mardi 5 janvier 2010

UNE EDUCATION ARTISTIQUE - 1 - LES DEBUTS

Mon propos était à l’origine de répondre à Anne, qui nous parle d’art contemporain, et aussi de vous faire découvrir quelques peintres qui, récemment, nous ont enthousiasmés. Mais vous me connaissez, dès qu’on parle d’art, sous toutes ses formes, je deviens intarissable et il en est résulté un long article dont la lecture serait fort indigeste si je vous l’assénais d’un seul coup. Alors, comme je reste soucieuse de ménager mes copinautes et d’éviter de trop pontifier, j’ai décidé de couper cet écrit en quelques épisodes, sous la forme d’un parcours initiatique, en fait de ce qui fut mon initiation artistique. Je dis souvent « nous » car ce chemin nous l’avons, depuis 35 ans, parcouru à 2, et c’est cette complicité qui a forgé notre itinéraire et notre connivence.

Tout a commencé par ce qu’il est convenu d’appeler une culture artistique classique. Mes parents, d’origine modeste s’il en est, avaient découvert l’art et ses multiples expressions plus par goût personnel que par imprégnation familiale. Mis à part l’Angélus de Millet sur le calendrier des PTT de leur enfance, leur approche était entièrement autodidacte et leurs goûts s’étaient formés sur le tas. Penchant réel pour « la chose » esthétique, sens inné de l’harmonie, besoin aussi par cet intérêt non feint de se propulser dans une sphère sociale plus élitiste, leurs raisons profondes du désir de découvrir le monde de l’art étaient aussi multiples que sincères.

Cette approche s’est faite, en ce qui les concerne, de façon pragmatique : lecture d’ouvrages d’art forcément partiaux et monochromes, visite de musées quand pour eux ces lieux étaient quasi sacrés et inaccessibles, abonnement au théâtre pour découvrir un maximum de pièces, accumulation et respect d’une tonne de livres qui nous sont restés et auxquels mes malheureux pouces ont sacrifié leur intégrité articulaire, fréquentation assidue des salles de ventes pour y acquérir des kyrielles de peintures, gravures et autres objets d’art... mes parents ont fait feu de tout bois pour satisfaire leur passion réelle pour tout ce qui touchait de près ou de loin à la culture qui leur avait manqué dans leur milieu d’origine. Ils ont tout appris sur le tas et sont devenus, c’étaient des perfectionnistes, de réels amateurs dans de nombreux domaines. La peinture, la gravure, la sculpture, les arts décoratifs, l’ameublement n’avaient plus de secrets pour eux. Leurs connaissances ont évolué avec les années, avec des coups de cœur, des passions oubliées ensuite, toujours fouillant, toujours découvrant de nouveaux centres d’intérêt. Ils ont commis des erreurs, ce que la bonne société appellerait des fautes de goût, ils ont aussi eu de vrais coups de génie, intuitifs et sans affectation. Ils m’ont laissé une tripotée d’objets en tous genres, une lassitude mitigée pour les salles des ventes et autres brocantes pourvoyeuses de bonnes affaires, et le goût réel de tout ce qui, de près ou de loin, se rapporte à l’expression artistique. Fréquentation des musées et expositions, vocations non aboutie pour les différentes formes de métier d’arts qui, tous, m’ont échappé, et désir de faire partager tout cela à mes enfants, en tentant de ne pas les en dégoûter, tel est mon héritage.

La reproduction qui m'enchanta dans mon enfance était en noir et blanc, et le côté délavé de la toile de Mantegna, fort endommagée par les ans, m'a vivement surprise le jour où j'ai traîné Alter la voir, pour lui faire partager mon enthousiasme... je crois avoir été un peu déçue !

Maman avait une passion naturelle, normale pour une autodidacte, pour la symétrie, l’art classique et toutes ses formes conventionnelles dérivées de l’Antiquité, dont il est de bon ton de décrier la rigidité et le manque d’inspiration. Elle s’était faite elle-même et tenait au bon goût plus qu’à toute chose, « bon » selon des critères décriés aujourd’hui mais qui, qu’on le veuille ou non, ont fait leurs preuves. J’ai biberonné à Hubert Robert, au Lorrain, à Nathan, ai trouvé Lemoyne, Le Nôtre et Mansard inimitables. Je me souviens avec émotion de l’émerveillement qui saisit mes parents et qu’ils tinrent à me faire partager, quand ils découvrirent le Christ Mort de Mantegna. Je sentais confusément qu’il se passait quelque chose de grand dans cette toile mais ne savais pas trop d’où venait la magie !

