Je pouvais avoir 23 ou 24 ans. Mes parents avaient acheté une "villa" sur les hauts du Parc Péreire, à Arcachon, dont l'environnement superbe se doublait d'un terrain inexploitable, entièrement sablonneux et ne supportant aucun plantation. Y poussaient en abondance et à l'état sauvage des bruyères, des genêts, du sureau, des arbousiers et surtout, du mimosa. Cela convenait parfaitement à leurs talents horticoles (comme aime le dire Koka, "les chiens ne font pas des chats" et j'ai, mon article précédent en est la triste preuve, hérité de leur incurie). Mais ce mimosa, famille comme chacun le sait de l'acacia, avait une fâcheuse propension à tout envahir et mon père, héroïque dans son ardeur épuratrice, lui livrait une lutte sans merci... dont les arbustes sortaient toujours vainqueurs ! Il ahanait sous le soleil et maniait la machette avec une énergie insoupçonnable chez un homme de sa corpulence, arrachant, taillant, coupant tout sur son passage. Prise d'une compassion somme toute excusable pour le végétal, je lui reprochai cet acharnement, remarquant au passage que les mimosas sont de fort beaux arbustes. Il se retourna et, transpirant d'abondance, me décocha énervé la flèche fatale "Mais ma parole, tu es écolo ma fille !".
On était dans les années 70, mon père faisait partie de cette génération triomphante qui développa en son sein les Trente Glorieuses, inventa la pétrochimie jusqu'à l'anéantissement de tout textile naturel ou de tout matériau qui n'en fut pas dérivé, découvrit l'Amérique comme schéma de consommation idéale, avec ses supermarchés et ses autoroutes, ses plats cuisinés et ses objets jetables. Gaulliste convaincu, il passa tout de même sa vie à faire la morale à De Gaulle, dont il était en rêve le conseiller politique particulier, ne lui pardonnant pas sa méfiance réitérée envers nos cousins d'outre Atlantique. La période leur fut propice, climat idéal, découvertes permanentes, technologie triomphante, la génération de nos parents nous a légué, dans un premier temps une inconscience totale en terme d'avenir de la planète. Alors, vous imaginez dans sa bouche, traiter sa fille d'écolo était l'insulte suprême ! Autant vous dire que, fille obéissante et pas trop attirée par les révoltes de 68 (j'étais trop jeune pour en faire mon miel, j'ai récolté sans avoir à semer et n'ai pas eu à me libérer d'un carcan qui ne m'avait pas étouffée), je n'ai jamais versé dans le "vert". Très peu pour moi des produits supposés biologiques prétextes à vendre deux fois plus cher des produits pas forcément meilleurs, des amendements naturels qui empestent et propagent des bestioles pas nécessairement agréables, des cadeaux de Noël emballés dans du papier journal pour économiser le kraft : j'ai compris très jeune, pour avoir traversé les Landes plus de fois qu'à mon tour, que la matière première des papeteries était le bois de nettoyage de nos forêts et que la rentabilisation de ces déchets permettait d'assurer un entretien idéal des forêts landaises. Je ne suis pas une excitée de l'écologie mais la notion de respect de la nature, de gestion saine de nos richesses et de développement durable m'interpèle depuis longtemps... sauf à l'utiliser pour en faire de fallacieux arguments commerciaux, ce dont on ne se prive guère. Oui je prends des douches, mais parce que les bains ne me branchent pas, oui j'éteins l'électricité quand je quitte une pièce, mais parce que sinon ma note est trop salée, oui mon bilan énergétique est bon mais parce que je ne suis pas une fanatique de voyages lointains et que je préfère venir à Paris en train parce que je n'aime guère les encombrements de la capitale.
Pourtant j'ai été, comme vous sans doute, fortement interpelée par l'histoire des cendres paralysantes du volcan islandais "au nom imprononçable" (selon la terminologie consacrée) dans ce qu'il a de révélateur de la fragilité de notre société et de ses égarements. Quoi, de simples fumeroles chargées de poussière peuvent ainsi, du jour au lendemain, et sans qu'il soit question de principe de précaution mais simplement de la plus élémentaire prudence, immobiliser l'ensemble des transports de la planète, créant un désordre, une gabegie, un désarroi énormes ? Comment, nous qui prétendons dominer la nature, la domestiquer, la tenir à merci, nous avons dû baisser casaque et attendre, avec nos moteurs sophistiqués et nos brillants esprits, que la météo veuille bien nous débarrasser de cet importun nuage ?
