lundi 31 mai 2010

UN FEU DE FOLIE

Nous étions tous les deux un peu réservés, marquant un empressement limité à rejoindre le grand loft du 15ème arrondissement où se déroulait la soirée. Habitués des concerts privés de Gérard et coutumiers de l’ambiance bon enfant du domaine musical de Pétignac, nous avions peur l’une de trouver une ambiance conventionnelle un peu compassée et formelle, l’autre d’entendre une pianiste exaltée au jeu trop exagéré. Nous n’avions guère partagé nos inquiétudes pour éviter chacun d’accroitre le malaise de l’autre, mais nous avions tendance à traîner un peu les pieds en y allant.
L’affaire est un peu alambiquée et mérite quelques mots d’explication. L’an dernier, pour ses 59, Alter s’est vu offrir par ses amis, complices bienveillants de mes entourloupettes coutumières, un stage de piano dont ce blog s’est largement fait l’écho en son temps. Il s’agissait de lui permettre de remobiliser son énergie sur le difficile art du piano, d’être remotivé par une pratique un peu moins solitaire, en un mot de se frotter à d’autres et de côtoyer un nouveau style d’enseignement. Il avait apprécié l’approche de Catherine Schneider, et le stage était hyper sympa, la possibilité d’utiliser une collection de pianos de qualité dans chaque coin du domaine musical de Pétignac n’étant pas étranger au plaisir qu’il y ressentit. Pourtant, il n’avait pas envie d’y retourner cette année, étant finalement resté sur sa faim en matière de cours particuliers, n’en ayant eu que 2 heures en une semaine de stage, et s’était parfois senti un peu décalé par rapport aux jeunes stagiaires en voie de conservatoire. Il fallait donc cette année trouver une autre façon de l’enthousiasmer et une équipée estivale sur l’île d’Ouessant a réussi, moyennant de nombreux ingrédients (dont un des plus convaincants est le Festival Musiciennes à Ouessant... vous imaginez le bonheur d'Alter au milieu d'une foule de jeunes et jolies interprètes !!) qu’il sera toujours temps de vous dévoiler plus tard, à obtenir son aval. L’organisatrice du stage, Lydia Jardon, pianiste de talent et pédagogue convaincue, ayant émis, quand je l’ai inscrit, le souhait de le rencontrer avant l’été, nous avons profité d’une opportunité nous permettant de l’entendre et à Alter de lui révéler un peu son niveau.

Lydia Jardon participe à la demande de Jean Claude Casadessus au Lille Piano(s) Festival dans quelques jours et doit y interpréter la version pour piano de l’Oiseau de Feu de Stravinsky, transcrite par le compositeur lui-même, mais tellement complexe que peu d’interprète s’y sont frottés jusque là. Ils pensaient qu’il s’agissait d’une première mais il semble qu’il existe un enregistrement de l’œuvre, peu connue au demeurant. Le challenge est hallucinant : la partition, proprement surréaliste, prétend reproduire la couleur de l’orchestre. Autant dire que les notes se chevauchent et se mêlent à l’envi, l’ensemble se révélant, pour qui s’y frotte, un exploit technique un peu insensé. Lydia, qui mène depuis 5 mois une vie de recluse, confrontée aux portées caracolantes de ce ballet tournoyant, l’a avec humour rebaptisé « l’Oiseau de Fou ». Et pourtant, à force de ténacité et grâce à une virtuosité irréprochable, elle a emporté le morceau : pour nous, les cuivres ont retenti, les violons ont vibré et les vents se sont épanouis. Il s’agissait pour elle, après ces mois de travail forcené, de faire comme une générale, auprès d’un public d’amis, mais d’un public tout de même. D’où cette soirée, un peu éprouvante pour elle car elle recevait et jouait ensuite, nous ayant dans son enthousiasme, préparé un buffet pour l’après-concert, sympathique mais épuisant pour elle qui aurait mérité de s’effondrer dans un bon bain chaud, plutôt que de jouer les maîtresses de maison.
Nous avons tous les deux éprouvé pour Lydia une attirance musicale inattendue, n’étant pas, a priori, porté sur l’expressionnisme slave… mais en fait, si elle joue des auteurs slaves (et autres d’ailleurs) méconnus (ce qui lui a valu, elle en est fière car le mot est beau, l’Ordre du Mérite), elle puise sa chaleur et sa passion dans des racines beaucoup plus latines. D’origine castillane, elle est un mélange de feu et d’ombre, d’inquiétude et d’exaltation, qui rendent les « mots » de Stravinsky tout à fait universels. Si vous avez envie de découvrir son interprétation, elle se produit mardi soir, demain donc, à l’amphithéâtre de l’Ecole Nationale Supérieure, rue d’Ulm (45 Rue d'Ulm 75005 Paris, 01 44 32 30 6) ou le 12 juin au Festival de Lille. Si vous allez vous faire dédicacer un disque, n’hésitez pas à lui dire que vous avez eu connaissance du concert par l’intermédiaire d’un blog provincial !!! Du fin fond de la Charente profonde et maritime...

Quant à l’ambiance de la soirée, que je craignais ampoulée, elle fut chaleureuse, détendue et beaucoup plus simple que je ne le redoutais. On y fit des rencontres chaleureuses (Alizée, si elle passe par là reconnaitra le petit clin d'oeil !), on parla musique, théâtre et cinéma, on admira le loft généreusement aménagé dans une ancienne imprimerie par un architecte inspiré, on dégusta un petit côte de Bourg tout à fait propre à faire prendre la sauce, et nous rentrâmes vers minuit étonnés et ravis de ce moment inattendu. Le lendemain, Lydia a encore trouvé la force de recevoir Alter pour une leçon qui a laissé ce dernier sur le flan, mais totalement sous le charme des découvertes qui l’attendent pour le mois d’août. Histoire à suivre !