Je me suis passionnée (et me passionne encore) pour Victor Louis. En musique on écoutait religieusement Herbert Von Karajan et ses grandes interprétations pompeuses qui faisaient en ces temps-là les beaux jours de ceux qu’on n’appelait pas encore des mélomanes. "Notre" opéra se limitait à Verdi et Puccini, les origines italiennes de papa fournissant la base de nos références. J’ai couru les marchés aux puces, fait de la collectionnite aigue pour tout un tas d’objets incongrus, acheté en salle des ventes des meubles dépareillés mais bon marché, et qui m’encombrent encore. Le rustique et ses formes populaires trop proches de leur origine modeste ne trouvait pas grâce aux yeux de mes parents, qui se piquèrent sur le tard de découvrir l’Art Nouveau puis l’Art déco, évolution somme toute logique de leur cheminement.

... à suivre

9 commentaires:

  1. La façon dont tes parents ont approché l'art me parle.
    Je trouve que l'appréhension de l'art quel qu'il soit dans son ensemble est une démarche personnelle.
    Je ne me permettrai jamais de juger car chacun a sa propre sensibilité,sa propre vision et perception.
    De la même façon je ne dirai jamais "que c'est moche" par respect pour l'artiste,mais plutôt "ce n'est pas de mon goût""cela ne me parle pas"
    A chacun son cheminement en matière d'art,Alter n'aime pas Renoir,et moi si!!!!!!
    Comme tu le dis de plus on évolue,j'en veux pour preuve un exemple récent,j'avais lu sans déplaisir les deux premiers romans de Pat Conroy qui je l'avoue comme j'aime bien le dire" ne donnaient pas d'ampoules au cerveau",Le prince des marées et Beach Music.Je n'arrive pas à "rentrer"dans son dernier roman Charleston sud,je ne pense pas qu'il soit mauvais,ce n'est plus ce que j'attends d'une livre je pense c'est tout

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  2. Michelaise, votre série d'articles s'annonce passionnante et je vous remercie de les publier en référence au mien. Personnellement, je n'oppose pas obligatoirement l'art contemporain aux oeuvres antérieures. D'une part, je pense qu'il existe une continuité dans l'art, des préoccupations qui traversent les époques. Ainsi, la cohabitation temporaire des deux ne m'a jamais choquée. D'autre part, le "bon goût" ne m'impressionne pas: il change nécessairement et c'est très bien ainsi; chacun a des artistes, des oeuvres qui le bouleversent et seul ce contact direct compte, à mon avis. Peu importe qu'il corresponde ou non aux critères de valeur intellectuelle du moment (mais on peut reconnaître des "valeurs sûres", même si je n'aime pas trop cette expression). J'ai aussi infiniment de respect pour l'authenticité de la démarche d'un amateur sincère.
    En ce qui concerne le Christ de Mantegna, je l'avais vu protégé d'une vitre épaisse qui l'isolait.
    J'ai hâte de lire vos autres publications. A bientôt.
    Anne

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  3. Je vais aimer ( sans restriction ) ta série sur l'éducation artistique ...
    Je te souhaite une bonne et heureuse nouvelle année 2010 avec sa cohorte de beaux billets dont tu as la secret !
    Bonne soirée
    A++Sacha

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  4. Je me suis arrêté à la première peinture que j'ai regardé longtemps, je l'adore et ce n'est pas un vain mot. je peins à mes heures et c'est ce style qui m'intéresse.

