Sujet obéissant d'un créateur mécontent de ses fantaisies, l'homme gagnait son pain à la sueur de son front et faisait énergiquement sa longue et lourde tâche (ben voilà ce que ça donne d'aller voir Vigny !). De temps à autre, il se défoulait en fêtes extrêmes, plus conçues pour lui faire oublier son triste sort que pour l'amuser vraiment. Dans une société précaire et close qui ne comptait pas le temps, les fêtes religieuses ou civiles étaient nombreuses certes, mais répétitives, traditionnelles et finalement contrôlées. L'ouverture à des horizons plus lointains que le clocher du village et ses fêtes carillonnées, date sans nul doute de la deuxième moitié du XXème siècle. Nos parents (nous les plus que quinquas) ont commencé à découvrir les congés payés. Puis ils ont appris la résidence secondaire où on se lavait le bout du nez en allant chercher de l'eau au puits car l'adduction n'avait pas atteint les campagnes profondes où ils dégotaient leurs chaumières, et où on se pelait de froid devant un feu étique, alors qu'à la maison on avait, à grand renfort d'emprunts, enfin installé tout le "confort moderne". Puis lassés de ces amusements de citadins en veine de campagne, ils ont réinventé le "voyage d'Italie", autant dire l'apprentissage à la portée de tous de nouvelles connaissances et l'approche de civilisations lointaines. Nous leur avons allègrement emboîté le pas, considérant qu'il n'est de vacances réussies qui ne soient exotiques, ni de repos bienfaisant qui ne soit dépaysant. Et c'est ainsi que, à dates de plus en plus régulières et rapprochées, nous nous propulsons sur les routes et dans les airs, pour endosser le temps d'une halte supposée bienfaisante, le costume traditionnel du "touriste". Décrié, raillé, mais toujours envié et copié à des millions d'exemplaires, tous plus semblables les uns aux autres que nature ! On ne peut pas s'empêcher de succomber aux sirènes de l'escapade, on a toujours envie d'autre chose, on ne cesse de rêver à des horizons nouveaux. La mondialisation du phénomène en accentue le caractère caricatural, caricature qui nous frappe lorsque nous sommes observateurs, mais nous laisse de marbre quand nous participons au mouvement. C'est ainsi, que prenant l'autoroute un de ces fameux week-ends aux couleurs empourprées pour rejoindre Avignon et la vallée du Rhône, nous étions assis Michel et moi sur une quelconque aire d'autoroute, grignotant notre incontournable sandwich, et nous dissertions sur les mouvements pendulaires que l'été impulse sans coup férir chaque année à nos belles régions.
... Mais pourquoi a-t-on inventé toutes ces occupations ? Que cherche-t-on en se soumettant à la dictature de la télévision par exemple, qui règne en maître sur nos vies depuis trente ans au moins ?
Aparté : la distraction est à l'origine une déviance de l'esprit qui est soudain inattentif aux choses auxquelles il devrait s'occuper. Devenant le résultat de cette inattention, il sera ensuite par extension ce qui amuse et délasse l'esprit. Nous sommes bien dans notre sujet !
- Ce n'est pas facile de sortir de l'ennui...
Là encore commentaire perso, l'ennui, moi quand j'étais petite, m'était présenté par mes parents comme le pire des maux, et la phrase qui devait gouverner notre comportement était "je ne m'ennuie jamais".
- En réalité on finit par chasser l'ennui ! Au lieu d'être soumis à la routine de l'ennui, on est soumis à celle de la distraction...
D'aucuns parlent d'ère de la distraction permanente. C'est tout dire !
- L'ennui est lié à la qualité de la vie, ce n'est pas nouveau le spleen ! - C'est un mal-être à dépasser et on se distrait pour oublier. Par contre la culture on la pratique pour comprendre ou ou sortir du temps. "La culture est le seul remède à la distraction" a dit Pasolini... Mais le problème est d'arriver à exprimer tout cela sans être prétentieux. - Mais enfin, nous, on n'est pas mieux que ceux qu'on fustige... Peu importe finalement ce qu'on va voir ou faire, ce qui est bizarre c'est ce stakhanovisme à l'amusement sous toutes ses formes. - Si, c'est différent, entre partir pour partir, visiter pour visiter, et rechercher certaines émotions artistiques ou culturelles, cela prend un sens différent. - ??? - Oui, tu recherches un instant de grâce, un moment d'émerveillement qui te fait dresser les cheveux sur la tête, une impression de paradis fugace. - Peut-être, mais à quel prix ! Quelle agitation... que de moyens déployés qui sont loin de la sagesse et de la raison simple. Et ce n'est pas parce que nos distractions ont un cachet "culturel" qu'elles sont plus louables. - Bien sûr, tu dois subir beaucoup de déconvenues pour vivre, parfois, ces moments intemporels. Mais quand cela survient, les contingences, le temps, le vieillissement, tout ce qui est notre humaine nature, disparait et tu as le sentiment de mieux comprendre enfin le comment du pourquoi... Surtout n'en fais pas un article dans ton blog, mal compris cela pourrait sembler pédant.
