mercredi 17 février 2010

ORS BAROQUES

Avant d’aller salle Pleyel pour entendre ce que JMV nomme le concert du siècle, petit brunch sous les ors de Jacquemart André, à l’ombre des tapisseries XVIIIème et sous les nuages de Tiepolo. Toujours aussi somptueux, même si les croissants étaient un peu fermes et le pain carrément froid. Impeccable pour être à pied d’œuvre à 13h.

Du concert, JMV a déjà tout dit, et il m’est difficile, après son analyse circonstanciée et fort documentée du spectacle ( et ), de reprendre les mêmes détails. Inutile de revenir sur Cecilia qui reste la diva incontestée de cette distribution brillante, et qui a même ému Christie aux larmes, même si Nathalie Stutzmann affublée ici d'un rôle peu porteur (je cite JMV : Cornelia qui, pendant deux actes et demi, ne cesse de pleurnicher et de s’apitoyer sur son sort") y tient sa partie avec l'élégance, la gravité et la délicatesse qui la caractérisent. Le registre de contralto est, traditionnellement, moins brillant et moins séduisant que celui de mezzo, mais la personnalité de cette interprète, discrète et pas diva pour deux ronds, est très attachante. La chaleur incomparable de son timbre en fait une artiste qu'on retrouve toujours avec un immense plaisir.



Je reconnais volontiers qu’Andreas Scholl n’avait pas la stature pour interpréter César, sa voix fluide et élégante convenant sans problème pour les airs amoureux, mais n’ayant pas vraiment de crédibilité dans les airs de bravoure. Seule différence notable lors de la représentation du dimanche, la coqueluche du moment, le contre-ténor Jaroussky, était remplacé(e)* par Anna Bonitatibus, une mezzo très agile, au registre musclé et très chaleureux, et je pense, malgré l’enthousiasme absolu de JMV pour le jeune falsettiste, que nous n’avons pas nécessairement perdu au change. Elle a reçu un accueil enthousiaste du public, qui a bravé pour elle, et bruyamment, les interdits d'applaudir. Je ne sais, si j'en crois les assertions de mon maître en références sur le tempérament de la diva (je veux citer JMV), si c'est cela qui a justifié le malaise perceptible de Cecilia. Elle était présente, attentive, mais crispée sur son étole et avait l'air un peu "chiffonnée". Alter prétend que ce sont imaginations de ma part, mais elle m'a semblé assez contractée.

Un détail m'a contrariée : la diction de certains chanteurs était assez confuse et la clarté du texte s'en ressentait. Non que l'intrigue soit passionnante et le livret fort littéraire, mais ce brouet à l'articulation improbable m'a ramenée à des temps où l'on ne savait dire, en entendant un opéra s'il était en italien ou en anglais... Ce pauvre Haendel qui ambitionnait d'imposer aux londoniens encore sous le coup du traumatisme de la mort de Purcell, l'opéra italien, en aurait frémi. Sans doute la "regina" n'avait-elle pas dit son mot sur "les professeurs de chant qui devaient former ses coéquipiers à la pratique de l’italien" ... comme elle le fit, selon JMV en 95 et 96 à Houston...

Par contre, notre admiration pour William Christie n’a pas pris une ride. Et pourtant nous le connaissons depuis ses débuts : les Arts Florissants fêtent leurs 30 ans et le joueur de théorbe, Brian Feehan est toujours le même, quelques cheveux en moins ! Le Grand Bill est le chef baroque le plus respectueux des voix, le plus amoureux de ses chanteurs, le plus attentif et le plus attentionné que je connaisse, mais j'en connais finalement assez peu ! En chair et en os (je veux dire en live)... Non content de diriger avec une sensibilité jamais prise en défaut, et d’interpréter avec beaucoup de caractère, il accompagne les voix avec un respect, une vigilance et un souci de mettre chacun en valeur qui sont d’une rare intensité. Sans doute est-ce cette liberté qu’il laisse aux interprètes qui contrarie JMV, mais en ce qui me concerne, c’est ce qui fait le charme de ses directions, toutes à l’écoute des solistes, valorisant chacun sans souci du prestige. Et tant pis si ses cors sont parfois approximatifs... cela doit nous rappeler les débuts des baroqueux, où il semblait impossible d’aligner trois notes justes, les instruments ayant bon dos pour justifier tous les dérapages. Ce temps est fort heureusement révolu, mais on garde pour les cors une indulgence coupable !

