LE MONSTRE DE MESCHERS

Allons-y pour le monstre à trois pattes de la plage de Meschers* ! C'est Astheval qui, relayant la boutade de sa maman, me met au pied du mur et comme je manque de la plus petite parcelle d'inventivité, pas question de concurrencer ici notre auteure de fantasy... Oui, oui, il m'a fallu atteindre 55 ans et pratiquer la bloguitude, via Oxygène et sa fille, pour découvrir ce genre littéraire dont Wikipédia nous apprend qu'à défaut de remonter à l'Iliade ou l'Odyssée, il trouve sa source dans la tradition des contes en tous genres, qu'ils soient médiévaux, orientaux voire coraniques ou féériques.

Je vais donc, dans un univers félin à 95% (que de chats dans les blogs !) me contenter de vous parler de cette ombre portée sur la plage : mon petit quadrupède, enfin celui des filles ! Comme tous (bons ?) parents bardés de bonnes intentions (le pavage de l'enfer, selon ma mère !) nous avons offert un chien à nos minettes l'année de leur brevet pour accéder à un désir moultes fois exprimé, les récompenser, leur faire une surprise, mais aussi vraisemblablement nous faire plaisir. Notre choix s'est porté sur un whippet, tant pour des questions de commodité (chien à poil ras, odeur quasi nulle, sagesse et douceur exemplaires) que d'esthétique.

Il y avait, quelque part dans notre imaginaire, coincé entre l'image dinstinguée des lévriers des élégantes de Giovanni Boldini et ceux que Lamartine caresse d'un air lointain mais ô combien inspiré, le souvenir des illustres coureurs qui émaillent le cortège des Rois Mages de Gozzoli comme autant de petits traits d'humour, dans une fresque à la portée politico-religieuse fascinante. Un des grands moments de la peinture renaissante italienne pour laquelle nous avons toujours eu une prédilection marquée. Un animal du désert, racé et raffiné, réputé pour sa douceur et sa délicatesse, voilà ce qu'il nous fallait !

Le jour de l'achat Alter a failli craquer pour un lévrier afghan d'une hauteur inouïe, dont le pelage lustré le recouvrait de minute en minute de poils d'une longueur hallucinante, et qui lui faisait les yeux si doux que j'ai cru voir mon heure arriver : condamnée à perpétuité à l'aspirateur (dire que je sais à peine sur quel bouton presser pour utiliser ce type de robot !).

Notre whippet, dernier d'une portée qui avait pris avec la fille de l'éleveur d'habitude de dormir sur le lit de sa petite patronne (allez faire passer une telle manie à un chien déjà dressé : c'est une bataille permanente et dont nous ne sortons vainqueurs que très rarement), craintif plus que de raison mais pas peureux pour deux sous, jaloux en diable, avait déjà un nom. Et à 7 mois, on ne rebaptise pas un chien. Nickolson, ça sonne plutôt bien en fait, ça fait vaguement intello, un peu "art et essai"... Mais quand on sait que je me prénomme Nicole, vous imaginez l'air narquois que prennent les gens quand on leur annonce la couleur : condamnée donc, après avoir échappé de justesse aux poils, à avoir l'air stupide de la nana un peu parano qui aime tellement son clébard qu'elle le materne à donf ! Nicol'son ! Le "chienchien" à sa mémère... Bref... Si l'on ajoute à cela que l'animal souffre d'une véritable empathie en ce qui me concerne, il n'en rate jamais une pour me manifester son amour : la dernière en date est qu'il développe avec ardeur et douleur, une affection totalement identique à celle que je traine depuis quelques mois et que j'essaie de tenir secrète au moins sur ce blog, pour ne pas sombrer dans le ridicule. Mais ceux qui me côtoient ne peuvent s'empêcher d'être pliés de rire, les ingrats, devant les preuves tonitruantes d'un tel attachement.

Malgré sa terreur de la voiture, imputable aux longs déplacements qu'il fit, bébé, en compagnie des autres chiens de l'élevage quand on les entassait dans un van à chiens pour aller faire des courses qui devaient mettre tout ce beau monde en folie, malgré son pelage râpé car il est très courageux et toujours prêt à en découdre, sa queue cassée et sa propension à empester l'atmosphère à la moindre émotion, et croyez-moi, il est émotif, c'est un chien superbe... Et quand il court sur la plage des Nonnes, malgré ses douze ans et ses articulations douloureuses, il est d'une beauté qui force l'admiration des plus récalcitrants. Il retrouve bien ses 4 pattes et son air conquérant !

Benozzo Gozzoli – Le Cortège des Rois Mages (détail) – 1459

Fresque, chapelle du Palais Medici-Riccardi, Florence

*Voir les commentaires de l'article précédent : le monstre est visible sur les photos "ombres"... je n'ose le remettre de peur d'effaroucher mes lecteurs !