Michel ne commente jamais mon blog, il dit toujours, après lecture "C'est vachement bien ce que tu as écrit"... Je lui vole parfois quelques photos pour illustrer mes articles... Mais globalement, il ne participe guère ! Alors pour une fois, je vous livre nos élucubrations de transhumance estivale, et ses interrogations sur les mérites conjugués de la culture et de la distraction. Sans affèterie, ni pédantisme... Vous le connaissez assez pour savoir qu'il n'est pas suffisant, et que ses interrogations ne contiennent pas une once de mépris. Vous savez que son horreur de la foule est plus physique que basée sur une vanité malséante. Et que je partage tout à fait son sentiment ! Il est tout de même étrange, quand on a de telles délicatesses, d'aller se propulser dans une "Cité des papes" encombrée, surchauffée et surpeuplée, et de surcroit enlaidie d'affiches multicolores, d'un effet très moyen sur l'urbanisme de cette jolie ville. Tout cela, simplement pour l'aléatoire plaisir de risquer d'y entendre quelques pièces agréables. Notre dialogue était donc on ne peut plus logique, histoire de comprendre un peu ce qu'on fabriquait dans cette galère.
... Mais pourquoi a-t-on inventé toutes ces occupations ? Que cherche-t-on en se soumettant à la dictature de la télévision par exemple, qui règne en maître sur nos vies depuis trente ans au moins ?
Aparté : la distraction est à l'origine une déviance de l'esprit qui est soudain inattentif aux choses auxquelles il devrait s'occuper. Devenant le résultat de cette inattention, il sera ensuite par extension ce qui amuse et délasse l'esprit. Nous sommes bien dans notre sujet !
- Ce n'est pas facile de sortir de l'ennui...
Là encore commentaire perso, l'ennui, moi quand j'étais petite, m'était présenté par mes parents comme le pire des maux, et la phrase qui devait gouverner notre comportement était "je ne m'ennuie jamais".
- En réalité on finit par chasser l'ennui ! Au lieu d'être soumis à la routine de l'ennui, on est soumis à celle de la distraction...
D'aucuns parlent d'ère de la distraction permanente. C'est tout dire !
- L'ennui est lié à la qualité de la vie, ce n'est pas nouveau le spleen ! - C'est un mal-être à dépasser et on se distrait pour oublier. Par contre la culture on la pratique pour comprendre ou ou sortir du temps. "La culture est le seul remède à la distraction" a dit Pasolini... Mais le problème est d'arriver à exprimer tout cela sans être prétentieux. - Mais enfin, nous, on n'est pas mieux que ceux qu'on fustige... Peu importe finalement ce qu'on va voir ou faire, ce qui est bizarre c'est ce stakhanovisme à l'amusement sous toutes ses formes. - Si, c'est différent, entre partir pour partir, visiter pour visiter, et rechercher certaines émotions artistiques ou culturelles, cela prend un sens différent. - ??? - Oui, tu recherches un instant de grâce, un moment d'émerveillement qui te fait dresser les cheveux sur la tête, une impression de paradis fugace. - Peut-être, mais à quel prix ! Quelle agitation... que de moyens déployés qui sont loin de la sagesse et de la raison simple. Et ce n'est pas parce que nos distractions ont un cachet "culturel" qu'elles sont plus louables. - Bien sûr, tu dois subir beaucoup de déconvenues pour vivre, parfois, ces moments intemporels. Mais quand cela survient, les contingences, le temps, le vieillissement, tout ce qui est notre humaine nature, disparait et tu as le sentiment de mieux comprendre enfin le comment du pourquoi... Surtout n'en fais pas un article dans ton blog, mal compris cela pourrait sembler pédant.
