dimanche 13 juin 2010

HAENDEL ET LOUIS

Je ne sais ce qu’en aurait pensé JMV, grand spécialiste de Haendel devant l’Eternel, mais mon voisin de corbeille ne cessait de pester. Accompagné de sa vieille maman qui faisait chorus, ne supportant pas quant à elle qu’on ait osé une mise en scène sur un oratorio, il gémissait aux interventions de Jephta, rugissait aux approximations de chœurs, et vouait la jolie soprano aux feux de l’enfer, refusant de l’applaudir et lui enjoignant « Va mourir » lorsqu’elle vint saluer. Il faut dire que le thème rebattu du valeureux chef de guerre qui, pour s’attirer les faveurs de Dieu, fait le serment de lui sacrifier la première personne qu’il rencontrera, prêtait à ce genre d'invective. La victime désignée n’étant bien sûr autre que la fille du héros ce qui déclenche le débat cornélien de ce dernier entre sentiments paternels et soumission à la promesse faite à Dieu. L'intervention divine pour arrêter in extremis le meurtre expiatoire étant la fin annoncée de ce terrible dilemme. Autant dire que ce sans doute spécialiste et par conséquent difficile monsieur, au demeurant sans doute le plus volumineux de la salle, était fort mécontent de sa soirée.

N’ayant, fort heureusement, ni les préventions ni la science musicale de mon voisin, j’ai passé une soirée bien plus agréable que lui ! D’abord, et toujours, la joie de retrouver le monument de Louis, « une mise en abyme d’esprit baroque dans un écrin classique » dixit Alter toujours en verve quand il s’agit du Grand Théâtre de Bordeaux. Ensuite, allez savoir pourquoi alors que j’ai fait mes réservations terriblement tard, la meilleure place que nous ayons jamais eue dans cet endroit sublime, mais d’un inconfort toujours douloureux pour le spectateur. Je rappelle à tout hasard que, le public bordelais fustigé par Alter pour n’avoir pas su, à l’époque de la construction, reconnaitre le talent de l’architecte Victor Louis, même pas invité à l’inauguration du bâtiment à la suite d'une vulgaire cabale politique, n’est pas non plus grand amateur de musique baroque, même si les concerts qu’on y entend sont parfois de grande qualité. Toujours est-il que Haendel y fait moins recette que Franz Lehar, ce dont j’aurais mauvaise grâce de me plaindre, vu les places obtenues en réservation tardive !!!

Notre opéra était coproduit par le GTB et l'Opéra National du Rhin, et il semble, d'après les critiques que notre version ait été d'une moins bonne qualité que celle de Strasbourg. J'ai l'impression que là-bas, Jane Glover a pu obtenir des Choeurs et de l'Orchestre ce qu'elle avait en tête. Son approche ample et musclée de la musique baroque était propre à servir dignement Haendel. Mais si à Bordeaux elle en a perdu sa baguette, qui soudain a volé entre les violoncellistes, c'est sans doute qu'il lui fallait une énergie considérable pour dépasser l'impréparation de ses troupes. Le rôle titre était bien décevant, même si son registre s'est assoupli dans le deuxième partie du spectacle.

Mais pourtant, j’avoue en toute humilité, et tant pis si des puristes passant par là y trouvent à redire, que j’ai aimé, avec les réserves d’usage, ce Jephta. Certes c’était la première, et il y avait, au détour de quelques scènes, de nombreux ajustements à faire : Jane Glover, avait parfois du mal à dompter tout son monde et sa direction énergique et spirituelle, s’est heurtée plus d’une fois aux imprécisions des chœurs ou des solistes. Certes les voix étaient, toutes, « petites », mais certaines, dont celle du contre-ténor, étaient vraiment « jolies » et l’élégance est parfois préférable à la puissance. Bien sûr, les solistes n’étaient pas toujours très à l’aise, mais certaines scènes, dont le quatuor vocal de la 2ème partie, ont été particulièrement réussies.
Surtout, j’ai beaucoup aimé la mise en scène de Jonathan Duverger et Jean-Marie Villégier, même si quelques lourdeurs, en particulier dans l’expression un peu simplette du sentiment religieux, sont venues entacher l’ensemble. J’ai vraiment apprécié cette ambiance de tableaux hollandais du XVIIème siècle, les choristes figés au balcon comme les notables néerlandais du Syndic des drapiers de Rembrandt, les scènes intimistes éclairées comme des De La Tour, les ballets discrets dont les thèmes venaient illustrer le texte, intervention divine, pommier, fleuve, papillon ou rocher, alors que le décor se constituait d’un simple jubé d’acajou immuable aux sobres allures d’église méthodiste.

