seul une génération de 5 poètes de génie, d'écrivains engagés, de romanciers divers, bref un vrai casse-tête littéraire et humain.
En portugais "pessoa" signifie personne, et on mesure les tourments et complexité d'âme de cet homme triste et solitaire, jamais reconnu de son vivant, totalement introverti et voué à une ambigüité de plus en plus complexe, vivant entre ses doubles et multiples jusqu'à un épuisement intellectuel total. L'acteur qui a monté ce spectacle a puisé dans cette œuvre multiforme de nombreux extraits qu'il a reliés par quelques fils rouges (amour, folie, écriture ...) et a ensuite conçu une mise en scène superbe, jouant sur les miroirs et rep roduisant le trouble de cette personnalité douloureuse. Une totale réussite, qui, s'il n'était question d'un vrai écrivain, serait gratuite et assommante, mais qui, ici, traduit avec brio et talent la souffrance de cet homme déchiqueté. Un grand moment du festival.


Après quelques emplettes avec Hélène, déjeuner à l'ex bar de l'OM. Depuis le début du séjour Michel réclamait à cor et à cri une petite virée pour y revoir "la jolie petite anglaise" qui tenait la nouvelle "Caf Thiers" (mais pour nous c'est toujours le bar de l'OM) depuis l'an dernier. Or, en lieu et place de la charmante Valérie, voilà que nous sommes servis par un sympatique demi d'ouverture hyper baraqué ! Michel était au désespoir, et le rugbyman nous a confirmé que Valérie avait quitté les lieux, et le patron ! Pour tenter de consoler Michel, j'ai engagé avec ce jeune homme une conversation sur les mérites incomparables du poste de demi d'ouverture, et Michel et lui se sont entendus comme larrons en foire pour parle r de ballon ovale, de Toulouse et autres fariboles qui ont réussi à lui faire oublier les yeux verts de la jolie anglaise !
Nous sommes ensuite allés faire un petit tour dans le Nautilus, et ravie de la nécessité d'accompagner Hélène et Michel, je me suis offert deux petits tours dans ce bus déglingué où une jeune actrice jouait derrière un voile de tulle des petits textes courts et savoureux.

Une camionnette charmante, désuète qui intrigue les passants… Au menu: 10 monologues, 10 auteurs! Choisissez-en un, au hasard ou par affinité et glissez vous à 2 dans le ventre du Nautilus, théâtre miniature, pour 10 min en toute confidence. Le temps se dilate, se comprime, se densifie au gré des auteurs, des écritures, des univers, des respirations… A picorer sans modération!
Les 2 jeunes filles qui assuraient ce spectacle d'un concept original se relayaient, une à l'accueil qui présente le menu des pièces possibles, et l'autre jouant dans le camion. Elles ont en fait repris le camion et les pièces à un acteur qui avait créé cela pour le théâtre du Rond Point. Elles ont adapté les textes au féminin et changé le nom du spectacle... Initialement, et cela correspond bien à l'impression que l'on a quand on se glisse dans cet habitacle sombre, cela s'appelait "Peep Show"... mais déjà qu'elles ont des problèmes quand elles présentent leur Nautilus dans certaines banlieues, deux filles dans un camion avec un titre pareil c'était carrément risqué ! Le concept est vraiment génial, mais il faudrait, pour l'améliorer un peu, trouver un nom moins enfantin car les pièces sont plutôt dits que drôles, faire un "vrai" menu avec entrées (pièces faciles), plats (pièces à penser) desserts (pièces drôles)... et surtout repeindre le camion et lui donner un rôle à jouer dans l'histoire ! Il faudrait le taguer ou le couvrir de fresques plus attrayantes. Mais ces suggestions d'amélioration n'enlèvent rien au spectacle et c'est vraiment sympa d'aller voir, pour soi tout seul, 10 minutes de théâtre intime !
Après une tentative ratée de sieste, la fatigue commence à se faire sentir, mais ce n'est simple de s'endormir sur commande, nous avons récidivé belges...
C'est l'histoire d'un jeune homme qui s'invente un voyage. Un voyage où les rencontres sont nombreuses, faites de coups bas et quelques fois d'heureuses surprises. Un voyage pour se rassurer sur lui-même, et sur le monde qui n'est pas parfait…
Même pas peur ! Et pourtant le jeune "héros"- rien dans les mains, rien dans les poches - se fait une épopée digne d'un Indiana Jones oriental et franchement drôle à la quête de son passage au monde adulte.
Un texte qui pose des questions sur l’autorité parentale, politique, religieuse et y oppose une autre manière de voir dans un va et vient pétaradant entre le réel et l’imaginaire.
Encore une performance d'acteur qu'on nous avait recommandée, et qui est vraiment enlevée. Mais c'est plutôt un spectacle pour ado, un peu conte, un peu pantomime... Un acteur vif argent, un rythme sans faille.
Pour finir la soirée, après une traversée de la ville au pas de charge, à contre-courant des familles qui allaient vers le feu d'artifice, un superbe moment de théâtre avec :
Douze jurés sont réunis pour décider du sort d’un adolescent accusé du meurtre de son père.Simple formalité au vu des preuves accablantes, pensent-ils.Et pourtant…
Chacun d’entre nous peut s’identifier à ces douze hommes, les Thélémites ont une fois de plus réussi leur coup. Verdict : coupables de talent.La Gazette.
Notre époque, n’a jamais autant ressemblé à cette petite salle de délibération où s’affrontent ces hommes.Merci donc à cette cie de nous rappeler qu’on gagnerait tous à écouter nos doutes.Salvateur.Midi Libre.
Remarquable création ces 12 hommes en colère.La victoire de l’homme qui doute.
J'avais été, comme tous ceux qui l'ont vu à l'époque, terriblement frappée par ce film de Sydney Lumet, et par l'interprétation d'Henry Fonda, le juré intègre qui, touche après touche, doute après doute parvient à renverser la tendance simplificatrice et réductrice de la majorité. Dans la pièce d'Avignon, (attention celle de l'Adresse, l'autre a l'air nettement moins bonne d'après Pierrette qui l'a vue) le personnage du juré solitaire est moins charismatique que celle du film, où Fonda tient le débat d'un bout à l'autre. Mais du coup le spectacle est plus équilibré, plus révélateur des mouvements d'âme et de cœur d'un groupe. Le microcosme qui reproduit dans une salle close tous ces échantillons caricaturaux de personnalités est parfaitement rendu et le jeu des 12 acteurs est parfait. Une prouesse, car quand la pièce commence on ne peut s'empêcher de se dire "forcément il y en a qui va être mauvais", ben non, ils sont tous justes, naturels, typés sans excès et humains. Une belle réalisation qui compte parmi les meilleurs moments de notre Festival.
Nous avons rejoint Hélène qui avait vu le Phèdre que nous avons aimé l'an dernier, pour une soirée tapas et vin rouge dans un bistrot animé. Mais la ville était finalement bien calme à cette heure tardive, pour un 14 juillet.


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