Michel ne commente jamais mon blog, il dit toujours, après lecture "C'est vachement bien ce que tu as écrit"... Je lui vole parfois quelques photos pour illustrer mes articles... Mais globalement, il ne participe guère ! Alors pour une fois, je vous livre nos élucubrations de transhumance estivale, et ses interrogations sur les mérites conjugués de la culture et de la distraction. Sans affèterie, ni pédantisme... Vous le connaissez assez pour savoir qu'il n'est pas suffisant, et que ses interrogations ne contiennent pas une once de mépris. Vous savez que son horreur de la foule est plus physique que basée sur une vanité malséante. Et que je partage tout à fait son sentiment ! Il est tout de même étrange, quand on a de telles délicatesses, d'aller se propulser dans une "Cité des papes" encombrée, surchauffée et surpeuplée, et de surcroit enlaidie d'affiches multicolores, d'un effet très moyen sur l'urbanisme de cette jolie ville. Tout cela, simplement pour l'aléatoire plaisir de risquer d'y entendre quelques pièces agréables. Notre dialogue était donc on ne peut plus logique, histoire de comprendre un peu ce qu'on fabriquait dans cette galère.
L'ennui, tel qu'on en parle prosaïquement, je ne connais pas : je ne m'ennuie jamais parce que je fais rien, car, par définition, j'aurai toujours quelque chose à faire d'intéressant ! En revanche, tel que défini par Moravia, oui, c'est un sentiment très présent chez moi : je ne fais rien parce que je m'ennuie... Quant à la distraction, je vous renvoie aux écrits de notre grand penseur mystique. Très pascalien, ton billet d'aujourd'hui, Michelaise. J'ai dû raccourcir mon commentaire en citant ces deux auteurs, sinon j'aurais eu l'impression de les plagier ! Que d'auteurs à relire, et on peut s'ennuyer ??? Inutile de te dire que j'ai adoré cet article ! Bonne soirée, Michelaise.
RépondreSupprimerPS : Il y a aussi ce roman que j'aime bien de Zola "L'œuvre" : sous l'ennui (apparente insignifiance) supposé de l'héroïne, se cache quelque chose d'incompréhensible, d'intrigant, qui rend fou le héros, c'est là que les deux formes de l'ennui que j'évoque plus haut sont confrontées, à leur paroxysme...
C'est trop d'honneur Colibri, ce n'était qu'une conversation à bâtons rompus où l'ennui finalement n'était pas assez abordé. Tu nous en proposes la version moravienne, qui est en effet une perte du contact avec la réalité, tant et si bien que le concret devient étange, voire étranger à celui qui se trouve ainsi dépossédé. Quant à Zola, je n'ai point trop souvenir de l'Oeuvre, ne l'ayant sans doute même pas lue, je m'en remets à toi pour l'analyse et me dis que ce serait, au vu de ton approche, intéressant de le lire !!
RépondreSupprimerAu s'cours...je me souviens avoir lu sur une table de Lycée : "ne vous faites plus chier, faites chier les autres"...mais je ne sais plus de qui c'est ;)
RépondreSupprimerBien envoyé Chic... Charité bien ordonnée commence par soi-même !!!
RépondreSupprimerL'ennui ou/et les multiples petites choses qui font de la vie des journées bien remplies.... Les accros du "Je fais quelques chose 24h/24 sinon c'est que je vais mal", les adeptes de la contemplation et du "Je laisse le temps glisser sur moi"...
RépondreSupprimerTon article sur l'ennui est loin d'être ennuyeux Michelaise et je constate que Michel et toi avez des conversations qui pourraient animer dignement un café philo.
Un article très intéressant en tout cas et qui donne à réfléchir !
Merci à toi et bonne journée !
On réfléchit mais malheureusement on n'a pas encore trouvé la sagesse... moi j'en rêve, d'être enfin sereine et débarrassée des tentations factices qui pourtant, c'est incontestable, nous enrichissent ! Trouver le juste équilibre ainsi que tu le suggères Madame Zygène, éviter de devenir misanthrope et ne pas sombrer dans le consumérisme forcené ! Bonne journée Ox !
RépondreSupprimerDieu que j'aimerais m'ennuyer de temps en temps,mais j'ai beau essayer je n'y arrive pas et pourtant je ne regarde JAMAIS la télévision ,du reste cela m'aiderait peut-être à m'ennuyer car manifestement dans le genre inepties cela semble bien.