15 commentaires:

  1. Bonjour, Michelaise.
    Que de souvenirs encore...
    L'oiseau de feu...
    Ce fut un théme d'improvisation quand j'étais pianiste...
    Alors je suis ému.
    Merci beaucoup.
    Bonne soirée
    Au Steinway aussi.

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  2. Pas évident d'improviser sur l'Oiseau de Feu, et tu n'es plus pianiste Herbert ?? mais je crois qu'on le reste à vie... même si on ne pratique plus. Merci de ton passage

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  3. Merci pour ce très beau billet, même si je ne suis pas pianiste, seulement une bien piètre mélomane...

    C'est vrai que parfois, lorsqu'on redoute un peu un événement, qu'on y va avec des représentations presque négatives, on est agréablement surpris...
    A l'inverse, quand le degré d'attente est trop grand, on risque des déceptions...

    Bonne soirée à toi !

    Norma

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  4. Tu fais toujours de belles rencontres, quelle chance.

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  5. Quel tempérament!
    Je pense qu'Alter va y trouver son compte, ménage-le d'ici là, car il va devoir travailler dans le calme et la sérénité pour faire un parcours d'interprétation rempli de découvertes tant techniques que musicales. Courage Alter, fonce, c'est tellement génial de faire ce genre de rencontre.En toute confiance. Le premier accord passé, et ce sera le début d'une véritable aventure.

    Et le tango?

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  6. Oui il faudrait qu'il ait le temps d'être parfaitement au point techniquement pour profiter au maximum des apports musicaux que Lydia lui offrira. Il a besoin de beaucoup de souplesse, il ne sait pas se laisser aller, et elle l'aidera dans ce sens. Pour la respiration aussi, il est bloqué ! Je crois que la confiance sera réciproque.
    Quant au tango c'est, malgré quelques projets, vite avortés, de milongas à la Rochelle, au point mort. C'est sans doute trop difficile... Alter a fait des gros efforts mais là aussi, ce n'est pas dans son tempérament, trop réservé.

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  7. Une bien belle rencontre qui manifestement a amené une belle soirée
    Comme quoi il ne faut pas avoir d'idées reçues
    Je ne pourrai assister au concert de ce soir,dommage
    J'ai moi aussi commencé ma tournée d'été;très beau concert dimanche en fin de journée, dans un lieu bucolique billet à suivre

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  8. Une bonne surprise, en somme, c'est ça ?
    Bisous

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  9. Oui, une vraie rencontre, et une femme d'un grand talent. Une surprise en effet Koka, même si on y croyait ! Les idées reçues sont souvent, c'était le cas ici, le fruit de craintes ou de peurs, pas évident comme situation !
    Vivent les concerts d'été Aloïs, il commence à y en avoir tant et tant qu'ils se chevauchent ! Et comme Alter travaille, mais bon, on va s'organiser et promis, jeudi, on va voir Bertrand !

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  10. Merci Michelaise pour cet article et ces vidéos !

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  11. L'oiseau de feu reste lié pour moi, au premier spectacle de Maurice Béjar vu à Lausanne . Bien avant qu'il n'élise domicile dans cette ville. la première fois que je portais une robe longue, celles-ci revenant à la mode. drôle d'impression ...d' être en chemise de nuit dans la rue.

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  12. On reste à vie pianiste sauf... quand la maladie vous enlève la mémoire. Quand ma mère était dans son EMS, je lui demandais de me jouer quelque chose au piano. Elle répondait * il faut que je m'entraîne d'abord* Et bien entraînes toi devant moi ! Elle partait dans ses rêves je ne sais où et malheureusement, elle restait assise au piano sans que ses mains ne puisse sortir aucun son. Ma mère était Française, elle avait étudié le chant et le piano au conservatoire de Paris.

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  13. Une petite histoire d'appréhension.
    Il y a longtemps, j'ai été amenée à rencontrer des acteurs du théâtre de Vidy ( Lausanne ),pour leurs essayer des grandes toges que je devais réaliser pour une pièce d'Aristophane. Ayant sympathisé avec une des actrices, nous nous donnons rendez-vous pour un soir suivant.
    Après avoir discuté toute la soirée, nous nous sommes avouée notre appréhention commune * que vais-.je bien pouvoir lui raconter*, mettant sur un pied d'estale nos métiers respectifs. Je vous jure que nos langues ont été bien pendues ce soir-là.

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  14. Une robe longue baba cool alors Béatrice, pas une robe de soirée !? J'aime bien ton histoire d'appréhension, je crois que, même adultes, même "vieux", ce type de crainte devant l'inconnu nous saisit toujours un peu !
    Ta maman aurait pu trouver dans le piano une aide à ses errances de l'âge, mais sans doute ne savait-on pas trop (le sait-on mieux actuellement ? dans certains établissements très pointus, sans doute, mais en général... les "vieux" sont encore laissés en jachère) exploiter ce genre de soutien ...

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  15. La robe longue... je m'en rappelle encore, Noire avec de minuscule petites fleurs de couleurs, un peu style *Liberty*. J'ai gardé cette robe des années. A cette époque je n'engraissais pas, pristoche ! Elle a fini en Espagne, en mil morceaux, sous les dent rageuses et inquiètes, de notre chien que nous avions laissé seul pour un soir, obligés de rester chez les amis, de l'autre côté de l'ile de Minorque, pour éviter d'être trempés en rentrant avec le scooter.

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