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  5. Mais ce n'est pas indigeste un long article...Pardonne-moi Michelaise, mais je suis bien obligé de prêcher pour ma paroisse quand je lis: "Il en est résulté un long article dont la lecture serait fort indigeste si je vous l’assénais d’un seul coup" Mon Dieu, mais que dois-tu penser de mes kilomètres d'articles??? Est-ce que tu as pris un tube de citrate de bétaine après avoir lu mon dernier post sur mon blog???
    Bon, pour revenir à ton article, moi j'ai plusieurs choses à dire. j'espère ne pas être trop long... J'ai découvert moi aussi le Mantegna derrière une vitre, mais à la différence de toi, j'ai été soufflé quand je l'ai vu en vrai. Avant mon séjour à Milan en 2005, ma perception du "Christ mort" avait d'abord été imprégnée par tant de mauvaises reproductions qui ne rendent vraiment pas justice à ce tableau totalement bouleversant. D'ailleurs, sans vouloir être méchant, la reproduction qui figure sur ton blog fais partie de ce genre de mauvaises reproductions qui font regretter l'âge du noir et blanc! Les couleurs étalées sur la surface du tableau n'ont rien à voir avec celles rosées qu'on peut voir ici!
    D'une façon générale, je trouve que tes parents étaient des gens exceptionnellement curieux, surtout pour une époque qui était bien moins dictatrice en goûts que la nôtre! Maintenant, on serine tout le monde avec l'Aaaart, on a mis dans la tête des gens qu'ils ne seraient pas des êtres totalement accomplis s'ils ne se rendaient pas dans les musées, que la fréquentation des musées est devenu un chemin obligé pour ne pas dire obligatoire! Pour l'époque, tes parents ont manifesté une curiosité à toute épreuve qui me laisse baba. Quelle chance d'avoir été "biberonné" avec Hubert Robert ou le Lorrain. Moi, mon premier contact avec le Lorrain date de la classe de première, avec le Lagarde et Michard du XVIIe siècle. Hubert Robert, j'ai attendu vachement longtemps avant de croiser ce peintre sur ma route. Je devais avoir 28 ou 30 ans! C'est un de mes peintres préférés! Victor Louis, comme tu le sais, a été le grand inspirateur de Garnier en matière d'opéra, le grand escalier scindé en deux branches que je parcours tous les jours, c'est grâce à Victor Louis en somme qui a si merveilleusement agi sur l'esprit de Garnier!!! En revanche, là où je me désolidarise, c'est avec Karajan! Je trouve que c'est un des chefs les plus ampoulés de toute l'histoire de la musique!... Comme Anne que la juxtaposition de styles très différents n'a rien qui me choque. Le beau existe à tous les âges, sous Louis XVI comme à la Belle Epoque! Bon ben voilà pour ce soir, maintenant, comme tout le monde, j'ai hâte de lire la suite.

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  6. Cette série s'annonce passionnante. Mes connaissances artistiques sont très limitées et c'est une occasion d'en apprendre d'avantage.
    En ce qui concerne le "bon goût" je pense, comme Anne, qu'il est souvent affaire de mode...

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  7. Bonjour Michelaise, j'ai beaucoup aimé ce premier volet de tes souvenirs de découvertes artistiques et j'aime aussi le bel et émouvant hommage que tu rends ainsi à tes parents.
    J'ai hâte de lire la suite. Merci à toi d'avoir pensé à ménager nos petits neurones en nous dévoilant petit à petit ce chemin vers l'art.

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  8. Je suis ravie de vos réactions, longues (mais oui, on a le droit de faire dans la longueur Jean Michel !!!), circonstanciées et passionnées.
    Ce que j'ai tenté d'expliquer c'est que mes parents, surtout maman d'ailleurs, voyait dans l'art une façon de se sortir de leur milieu modeste MAIS c'était vraiment une sensibilité, un plaisir et ils m'ont appris les bases. Ce que j'ai tenté d'expliquer aussi c'est que, étant autodidactes, ils ont commencé par le plus "beau" et qu'ils n'ont cheminé que tardivement vers certaines audaces... j'ai eu quant à moi, et grâce à eux, la chance d'avoir défriché le "beau" très jeune, et j'ai pu progressé plus vite ! car le goût évolue, ne cesse d'évoluer et c'est que est merveilleux.
    JMV je ne citais Karajan que pour dire que, quand j'étais petite, et pour des gens qui n'y connaissaient rien, c'était LA référence. J'ai appris ensuite que cette référence était éminemment contestable mais c'est déjà merveilleux d'avoir pu écouter des disques de musique classique, cela m'a formé l'oreille.
    Victor Louis est l'architecte du grand théâtre de Bordeaux et c'est sans doute la plus belle réalisation en termes de salle de spectacle qui nous soit offerte... même si le thêatre de Palladio à Vicenza est (comme dit Astheval) scotchant !!
    Quant au Christ de Mantegna, bien sûr que c'est une merveille, ce que je voulais dire c'est que justement, cette méchante reproduction en noir et blanc était fort réussie et que, même si on n'approchait à l'époque les peintures que par le noir et blanc (imaginez cela a été la seule approche de mes parents jeunes, et ils aimaient) ces reproductions étaient très fidèle, couleur à part... Oui, JMV ma photo prise le net est cata cata, mais je la voulais de grande taille et ce sont souvent des vignettes que l'on trouve ! j'ai pensé enlevé les couleurs d'ailleurs !! sans doute devrais-je le faire !

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  9. petit passage, MATHIAS 7 ANS :
    c'est qui mamie ?
    - le christ mort
    - oh, le pauvre!
    cela résume tout!

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