mercredi 24 mars 2010

DÉSOBÉISSANCE CIVILE

J'ai, c'est de notoriété familiale, à défaut d'être publique, une passion irrépressible pour les tulipes. Une attirance jamais démentie pour ce bulbe aux fleurs généreuses que l'évolution des temps modernes nous offre comme un produit bon marché alors que l'histoire nous apprend qu'il fut l'objet des plus folles surenchères. La tulipomanie, première bulle financière spéculative de l'Histoire, me laisse pantoise et fascinée. J'ai lu récemment Semper Augustus, un roman d'Olivier Bleys qui ne m'a pas retenue outre mesure, mais choisi à cause de son thème : un bourgeois de Haarlem dans les années 1630, qui a fondé sa fortune sur l'évolution exponentielle du prix des précieux bulbes, soutient tout en le corrompant le fils un peu influençable d'un sien ami, parti tenter de faire fortune au Brésil. L'histoire est un peu falote, la langue se veut adopter le phrasé désuet du XVIIème siècle et le récit se déroule sans véritable aspérité, offrant un livre lisible, sans plus.

Il semble d'ailleurs que l'affairisme concernant les tulipes n'ait eu ni l'ampleur ni les conséquences que lui prête la légende. L'excellent et fort documenté article de l'Antisophiste* démonte largement le mythe après nous avoir longuement expliqué en quoi, cependant, ces fleurs merveilleuses passionnèrent nos ancêtres. Sans pour autant les ruiner, ceux qui en achetèrent à perte, peu nombreux dans les faits, pouvant largement se permettre d'y laisser quelques plumes. Il semble que la tulipomanie déboucha plus sur une crise de confiance que sur une véritable crise financière : le crédit commercial de ces bons bourgeois qui, à la hausse, n'honoraient plus leur parole pour revendre quelques semaines plus tard trois fois le prix, et qui, à la baisse, en tant qu'acheteurs cette fois-ci, refusèrent d'honorer leurs engagements pour payer des bulbes dont la valeur s'était effondrée, en prit un coup dans l'aile, et il fallut pas mal de temps pour restaurer la crédibilité économique de ces apprentis sorciers.
J'aime donc les tulipes à cause de leur légende, mais aussi parce que, tout simplement je les trouve belles. Les plus somptueuses étant, à mon goût, celles que la nature nous livre telles quelles, et que l'on trouve à l'état sauvage en Asie Mineure ou en Asie Centrale. J'aime aussi beaucoup celles qui doivent leurs formes gracieuses à quelques maladies ou anomalies qualifiées au XVIIIème de monstrueuses. Les Rembrandt ou autre Perroquets aux pétales multicolores et aux allures déchiquetées sont autant de merveilles qui inspirent encore aquarellistes et peintres, comme elles inspirèrent au XVIIème siècle les maître hollandais. Visitez le site de Claire Felloni ou celui d'Hélène Glehen, et vous m'en direz des nouvelles.

Mais aussi, et qui sait surtout, j'aime ces fleurs pour leur manque total de discipline, leur inébranlable indépendance et leur vivacité jamais prise en défaut. Vous les coupez, elles continuent à pousser dans le vase, vous les arrangez en bouquet et elles n'en font qu'à leur tête, se dispersant en tous sens, vous les maitrisez, elles vous narguent. Cette insubordination manifeste me réjouit chaque année dès que je peux en piqueter ma maison, et je ris chaque fois que je les croise, ayant inventé pour me railler quelque danse sauvage qui le propulse hors des sentiers que je leur ai tracés. Aujourd'hui, alors que je tentais à grands coups de ciseaux de les remettre dans le droit chemin, appliquée à raccourcir leurs tiges et à les domestiquer un peu, France Culture égrenait une émission sur le "Discours de la servitude volontaire" d’Etienne de la Boétie. Ce manifeste contre la tyrannie, écrit par un jeune homme à peine sorti de l’adolescence (notion qui n’existait guère à l’époque, mais il n’avait que 18 ans quand il le rédigea) est d’une surprenante modernité. Sa question centrale, pourquoi obéit-on, reste d'une brûlante actualité, en raison du désarroi de notre époque, où l'on revendique que le sort des individus relève d'une détermination personnelle plus que d'un pouvoir souverain ou d'instances providentielles, désormais tombés en désuétude.
Et pourtant, nous l’avons vu l’autre jour à propos de l’émission « le jeu de la mort », nous sommes plus que jamais asservis à des références qui nous poussent, ou tendent à nous pousser (oui, vous le disiez dans les commentaires, il y a encore des rebelles et des héros discrets !!) à honorer des idoles qui nous font bafouer nos valeurs morales. Et ce jeune homme, qui continue de ranimer la jeunesse du monde, a ce mot merveilleux : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. » Il ne préconise nullement de s’armer pour abattre le tyran « Je ne veux pas que vous le poussiez ou l'ébranliez, mais, seulement, ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre. » Simplement, parce qu’il est humainement plus enrichissant et plus difficile de défendre les libertés que de supporter la domination, il prône la désobéissance, plus exactement le refus de la servitude vonlontaire. Alors que cette dernière alternative ne suppose que résignation et passivité, affirmer sa liberté implique conscience, détermination et effort.

Alors, des fantaisies jamais démenties des tulipes à mon goût inné pour une certaine forme d’insoumission aux normes trop convenues et aux règles trop établies, sans doute imputable à une éducation sévère dispensée par des parents autoritaires, j’ai eu envie de m’évader avec vous, le temps de rendre hommage à ce périgourdin prophétique, et dont la mort prématurée (il avait 33 ans) laissa Montaigne inconsolable.