Déjà, nous avions subi les tsunamis, tremblement de terre, tempêtes et autres inondations sans beaucoup plus de talents que nos ancêtres, vite débordés par la panique, la dévastation et les conséquences aggravées de nos incuries précédentes. Ayant construit à outrance dans des endroits dangereux, la lutte contre les éléments a révélé nos erreurs et a amplifié nos fragilités. Et voilà qu'on dit que si le fameux volcan au nom imprononçable nous servait une éruption comparable à celle qu'il connut en 1783, s'ensuivraient comme ce fut le cas à l'époque, des famines, des catastrophes, des cataclysmes aggravés par le blocage total de tout notre système aérien, non plus pendant une semaine mais pendant des mois, voire des années.
Je suis simplement impressionnée par la précarité de notre système de développement, dans lequel nous plaçons, malgré quelques doutes plus de principe que réels, une confiance illimitée, ne parvenant pas à admettre qu'il puisse être vulnérable. Nous admettons difficilement les freins que la nature nous impose, les conséquences dommageables de certains de ses caprices et notre impuissance en face des événements dont on ne peut que constater les dégâts et les réparer tant bien que mal.
Nous voudrions croire, et nous croyons, que nous dominons tout, anticipant, prévoyant, organisant, résolvant. Oh, certes, pas question de jouer le catastrophisme, la nature n'est ni plus ni moins méchante qu'elle ne le fut à nos ancêtres. Nous connaissons mieux qu'eux les conséquences de ses coups de colère, tout est médiatisé, photographié, abondamment commenté, jusqu'à donner l'impression, à force d'informations, que tout se dérègle. De plus, nos errances ont souvent, par notre manque de prudence, aggravé les conséquences de certains événements naturels dont les anciens se méfiaient. Moins raisonneurs que nous, ils constataient que leurs grands-pères avaient évité de construire à certains endroits, et sans trop savoir pourquoi, ils se fiaient à cette mémoire collective, sans prétendre tout pouvoir résoudre.
Pourtant j'ai été, comme vous sans doute, fortement interpelée par l'histoire des cendres paralysantes du volcan islandais "au nom imprononçable" (selon la terminologie consacrée) dans ce qu'il a de révélateur de la fragilité de notre société et de ses égarements. Quoi, de simples fumeroles chargées de poussière peuvent ainsi, du jour au lendemain, et sans qu'il soit question de principe de précaution mais simplement de la plus élémentaire prudence, immobiliser l'ensemble des transports de la planète, créant un désordre, une gabegie, un désarroi énormes ? Comment, nous qui prétendons dominer la nature, la domestiquer, la tenir à merci, nous avons dû baisser casaque et attendre, avec nos moteurs sophistiqués et nos brillants esprits, que la météo veuille bien nous débarrasser de cet importun nuage ?
Déjà, nous avions subi les tsunamis, tremblement de terre, tempêtes et autres inondations sans beaucoup plus de talents que nos ancêtres, vite débordés par la panique, la dévastation et les conséquences aggravées de nos incuries précédentes. Ayant construit à outrance dans des endroits dangereux, la lutte contre les éléments a révélé nos erreurs et a amplifié nos fragilités. Et voilà qu'on dit que si le fameux volcan au nom imprononçable nous servait une éruption comparable à celle qu'il connut en 1783, s'ensuivraient comme ce fut le cas à l'époque, des famines, des catastrophes, des cataclysmes aggravés par le blocage total de tout notre système aérien, non plus pendant une semaine mais pendant des mois, voire des années.
Je suis simplement impressionnée par la précarité de notre système de développement, dans lequel nous plaçons, malgré quelques doutes plus de principe que réels, une confiance illimitée, ne parvenant pas à admettre qu'il puisse être vulnérable. Nous admettons difficilement les freins que la nature nous impose, les conséquences dommageables de certains de ses caprices et notre impuissance en face des événements dont on ne peut que constater les dégâts et les réparer tant bien que mal.
