mardi 9 février 2010

MYSTERE INFINI



Echo nostalgique, réveillé par Chic qui, ces jours-ci, a posé une colle sur son site, le hasard lui ayant, dit-il, joué un drôle de tour, il nous appartient de trouver de quel tour il s'agit. L'affaire est mâtinée de Normandie, de reflets bleutés et semble avoir un lien avéré avec Gustave Courbet, peintre que Chic affectionne pour lui ressembler quelque peu. Je suis, du coup, devenue une spécialiste de Courbet, via internet, et souhaite fermement à Chic de ne pas se parer dans les années à venir de l'embonpoint qui fut celui du peintre sur la fin de sa vie. Un trublion Courbet, qui fut condamné à 6 mois de prison pour avoir participé à la démolition de la colonne Vendôme et dont nombre de toiles firent, à sa plus grande satisfaction, grand tapage. Il aimait s'attaquer aux conventions et renverser les hiérarchies établies.
Mais l'histoire que je veux vous raconter les filles, n'est pas celle d'un scandale. C'est un vague souvenir qui a trait à la passion qu'avaient mes parents de courir les salles de ventes et d'en ramener toutes sortes de choses qui, depuis, ont encombré nos armoires et m'ont rendue vaguement allergique à tout ce qui a trait à la brocante.

L'histoire remonte au début des années 60, je n'étais pas bien grande et je n'ai pas participé en direct. Ils étaient allés passer leur dimanche à une "belle vente" à Libourne, ainsi qu'on nomme encore les ventes qui présentent non du tout venant, mais un matériel trié, quelques beaux meubles, quelques toiles aux sigantures alléchantes et divers objets de qualité. Ils en avaient rapporté une incroyable et sinistre peinture, d'une dimension plus que respectable et difficilement logeable dans un appartement : mais ils venaient d'acheter une maison à retaper où papa passerait de nombreux dimanches entre la truelle et le marteau. Pour l'heure, ils débarquaient devant mes yeux ébahis, une composition vériste, du plus bel effet, composée sur plus d'un mètre cinquante de haut, en format figure, d'un calvaire dans la grisaille, au pied duquel une veuve éplorée, si l'on en jugeait par sa mise sombre, priait. Il faut vous dire que papa, d'origine italienne et de tempérament musclé, avait une sensibilité affirmée pour la chose religieuse qui le faisait s'émouvoir comme un enfant devant une scène de ce genre. Lui, si mâle, si viril, si invulnérable, avait la larme à l'oeil devant cette saynète encombrante et nous avons donc installé cette toile avec tout le respect dû à l'artiste inconnu dont j'ai oublié le nom. La toile a disparu lors d'un des nombreux nettoyages par le vide qui a suivi, leur passion pour l'achat les contraignant à faire place nette par moment.
Mais, ce dont je me souviens, et qui reste pour moi inexpliqué, est que lors de cette même vente, se serait vendu un tableau de Courbet, La Rencontre ou Bonjour Monsieur Courbet. L'enchère était d'un bon prix, très éloigné de celui sacrifié pour acheter la veuve en prière, mais aurait pu, avec un gros effort, être dans leurs cordes. Et ils regrettèrent longtemps d'avoir manqué de réactivité, d'audace et de s'être montrés économes et raisonnables. Mais pour moi, Bonjour Monsieur Courbet était définitivement inscrit en mémoire, comme un tableau mythique. J'en découvris plus tard la teneur, et j'avoue aimer cette toile que la fiche d'André Houllier décrit parfaitement.
Mais qu'en était-il vraiment de cette légende familiale ? Avec Internet, facile de vérifier. La Rencontre, commandée et payée par Alfred Bruyas en 1854, fut exposée par lui, décriée par la critique, et Bruyas, blessé, préféra soustraire le tableau aux yeux du public, jusqu'à sa donation au musée Fabre de Montpellier en 1868. Il ne saurait donc être question que la toile entrevue par mes parents en vente publique dans les années 60, soit celle-là. Dès le vivant de l'artiste, obligé de produire plus pour payer son amende colossale et ayant donc une production inégale, le marché s'est enrichi d'oeuvres attribuées à Courbet, dont il est difficile d'apprécier l'originalité. Sans doute était-ce une de ces copies qui fut vendue à Libourne, et le mythe familial est devenu sans objet. D'autant plus que, les deux seuls protagonistes de l'histoire sont décédés et qu'il m'est devenu impossible de les interroger sur les circonstances exactes de l'histoire, sans doute réinterprétée par mon imagination enfantine et dont je finis par ne plus savoir les détails exacts.