Nous avons bien ri à l’idée que Haendel n’a sans doute jamais connu public aussi silencieux et aussi concentré dans aucune de ses représentations. Guilio Cesare a été créé pour le King's Theater qui avait été monté par un groupe d’actionnaires mélomanes de l’aristocratie anglaise. Peu empressés à financer réellement cette opération, le capital n’était toujours pas libéré 10 ans plus tard, les membres de cette entreprise y disposaient à l’année de salons et de loges pour assister aux spectacles, recevoir, se montrer et pérorer. C’est le premier opéra "privé"qui ait existé à Londres. Haendel en était le directeur musical et y entretenait une programmation, payée à prix d’or, digne du concert de Pleyel : castrats célèbres, soprani recherchées, chanteurs exceptionnels coûtant des prix faramineux, mises en scène brillantes et somptueuses, tout était bon pour attirer et plaire au public. Guilio Cesare, qui a toujours joui d’un succès constant auprès des spectateurs, lui servait pour sauver les meubles et renflouer les caisses dès qu’un autre opéra faisait un four ! Cela n’a pas sauvé l’entreprise, qui l’a en partie ruiné et qui, outre un AVC en scène qui le laissera momentanément à moitié paralysé, lui a surtout apporté de nombreux soucis Ce qui est savoureux est qu’il n’a sans doute jamais rêvé d’un public aussi respectueux, aussi prêt à s’enflammer et aussi sage… Car même interdits d’applaudissements, les rangs vibraient avec une ardeur très inconditionnelle, et le triomphe final n’admettait aucune réticence ! Sans doute est-ce ce consensus un peu convenu qui nous a laissé un peu sur notre faim ! JMV insiste sur la différence des publics entre le mardi et le vendredi soir, on imagine volontiers que le public du dimanche après-midi, dont nous sommes souvent malheureusement, a des particularités encore plus marquées, traditionalisme et a priori, qui en font un convive pas toujours perspicace. J'aime les publics ayant du caractère qui savent acclamer à bon escient et manier l'applaudimètre avec parfois une certaine cruauté !!

* faut-il accorder avec la coqueluche ou avec le contre-ténor ??? avec la coqueluche, je crois, mais j'ai eu peur, ce faisant, de heurter votre sens des voix !!

9 commentaires:

  1. Je n'ai pas encore eu la chance d'assister à un opéra "en vrai" mais j'aime beaucoup écouter les voix de ces impressionnants chanteurs. Plus encore maintenant que j'ai quelques connaissances sur "l'appareil vocal".

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  2. Alors Astheval, j'ai lu quelque part ce que tu fais dans la vie, pour de vrai, mais j'avoue être incapable de le retrouver... cela a donc un rapport avec l'appareil vocal ??
    Quant à assister à un opéra en vrai, cela peut être parfois fort long et fort ennuyeux, méfiance, méfiance quand on n'est pas habitué... il ne faut pas risque le dégoût... on peut suggérer pour un premier opéra la flûte enchantée, les noces de figaro ou un rossini, voire un verdi ... en l'écoutant avant pour ne pas être trop dépaysé. Attention si l'on y prend goût, cela fait un budget salé ensuite !!! mais y a toujours des places bon marché, quoique lointaines !!!

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  3. Je me suis contenté avec plaisir de visionner la vidéo sur la cantatrice, quelle voix..un peu masculine je trouve.. Bonne soirée !

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  4. Michelaise, merci pour ce joli post, très complémentaire, et tous ces hommages à ma prose, vraiment je suis flatté. Merci aussi de parler de Stutzmann qui ne m'a pas touché, qui me touche un peu plus dans ses lieder de Schubert. Merci aussi de parler d'Anna Bonitatibus, une chanteuse que j'aime beaucoup et que j'aurais adoré revoir. Je suis persuadé, comme tu le dis, que tu n'as pas perdu au change. Elle est absolument remarquable, elle a une voix magnifique, et figure-toi qu'elle a remplacé Bartoli plusieurs fois dans Il trionfo del tempo e del disinganno quand cet oratorio avait été donné à Baden-Baden... Donc, tout ça pour dire que remplacer Bartoli, ce n'est pas une chose facile, mais qu'elle s'en est parfaitement bien acquittée, comme je le relate sur mon blog (6 avril 2007). Enfin, pour clore ce chapitre Bonitatibus, je ne pense pas que Bartoli était contrariée de son succès, Bartoli a joué collectif du début jusqu'à la fin, elle applaudissait également les chanteurs. J'aurais aimé voir l'attitude que tu décris parce que d'autres personnes présentes le dimanche m'ont dit des choses un peu semblables, ce qui m'étonne quand même un tout petit peu car il n'y a jamais de sentiments mesquins chez Bartoli. Et puis, quand on est la première, on ne peut être jaloux de la seconde ou de la troisième, hein?
    Tu fais bien de rappeler, c'est très important - je ne l'ai pas fait et j'aurais peut-être dû - que le King's Theater est le premier théâtre "privé" anglais (mais non européen, les Vénitiens avaient pris de l'avance un siècle plus tôt avec le San Cassiano où furent donnés une bonne dizaines d'opéras de Cavalli). Ceci est important parce que le public qui se pressait à l'opéra, que ce soit à Londres ou à Venise, n'avait rien à voir avec le public parisien, retenu, soumis à l'étiquette, qui allait écouter des tragédies lyriques. Pour l'opéra, il n'y avait pas de théâtre privé à Paris, c'est toute la différence, mais un théâtre de cour. Les Vénitiens ou les Londoniens savaient faire la fête à la musique, applaudir les artistes, chahuter les mauvais. A Paris, pendant ce temps, on s'emmerdait, on s'observait, on s'épiait, et je comprends ta frustration dimanche par rapport à cette époque où aller au théâtre était une fête. Cela dit, on mangeait du saucisson aussi... Et pas dit que j'aurais aimé avoir un voisin à mes côté découper ses rondelles!
    Quant au public du dimanche, je suis tout à fait d'accord avec ce que tu dis, sauf que cette fois, c'était plutôt un public de retardataires... un rappel offert à tous ceux qui avaient raté les deux précédents rendez-vous!!!