Nous voudrions croire, et nous croyons, que nous dominons tout, anticipant, prévoyant, organisant, résolvant. Oh, certes, pas question de jouer le catastrophisme, la nature n'est ni plus ni moins méchante qu'elle ne le fut à nos ancêtres. Nous connaissons mieux qu'eux les conséquences de ses coups de colère, tout est médiatisé, photographié, abondamment commenté, jusqu'à donner l'impression, à force d'informations, que tout se dérègle. De plus, nos errances ont souvent, par notre manque de prudence, aggravé les conséquences de certains événements naturels dont les anciens se méfiaient. Moins raisonneurs que nous, ils constataient que leurs grands-pères avaient évité de construire à certains endroits, et sans trop savoir pourquoi, ils se fiaient à cette mémoire collective, sans prétendre tout pouvoir résoudre.
Qu'en sera-t-il de nous si nous continuons à faire le procès des compagnies aériennes, des préfets ou de Dame Météo chaque fois que quelque malheur nous tombe sur le coin de la figure, sans remettre en cause notre idéal de développement, anarchiste, égoïste, individualiste et ... dévastateur ? Qu'allons-nous devenir si nous continuons à ne viser que notre confort immédiat, sans vouloir, sauf avec quelques gadgets écervelés, prendre conscience de l'immense richesse que nous sommes en train de galvauder.
Certes, l'affaire est compliquée et c'est un véritable changement d'état d'esprit qu'il nous faut opérer : entre la réduction de nos émissions de CO2, la meilleure gestion de nos consommations d'eau et la prise de conscience que notre confort repose sur une foule d'énergies et de matières premières qui ne sont pas inépuisables, nous devons tenter de comprendre et de réapprendre à concevoir notre confort.
Et si le plaisir passait tout simplement par le désir ? Car, nous le savons, le désir se distille, s'attise, se déploie et surtout prend toute sa valeur dans l'attente, le manque, le rêve, en un mot, la sobriété. Peut-être nous faudrait-il simplement réapprendre la tempérance, cette quatrième vertu cardinale dont nous cherchons toujours le nom devant les fresques italiennes qui les mettent à l'honneur : force, prudence et justice étant ses compagnes qui reviennent toujours en premier à l'esprit. Preuve s'il en est que la modération n'est pas notre qualité majeure et que nos temps de consommation à outrance nous ont habitués à nous livrer à un des vices que les pères de l'Église vilipendaient en vain : la gloutonnerie.
Les menaces du châtiment infligé aux voraces avaient, sur les fresques anciennes (ici à Torcello), de quoi effrayer nos ancêtres. Gavés d'images et certains que rien ne peut nous arriver, nous sommes totalement insensibles aux peurs de l'au-delà et malheureusement, aux angoisses du futur. La notion même de développement durable reste encore terriblement théorique pour nos petites cervelles. Et le chemin pour en faire une vraie éthique de vie, et non un simple argument commercial qui estampille tout, est encore long.
Certes, l'affaire est compliquée et c'est un véritable changement d'état d'esprit qu'il nous faut opérer : entre la réduction de nos émissions de CO2, la meilleure gestion de nos consommations d'eau et la prise de conscience que notre confort repose sur une foule d'énergies et de matières premières qui ne sont pas inépuisables, nous devons tenter de comprendre et de réapprendre à concevoir notre confort.
Et si le plaisir passait tout simplement par le désir ? Car, nous le savons, le désir se distille, s'attise, se déploie et surtout prend toute sa valeur dans l'attente, le manque, le rêve, en un mot, la sobriété. Peut-être nous faudrait-il simplement réapprendre la tempérance, cette quatrième vertu cardinale dont nous cherchons toujours le nom devant les fresques italiennes qui les mettent à l'honneur : force, prudence et justice étant ses compagnes qui reviennent toujours en premier à l'esprit. Preuve s'il en est que la modération n'est pas notre qualité majeure et que nos temps de consommation à outrance nous ont habitués à nous livrer à un des vices que les pères de l'Église vilipendaient en vain : la gloutonnerie.
Les menaces du châtiment infligé aux voraces avaient, sur les fresques anciennes (ici à Torcello), de quoi effrayer nos ancêtres. Gavés d'images et certains que rien ne peut nous arriver, nous sommes totalement insensibles aux peurs de l'au-delà et malheureusement, aux angoisses du futur. La notion même de développement durable reste encore terriblement théorique pour nos petites cervelles. Et le chemin pour en faire une vraie éthique de vie, et non un simple argument commercial qui estampille tout, est encore long.
