TEMPS RESSENTI

Vous connaissez, comment en faire l'économie, la nouvelle notion qui sévit sur les ondes de la météo, celle de la "température ressentie"... Et de vous expliquer savamment qu'entre le temps réel et l'impression qu'on en retire, la différence est grande, due aux bourrasques et à la force du vent, ou au contraire au calme plat. La Chaîne Météo, très fière de cette notion en usage en Amérique du Nord (oups ! ça me rappelle le temps de mes 20 ans, où tout ce qui nous arrivait des States était auréolé d'une gloire instantanée qui nous fit faire alors les pires âneries, de la fureur des centres commerciaux aux voitures grosses cylindrées, en passant la consommation à outrance, sur fond de caddies et de bigoudis) nous assène que ses prévisions "corrigées en prenant en considération le refroidissement éolien" sont plus fiables et plus intéressantes que des autres. Na ! Dont acte, nous regarderons dorénavant la Chaîne Météo. Mais non, je ne raille pas, c'est chouette de savoir que quand il fait 0°, en fait il fait -6°... ça vous remet les idées en place et ça vous apprend à relativiser. Il faut savoir prendre du recul et ne pas foncer tête baissée sur tout ce qui a apparence de certitude mathématique... pas vrai mon Hélène ;-)

Et voilà que ce matin, écoutant une chronique judiciaire lambda, j'entendis discourir sur la différence entre "le temps judiciaire et le temps ressenti". Certes, nous savons tous que la justice est longue, faute de moyens, à moins que ce ne soit pour s'exercer dans une plus grande sérénité, va savoir. Et de fait, les plaignants ont toujours le sentiment que cette longueur est disproportionnée, tant leur attente qu'elle soit rendue, à la manière des manants de Louis XI, est toujours soumise à de trop longs délais. Vous souvient-il combien le temps semble distendu quand l'aimé(e) est au loin, et combien au contraire il vous semble court dans ses bras ? Et avez-vous jamais fait l'expérience des aller et retour qui, malgré la même distance parcourue n'ont pas du tout, mais pas du tout la même longueur ? En fait, tout dépend de ce que le déplacement implique : quand c'est pour vous rendre à une corvée, l'aller semble bref (on n'a aucune hâte d'arriver) et le retour très long (on est tellement heureux d'en avoir fini, qu'on a hâte d'être totalement débarrassé du pensum... A l'inverse, quand c'est pour un plaisir, l'aller semble très (on n'arrivera donc jamais ??) et le retour se passe comme dans un rêve, tant on est encore dans l'ambiance du plaisir que l'on vient de vivre.
J'avoue que finalement c'est une notion bien intéressante que celle du temps ressenti, et s'il m'arrivait de suivre celui que mes étudiants vivent durant mes cours, je les écourterais sans cesse d'une bonne moitié ! Voire plus !! Quant à moi, quand il m'arrive de devoir me propulser dans les temples modernes de la consommation, les instants que j'y passe me paraissent toujours d'une longueur impitoyable, car l'air que j'y respire est trop épais et trop lourd. Relent inversé des années 80 et de notre fascination pour tout ce qui avait couleur d'outre-atlantique ! On change, et le temps qui s'écoule, notre temps de vie, est lui aussi mouvant et élastique ! C'est parfois comme si on vivait plusieurs vies, étagées comme celle d'un chat, interactives et pourtant séparées par les effets inattendus de notre évolution personnelle. Qui doit, dans l'histoire, jouer sans que nous le percevions clairement, le rôle de la force du vent !