CLANDESTINITE OFFICIELLE

Hier soir Guiseppe nous a déclaré que sa femme n’avait pas préparé de repas et qu’ils allaient manger une pizza quelque part. Il nous invitait à nous joindre à eux. Nous sommes allés sous une pluie battante à Alcamo ; après des antipasti constitués de spécialités locales, panelle qui sont de petits carrés de pâte de pois chiches frits, fromage grillé, divers fromages, jambon, olives et préparations diverses j’ai mangé une sfuncione. Autant dire une pizza mais légèrement plus épaisse et saupoudrée de chapelure. Et assaisonnée au plus simple bien sûr, tomates, oignons, caciacavalo, anchois, origan et olives. Car tous les assortiments de pizza qu’on a inventé depuis que le plat s’est « entouristé » sont délicieux certes, mais vains ! Nous avons passé un repas très sympathique, échangeant comme on le fait dans ces circonstances, nos impressions sur les mœurs respectives de nos concitoyens. Nous avons parlé de Francesco, leur fils de 19 ans et beaucoup ri avec Guiseppe de la description de la vera mamma siciliana qu’est Paola… Pas italienne, disait Guiseppe, sicilienne, cela fait une énorme différence !

Ce matin, Guiseppe nous a amenés prendre le petit déjeuner chez un producteur de ricotta. L’opération se déroule deux fois par jour, à 9h du matin et à 9h le soir. Arrivés un peu trop tôt, nous sommes allés prendre un café à Trapetto, petit bourg agricole qui était autrefois un quartier de Balestrate et a demandé vers les années 50 son statut de commune. On sentait dans le ton de Guiseppe quand il nous a expliqué cela une désapprobation implicite et la constatation attristée que Trapetto n’y a rien gagné, et est resté pauvre et mal équipé alors même que Balestrate l’aurait sans doute mieux doté en tant que quartier ! Vers 9h 30 retour dans le hangar pour l’écumage de la ricotta. Dans une immense marmite où frémissait du lait de brebis mélangé au petit lait de la précédente fournée, le berger recueillait délicatement les flocons de fromage qui remontait à la surface et les mettait dans des faisselles. A la fin de l’opération il a une bonnes douzaine de grands fromages frais qu’il laisse égoutter jusqu’au soir. Puis il plonge dans la marmite les fromages de la précédente traite qui vont cuire environ une heure. Autour une bonne dizaine d’hommes attendent pour reporter la ricotta fraiche c'est-à-dire le fromage à peine extrait du lait, avec son petit lait. Nous l’avons dégusté encore tiède, en buvant le petit lait, avec une boule de cet excellent pain sicilien que nous trouvons bien plus savoureux que le pain italien, plus léger aussi. Guiseppe nous a salé une ricotta terminée et nous l’a offerte pour le repas de midi.

Cette opération, au milieu d’hommes silencieux et attentifs, prend l’allure d’une cérémonie secrète, en présence d’initiés ! Et de fait, Guiseppe nous racontait qu’il y a environ un mois, un représentant des services d’hygiène alimentaire est arrivé dans le hangar en brandissant sa carte, a observé les lieux qui n’ont rien d’un laboratoire aseptisé, et après avoir vérifié les papiers de tous les clients, les a tous embarqués au poste pour des dépositions assez longues ! Guiseppe riait de l’aventure mais il y avait aussi un peu de tristesse car le berger n’aura pas les moyens ni l’envie de se mettre aux normes. Il a une centaine de bêtes, traites deux fois par jour, deux fois par jour il cuit et recuit la ricotta, la vend ensuite à des clients qui viennent comme ce matin parfois de Palerme pour déguster le premier jet du fromage, puis vend le reste aux pâtissiers locaux qui l’utilisent surtout dans la pâtisserie. Son fils ne reprendra pas cette activité trop prenante pour le mode de vie moderne qui s’accommode mal d’une telle contrainte. Et la ricotta fraiche risque de disparaitre à Balestrate.

N'osant pas sortir mon appareil et encore moins mon flash, j'ai pris quelques images discrètes !