Oui, le chemin personnel vers le développement durable est effectivement encore bien long, une éthique de vie à redécouvrir ou à réinventer..., des gestes que je m'efforce de faire tous les jours mais qui ne me sont pas naturels, en tout cas pas encore automatisés...
RépondreSupprimerLes abus de certains de mes copains "écolos" qui m'exaspèrent aussi, par exemple leur lutte contre les éoliennes, leurs réflexions acerbes chaque fois que je bois un Coca (j'adore ça, et alors ?).
Bref un chemin un peu difficile où désir ne rime pas toujours avec raison, même environnementale... (ce qui est le propre du désir, d'ailleurs...)
oui Norma, un ré-apprentissage, mais surtout sans comportement extrémiste : oui on a le droit d'aimer le Coca (oups !! si tu le dis !) et je ne vois pas en quoi cela met en cause l'avenir de nos enfants... et c'est dans le petit geste, régulier, discret, voire peu spectaculaire qu'on progressera.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cet article que tu nous proposes Michelaise. Être raisonnable, c'est sûrement le maître-mot.
RépondreSupprimerFélicitations pour votre article, Michelaise. Vous faites preuve de discernement et j'aime beaucoup votre manière d'aborder le développement durable avec raison, persévérance et discrétion. Les gestes réguliers et le long terme plutôt que les discours hypocrites ou vains, c'est un excellent choix. Cela me rappelle un proverbe ancien: "Ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit."
RépondreSupprimerJe vous souhaite une très bonne soirée.
Anne
Merci Astheval j'avoue que la pondération n'est guère tendance, mais ça se tente pas vrai !!
RépondreSupprimerAnne votre proverbe m'a bien fait sourire, merci de votre approbation
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerQue de vérités dans cet article...
Sais-tu qu'en Bretagne, les voitures sont couvertes des poussiètres de ce célèbre volcan ?
Et pour que le plaisir devienne désit comme tu l'entends, je t'offre un bouquet de muguet même si tu l'as déjà si gentiment senti en venant me le dire...
Merci beaucoup.
Bisou d'un premier mai.
Globalement je me comporte comme toi,je ne prends pas de bain car on barbote dans sa crasse,j'éteins la lumière car pour moi aussi la note est déjà assez salée,je garde les épluchures pour le compost car chez nous est déjà en place le "pesé- embarqué",c'est à dire que nous payons en fonction du poids de nos ordures,et aussi cela m'évite d'aller acheter du terreau pour mes plantations.
RépondreSupprimerJe ne bois pas de Coca parce que il me donne des brulures d'estomac mais je fais un effort les jours de gastro!!!
Et je me suis toujours posé une question,concernant le miel bio mais quelqu'un pourra peut-être m'expliquer,je me demande si on met un émetteur aux abeilles pour savoir où elles vont butiner!!
Je me déplace à pied ou à vélo dans Paris d'abord parce que j'aime cela et en plus parce que j'en ai assez de passer des heures à essayer de me garer!!
Ici Herbert, entre le sable du sahara et le pollen, les voitures sont aussi dans un état déplorable ! bonne raison pour ne pas dépenser d'eau à les nettoyer, finalement cela ne servirait pas à grand chose !
RépondreSupprimerAloïs, tu apportes de l'eau à mon moulin, j'adore tes interrogations concernant les abeilles ! pour dire, je l'enseigne à mes étudiants, que l'éco-marketing ou marketing vert a le vent en poupe et que ce n'est souvent qu'un joli argument publicitaire. Ce qui ne nous dispense nullement d'une prise de conscience et d'un comportement responsable !
Bonsoir Michelaise. J'ai lu ton article il y a plusieurs jours déjà mais sans avoir le temps de commenter. Je passe en vitesse te voir ce soir pour te dire que je ne t'oublie pas. J'approuve totalement et je partage tes remarques dans cet article.
RépondreSupprimerJe lirai tes autres articles dans les jours qui viennent. Ce soir nous venons d'arriver chez ma fille aînée en Haute-Savoie et j'avoue être un peu trop fatiguée pour lire attentivement. A bientôt.