RépondreSupprimerJe ne trouve pas factice de prendre mon bâton de pèlerin et le nez au vent arpenter les rues,me poser sortir un livre toujours dans mon sac,ou observer la foule.
Ou tout simplement décider que je ne fais rien et me plonger dans mon bouquin ,c'est peut-être une forme de boulimie mais j'ai toujours envie de faire quelque chose
Il est quasiment impossible de s'ennuyer de nos jours... Le monde est plein d'intrigue, de connaissance et de moments à vivre de toute sorte ! Si je m'ennuis, ce n'est pas de l'ennui mais plutôt de la flegme ou une baisse de morale que j'essai de vite parer... Mais avec quatre enfants à la maison ça ne m'en laisse même pas le temps (rires) !
RépondreSupprimerHeureuse semaine Michelaise !
Bonne soirée à tous
Je n'y connais pas grand chose mais je crois que ça a beaucoup à voir avec l'introversion et l'extraversion...il y en a un qui va trouver en lui, il lui faut donc un bon réservoir, et l'autre qui va chercher en dehors de lui...et a intérêt à trouver du combustible ;) l'idéal c'est d'avoir un moteur Hybride...
RépondreSupprimerÉlucubrations d'une Chinoise en France.
RépondreSupprimerJ'aime ce billet qui n'aurait jamais paru du temps de la comtesse de Ségur. Parce qu'en ses salons on causait sérieux et non de Chanel. Ton billet n'aurait pas été nécessaire. Aujourd'hui OUI.
J'aime quand tu parles de l'esclavage de la télévision: c'est un ooupe-langues, on ne se parle plus. Ou on se parle comme à la tv, par saccades, racontant des sornettes (il y a du bon quand même au petit écran).
Pour résumer, l'ennui, c'est que les gens ne se rendent pas compte qu'ils fabriquent leur ennui au lieu de le démolir.
Des réflexions comme la tienne enrichissent la terre grasse qu'est la réflexion.
Chic, toujours à la pointe du progrès et pour le développement durable ! Important en matière de vie, pas vrai ?
RépondreSupprimerKarl tu as parfaitement résumé ma (notre) pensée : nous en arrivons à "fabriquer l'ennui au lieu de le démollir"...
Quant à la télé, ouh là là... vaste sujet que je n'ai qu'effeuré ici, ayant appris qu'il ne faut JAMAIS dire qu'on n'a pas la télé dans les "dîners en ville" ! Un jour peut-être je développerai mais mes filles, à qui ce blog s'adresse, vont alors s'insurger en râlant contre les "radotages" de leur vieille maman... Tu vois ce qui t'attend Gwen... avec 4, tu n'y couperas pas !
L'ennui ne serait'il pas le vide de soi-même ; un vide de l'esprit , un manque d'ouverture envers autrui
RépondreSupprimerLorsque l'on a rien à partager on ne s'intéresse à rien d'ou l'ennui et une certaine lassitude de la vie je ne suis pas convaincue que les speudos distractions soient alors de bons remèdes à cette " névrose "!beaucoup de personne sennuient parmi et avec d'autres par manque d'intéret respectif
A+Sacha
Définition parfaitement juste Sacha, l'ennui est, en effet, le vide de soi-même... et alors les distractions sont de simples dérivatifs, qui aggravent le gouffre !
RépondreSupprimerJe rajoute (tardivement) mon grain de sel...
RépondreSupprimerQu'est-ce qu'une distraction ?
C'est quelque chose qui tire "hors de soi-même"...
Le problème, à mon avis, n'est pas dans le contenu...de ce qu'on fait, mais dans la façon dont on le reçoit.
Si l'on va voir un spectacle, par exemple, et que celui-ci nous permet juste de "passer le temps", de ne pas nous "ennuyer"...c'est du temps perdu.
Mais si le spectacle nous touche profondément au lieu de "glisser sur nous", s'il nous atteint en profondeur...alors ce n'est plus une distraction, mais un moment de Vie (avec un grand V).
Or, nous participons activement à la façon dont nous recevons les choses...
La profondeur est partout, si on sait l'apercevoir...et prendre le temps de l'intégrer, si nous n'enchaînons pas les activités , mais que nous prenons le temps de les laisser "résonner" en nous... nous en tirerons , quel que soit leur contenu , la "substantifique moëlle" !