C'est aussi cela voir partir ses proches, c'est perdre une mémoire, renoncer définitivement à éclaircir des chroniques confuses, perdre tout repère dans le passé en sachant que, jamais plus, on ne saura la clé du mystère.

12 commentaires:

  1. Tes derniers mots me touchent et me parlent énormément Michelaise. La peur de l'oubli, le regret des questions jamais posées... La mort n'est pas facile à accepter.

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  2. Belle anecdote...rater un Courbet dans une brocante...regrets éternels !

    Mais je fais partie de ceux qui détestent la "spéculation" en matière d'art...alors je trouve réconfortant qu'on puisse parfois préférer une "croûte" à un chef d'oeuvre !
    Car ce qui compte, c'est le coup de coeur, c'est l'émotion et non le..."j'en tirerai une fortune dans quelques années" !
    En ce sens, ton histoire est sympathique.
    Et puis merci de parler de ce peintre, qui, malgré son nom, ne s'est jamais "courbé" devant les grands, a toujours gardé son indépendance et son originalité.
    Je ne suis pas une grande connaisseuse en peinture mais je trouve son oeuvre remarquable...elle est très diversifiée, originale, audacieuse et sincère.
    Et puis, j'y retrouve tous les paysages que je connais puisqu'on est de la même région !

    Une exposition a eu lieu en 2008 je crois, au Grand Palais...ce qui a permis de le redécouvrir. L'affiche en était ce fameux autoportrait un peu halluciné...un tableau d'une modernité étonnante !

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  3. Oui Astheval on "leur" en veut un peu de nous laisser ainsi, dans l'ignorance de détails dont on n'a pas su parler en temps utile... c'était, tu l'as compris, le vrai sujet de l'article !
    Licorne la spéculation ça va ça vient !!! Ils ne spéculaient que de fait, en fait ils s'en fichaient pas mal, car ce qui vaut une fortune aujourd'hui, souvent, ne vaut plus rien demain... ils aimaient les objets, jusqu'à l'envahissement... et aussi, je crois, la sensation, futile et éphémère, de "faire une bonne affaire"... et de faire des découvertes... toutes choses dont je n'ai pas trop le goût, ayant biberonné un peu trop à la brocante.
    Quant à Courbet, oui, c'est un personnage attachant, tous les peintres ne le sont pas !!! l'affiche dont tu parles est celle dont Chic a illustré son billet... toujours aussi mystérieux !!!

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  4. J'aime bien ton évocation du "souvenir de souvenir"... J'ai toujours le sentiment, pour les choses qui remontent très loin dans ma mémoire, notamment celles de l'enfance, de ne plus savoir où commence l'histoire réellement et si l'interprétation que j'en donne n'a pas fini par s'estomper avec le temps pour non seulement muer en un souvenir vague, mais, pire, en "souvenir d'un souvenir"... Quant à la disparition des êtres chers, notamment, celle des parents détenteurs de ces clés qu'on a oublié de leur demander, je crois qu'on ne peut faire ce constat qu'après l'avoir vécu car je remarque que, autour de moi, il y a toujours des questions que les gens ne posent jamais aux parents, même très graves (hier encore, une amie m'a dit ne pas être sûre d'être la fille de... son père, mais que jamais elle ne pourrait aborder la question avec sa mère !). Le "regret des questions jamais posées", comme le dit Astheval, peut avoir tellement de cause, ne serait-ce que le temps dont on croit pouvoir disposer avec cette naïveté que le temps des autres est le nôtre..., la croyance que les parents sont éternels, que la mort n'a rien de définitif... Et pourtant... Plus de vingt ans après la disparation de mes parents, je n'arrive toujours pas à appréhender ce mot dans toute sa réalité : une absence définitive. Certes notre mémoire permet de perpétuer le souvenir et, en cela, personne ne meurt jamais jusqu'à l'extinction de cette mémoire, mais il faut se rendre à l'évidence : notre temps a ses limites, il faut oser poser les questions. Reste à savoir si les parents sont toujours prêts à y répondre, rien n'est moins sûr... Finalement, ton blog, à caractère assez intime, fourmillera de renseignements pour tes filles, même s'il faudra quelquefois qu'elles lisent entre les lignes pour connaître vraiment ce qui a motivé tel ou tel billet, y déceler la cause de certains de tes instants de joie, de tristesse, tes états d'âme... Ce ne serait pas plus simple d'en parler de vive-voix , où il faut, quand il faut ???!!! Poser la question, c'est démontrer à nouveau la difficulté dont s'agit...PS je crois avoir pris la résolution de ne plus m'impliquer dans les sujets qui méritent de longs développements car je ne sais pas faire court, c'est toujours un peu frustrant de ne pas pouvoir développer à fond un sujet intéressant... M'enfin, sinon je ne commenterais jamais chez toi !!!