Plus tard, nous avons délicieusement terminé la soirée au Café de l'Opéra (anciennement Café Louis), avec un petit menu plein d’invention, une mousse au chorizo épicée avec précision, un espadon accompagné du fenouil le plus parfumé que j’aie rarement mangé, et une panna cotta aux fruits rouges tout à fait à la hauteur. Nous avons vu mon atrabilaire et ventripotant voisin partir, cheveux au vent, au bras de sa maman, continuant ses diatribes assassines, tandis que nous sablions un petit Entre Deux Mers gouleyant à leur santé !!!

11 commentaires:

  1. Ah, j'espère que ton voisin ne t'a pas trop gaché ton spectacle ! Bisous

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  2. Les "puristes" sont assez pénibles au concert en général ! Ils pourraient garder leurs sentiments et laisser les autres tranquilles. On doit pouvoir aussi se laisser aller à la magie du spectacle vivant et à ses émotions sans tout décortiquer.
    J'adore le Théâtre pour cette sensation d'être embarquée dans le souffle que font passer les comédiens et chanteurs ... Aucun enregistrement ne peut rendre ça.

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  3. Merci pour ce billet, fort documenté et pour tes impressions, comme toujours... impressionnantes ;-)

    Oh mais la présentation a encore changé ! J'aime beaucoup comme ça, c'est plus doux !

    Bonne journée à toi.

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  4. Artemise, je crois que les vrais puristes restent discrets... mon voisin faisait plutôt partie de la catégorie "je me la pète" et il tenait à faire savoir son avis haut et fort, ce que je me demande c'est s'il lui arrive d'émettre un avis positif... déblatérer, art français par excellence, pose plus !
    Oui Odile, je crois que ça crachait un peu !! on se sent plus serein avec ce fond !

    Non Koka, il ne m'a pas gâché la soirée mais m'a au contraire fourni un sujet pour mon billet car, parler de Jephta est bel et bon, mais il fallait bien rendre le billet plus universel.

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  5. Bon, déjà j'ai l'impression de voir couler le rhin, derrière ton texte....Couleurs grises très douces!
    Et, n'est-il pas le plus important d'avoir passé une très bonne soirée en compagnie de Haendel et tant pis pour les puristes ou soi-disant!!!!!!!
    Votre théâtre, à Bordeaux est un bel écrin pour la musique baroque, je confirme!

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  6. Soirée complète, avec bon dîner et Entre Deux Mers.

    Bonne semaine Michelaise

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  7. Comme quoi, ne pas être un "puriste" (et aussi ne pas se prendre trop au sérieux...) a bien des avantages !
    J'aime bien le menu de la fin de soirée, également, l'espadon au fenouil me donne l'eau à la bouche...
    Quant à ta nouvelle présentation, encore mieux, très douce, très évanescente et on y gagne en lisibilité!

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  8. Important en vérité l'Entre Deux Mers Alba ! Et comme le souligne Norma, cela permet des après-concerts plus joyeux que pour les râleurs patentés !
    C'est vrai Enitram, on dirait des paysages de "là-bas" dans les brumes du Nord !!! Mais ici aussi, parfois, rarement je l'avoue, l'estuaire a ces allures romantiques !!

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  9. J'espère que ce voisin ne râlait pas suffisamment fort pour vous gêner...

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  10. Et tu ne parles pas de la distribution qui semble avoir été magistrale, je lis quelque part Ann Halenberg et Andrew Forster... ça devait être génial... Sinon, tu pourras dire à Alter que l'un des plus beaux hommages qui aient été rendus à Victor Louis se trouve à l'Opéra de Paris et au grand escalier auquel Garnier a emprunté le motif des deux branches... J'aurais bien aimé voir cette Jephtha!

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  11. Je ne détaille pas la districution parce que nous avons assisté à la première et l'un dans l'autre cela n'avait rien de magistral. Comme je n'aime pas trop dire du mal, je reste discrète ! Andrew Foster a eu du mal à rentrer dans le rôle et franchement tout le début était très limite, voire mauvais par instants. Sur la fin il s'est mieux situé mais cette difficulté pour entrer dans le rôle était vraiment bizarre. Ann Hallenberg elle, était sobre et fort émouvante, du grand art en effet. Catherine Whyte dans Iphis avait une bien jolie petite voix et ne méritait pas les foudres de mon grincheux voisin, mais c'était quand même tout petit. J'ai enfin aimé Iestyn Davies dans Hamor, élégant et agréable, souple et bien posé, mais sans une présence suffisante pour encore si'mposer vraiment, une voix en devenir sans aucun doute.

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