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  5. Oui, oui, je confirme le choix de Michelaise : la Flûte enchantée! C'est mon premier opéra vu sur scène, et l'effet a été radical, puisque je n'aurais jamais imaginé que je finirais ma vie à la bibliothèque de l'Opéra! Mozart est le meilleur passeport pour entrer dans l'opéra (je ne dirais pas ça de Rossini, que pourtant j'aime beaucoup).

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  6. Les stars de la musique baroque se complétaient-elles?
    Je suis une inconditionnelle de Bartoli,je suis enthousiasmée par sa joie de jouer car cela semble un jeu chez elle,et surprise par tout ce qu'elle est capable de faire
    Je comprends ce que tu veux dire pour Andréas Scholl,la colère du chef romain était peut-être faible,par contre pour la tendresse et la poésie....
    Toi aussi tu as apprécié Anna Bonitatibus je ne sais plus où j'ai lu également qu'elle avait été remarquable
    Il n'y a plus qu'à attendre la gravure mais je crois que Decca a annulé son projet

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  7. Normal Gérard que tu trouves sa voix un peu grave, c'est un registre très particulier, très bienvenu en particulier dans les lieder de Schubert... et que la partition de Haendel ne valorise pas particulièrement.
    JMV je pense comme toi que la réaction de Cecila n'était pas de mesquinerie (je t'avoue que l'idée ne m'en est venue qu'en lisant tes commentaires) pendant le concert j'ai pensé (Alter s'est fichu de moi) qu'elle était un peu patraque... je t'avoue que je me suis demandée si elle n'avait pas ses règles (ça ne se dit pas un truc comme cela) !! elle a dû s'absenter quelques instants et est revenue en tirant sur sa robe... plus tard elle serrait son étole contre son ventre comme une femme qui aimerait se rouler en boule pour attendre que ça passe. Tu imagines la tête d'Alter quand je raconte des horreurs pareilles !!!
    Ceci dit Anna Bonitatibus a un caractère, une présence et un entregent qui lui donnent pas mal de poids, même face à la Diva.
    Aloïs, à propos de Deca, y a tout un débat de spécialistes sur les commentaires du blog de JMV.
    Quant à la Flûte, ce fut pour moi aussi mon "entrée" à l'Opéra, suivie aussi d'une vraie passion... et tu vas rire JMV ce premier opéra c'est au cinéma que je l'ai vu puisqu'il s'agissait de la Flûte de Bergman. J'avais auparavant découvert les voix grâces aux messes et autres te deum, ce qui une bonne préparation... mais après, on est "pris" !!! attention astheval !

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  8. Ton article est très instructif pour moi qui ne connais absolument rien à l'opéra. Comme j'avais dû t'en parler un jour mon "expérience" de l'opéra se limite à La Flûte enchantée alors que j'avais 12 ou 13 ans... Et bien qu'enchantée par ce spectacle, je n'ai pas eu l'occasion, ni l'envie de persévérer. J'ai l'impression qu'il faut une grande culture musicale pour savoir apprécier de telles voix, que l'opéra est un genre qui s'adresse surtout aux initiés...

    Je viens d'écouter Nathalie Stutzmann. Je suis autant impressionnée par sa voix si profonde que par sa simplicité lorsqu'elle répond aux questions de l'interview... Ces voix exceptionnelles, que le commun des mortels ne possède pas, sont un cadeau inestimable...

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