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  5. Difficile de vérifier l’authenticité du tableau par Internet Michelaise, ainsi que tu le précises, les protagonistes de l’histoire ne sont plus et on n’empêchera pas le mercantilisme n’est-ce pas ?

    Un expert doit pourtant être en mesure d'authentifier une oeuve non ? Qui plus est du Courbet.

    Bonne soirée.

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  6. Ton histoire de tableaux est émouvante Michelaise et plus encore les deux lignes qui terminent ton article. Pourquoi faut-il attendre le départ de ceux qu'on aime pour voir affluer toutes les questions qu'on aurait aimé leur poser, tous les souvenirs qu'on aurait aimé leur entendre évoquer...
    Avant l'absence irréversible, on a l'impression d'avoir tout le temps et pourtant...

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  7. Merci Colibri pour ce long commentaire, vaste sujet en effet que nos capacités à vivre dans l'instant ce qui doit l'être, à ne pas repousser ce que le temps nous refusera, que la difficulté qu'on a admettre que nos parents ne seront pas éternels... Nous partageons, d'après ce que tu dis, la tristesse d'avoir perdu nos parents jeunes et comme toi, " Plus de vingt ans après la disparation de mes parents, je n'arrive toujours pas à appréhender ce mot dans toute sa réalité : une absence définitive"... encore présents dans mes rêves ce qui a quelque chose d'enfantin tout de même ! Quant aux questions jamais posées, comment veux-tu qu'on y ait pensé si jeunes ?? Quant à mes filles, je crois qu'elles me connaissent bien, trop bien parfois, et je ne pense pas leur laisser beaucoup de zones d'ombre !
    Oui Do, toute mon histoire est bien confuse, mais Colibri a bien senti qu'il s'agissait d'un des ces éclats de vie que la mémoire a trituré, pour Dieu sait quelle raison !! alors, pas d'expertise surtout !!!!
    Et le mot de la fin est pour toi Oxy, on a l'impression d'avoir le temps... mais était-ce illégitime à 30 ou 40 ans, âges que j'avais au décès de l'un et de l'autre ??? et puis, à ces âges là, on n'en est pas encore aux nostalgies !!!

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  8. La vie est un voyage...toujours inachevé. Quand je pense que j'ai failli mettre ce tableau plutôt que L'Hiver...peint en 1868 :)) Bonjour Madame Michelaise :)

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  9. L'anecdote est mignonne... elle me disait bien quelque chose, en effet, mais bien vaguement...
    Quand à éclaircir le fin mot de l'histoire, es-tu vraiment sure que cela soit tout à fait necessaire ?

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  10. Je sens que ton voyage à Ornans reste inachevé !!! Va falloir y retourner...

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  11. Tu as raison Koka, le fin mot n'avait d'intérêt que dans la mesure où, grâce ou à cause d'internet, j'ai dû admettre que Bonjour Monsieur Courbet figure depuis 1868 dans les collections du musée Fabre, et que ma légende personnelle a pris du plomb dans l'aile. Il faut admettre que le temps a fait son oeuvre !!! Pas encore le 40ème siècle mais on s'en rapproche !!

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  12. Comme toujours tu as les mots qu'il faut et qui touchent.
    Ce que tu contes là concernant ce que l'on peut acheter dans une vente aux enchères, c'est bien cela "on a fait une affaire,on a raté une affaire" du moins c'est notre sentiment.
    Quant à ta conclusion si tu savais combien je la vis tous les jours.
    Mon père était celui bien que pas très loquace avec lequel je communiquais le plus,c'était mon encyclopédie,très cultivé et érudit,une mémoire éléphantesque.
    Par exemple il y a quelques temps je laissais un commentaire à Lulu me référant à une croix dans nos campagnes.
    Lulu me demandait d'en faire un billet.
    Si mon père était encore de ce monde je l'aurais appelé et "il m'en aurait sorti" trois pages
    Concluons sur un brin d'humour:
    Michelaise il faut vraiment que j'apprenne à faire la mique,mais tu es encore là

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