Pour ceux que cela amuse je vous livre l'analyse du tableau de Brueghel par l'Antisophiste :
"Au premier plan, un singe pointe une platebande de tulipes, tandis qu’un autre brandit une tulipe et une bourse pleine d’argent. Les bulbes sont pesés, la monnaie est comptée, une vente est conclue par une poignée de mains, un dîner d’affaires est donné. Le singe sur la gauche tient une liste des variétés de tulipes avec leurs prix. Il porte l’épée, ce qui le classe dans la gent aisée. Un autre relit un contrat de vente, la chouette sur son épaule symbolise la folie. Le tableau montre aussi ce qui advient avec le krach. Un singe urine sur des tulipes désormais sans valeur. Derrière lui, un spéculateur qui n’a pas payé ses dettes est mené devant un magistrat. Assis sur le mur de droite, un singe pleure. A l’arrière plan, un acheteur mécontent joue des poings, tandis qu’à droite, un spéculateur est conduit à sa dernière demeure."

12 commentaires:

  1. Comme toi, j'aime les tulipes et... une certaine indiscipline...

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  2. Un faible pour les dentelées comme celles que tu nous montres..je suis aussi Fan fan de tulipe

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  3. Je pensais les tulipes, qui ne tiennent pas longtemps en vase, fragiles... je ne les savais pas indisciplinées et je trouve qu'après tout, ça leur va très bien. Il est bon de savoir désobéir et de ne pas se plier à tous les caprices. Peut-être ferons-nous un jour avec toi Michelaise la révolution des tulipes ???

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  4. Ton billet est passionnant.Tu imagines qu'il a captivé la jardinière amateur que je suis.
    Les planches botaniques que l'on peut trouver sur cette fleur sont toujours magnifiques.
    Il existe un endroit rue St Sulpice un peu spécialisé dans les gravures anciennes et planches botaniques où je ne peux m'empêcher de pointer le bout de mon nez régulièrement.
    Connais-tu "les tulipes géantes de Carqueiranne"?
    Surprenant n'est-ce pas la culture de la tulipe dans le Var,ce bulbe toujours assimilé à la Hollande.
    La méditerranée,des pins,et des tulipes.
    Une idée de WE à susurrer à l'oreille d'Alter
    www.tourismevar.com
    wwwmarcheauxfleurs.fr
    Un de mes amis j'ai bien dit "un" m'a conseillé un jour de mettre très peu d'eau dans mon vase pour mieux conserver les tulipes.
    Génial.
    Mais tu connais peut-être cette astuce

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  5. Non Oxy les tulipes ne sont pas fragiles,au contraire elles durent très longtemps ! J'adore l'idée de la Révolution des Tulipes, tous ceux qui refusent les tyrannies en tous genres, surtout les plus insidieuses, les plus rampantes, à vos oignons ! Norma et Oxy en tête... Gérard, si tu nous Fanfan, on t'admet dans les cortège...
    Aloïs, j'avoue que quand j'ai vu tulipes dans le Var cela m'a fait bizarre, mais en effet pourquoi pas... plus original que le voyage en avril en Hollande en tout cas ! Mandarine devait profiter de ses nombreux séjours dans le Var pour aller voir cela !!
    Oui je connaissais le truc du très peu d'eau mais je ne le pratique pas parce que cela m'amuse trop de les voir mener leur vie, et pousser dans tous les sens !!!

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  6. Moi aussi je les aime beaucoup.

    Oui elles sont indomptables, mais en fait ce n´est pas grave, elles sont toujours élégantes.

    Merci de ces informations, Michelaise

    Bonne journée

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  7. Ah les tulipes... je susi sure que tu les aimes parce qu'on dit que certaines sont noires ;)

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  8. J'attends avec impatience la révolution des tulipes dans notre jardin, de toutes les couleurs, j'ai un faible pour les dernières plantées, d'un beau violet, que j'avais trouvé à Saint Jean de Beauregard.
    Les tulipes de Hollande, du Var, mais aussi de la Turquie, là-bas il y en a partout, même sur les murs des mosquées; n'est-elle pas l'emblême de ce pays?
    Très beau billet Michelaise!
    Bonne journée

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  9. bon...moi, la tulipe que je préfère c'est "la tulipe noire" au cinéma avec alain Delon, mais c'est aussi une histoire de rebelle ;)

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  10. J'ai aussi un faible pour les tulipes, celles de mon amie Bridget du blog Bridget is painting !
    J'ai lu ce livre l'an dernier peu aprés la crise d'octobre 2008!
    D'Amsterdam j'ai ramené des oignons qui offrent à ma soeur des dizaines de tulipes magnifiques depuis des années.Elle se demandait si elle pouvait les déterrer et les emmener dans sa nouvelle demeure (Aubagne).

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  11. Tu vois Chic, tu rejoins Koka !! Je vous trouve bien complice tous les deux pour vous moquer de moi ! Mais elle a raison Koka, ça fait fantasmer la tulipe noire !!
    Oui Alba, elles restent toujours élégantes, même dans leurs plus folles évasions du vase !
    Martine, elles sont si belles celles qui sont croquées d'un trait de pinceau sur les céramiques turques ou orientales !!

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  12. De mémoire, "La Recherche de l'Absolu" de Balzac met en scène un savant collectionneur de tulipes. Je n'en dis pas plus... Ce n'est pas, loin de là, le meilleur roman de Balzac, mais il se lit très bien et très vite...

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