mercredi 23 juin 2010

LIVRES A PONTAILLAC

D'après une amie, cela fait plusieurs années que le projet était en gestation : faire un salon du livre régional à Pontaillac. Pontaillac, son air de plage Belle Epoque, ses carrelets alignés comme à la parade, ses villas anciennes qui marquent la falaise comme autant de témoins d'une époque révolue. La première édition de ce salon a eu lieu cette année, modeste mais sympathique. C'est un premier pas. Trois tivolis, des auteurs régionaux vendant des oeuvres en patois charentais, leur premier roman ou des plaquettes historiques sur les principaux sites anciens de la région. Parmi les exposants, j'en ai rencontré quelques uns dont j'ai d'ailleurs déjà parlé dans ce blog : d'abord l'inspaérable paire de complices, Pierre Dumousseau et Olivier Fouché, auteurs des aventures en cartouche de Jules et Christo et du père Mille-Goules.

Je ne suis pas, loin s'en faut, n'étant pas "née native", une nostalgique du patois saintongeais, sorte de relique de la langue d'Oïl, une espèce de vieux français prononcé comme il y a 7 ou 8 siècles. Mais j'avoue que sa découverte m'a parfois étonnée, pétrie d'autres sonorités comme je le suis. Bien que cerné de près par la langue d'Oc qui l'entoure de toutes parts, faisant de lui une sorte de presqu'île seulement rattachée à sa terre d'origine par le patois poitevin, le saintongeais ne s'est pas altéré. Mis à part quelques rares mots empruntés aux régions proches, Bordelais, Limousin, Périgord, il conserve tous ses particularismes, particulièrement de prononciation mais aussi éthymologiques et grammaticaux. En particulier cet emploi d'un pronom neutre, "o" ou "ou", comme en Berry ou en Poitou. Mais, d'après un spécialiste, de façon mieux réglée que dans ces deux régions : ò devant une consonne "ò fait fret" pour "il fait froid", ò-l' devant une voyelle "ò-l' est b'vrai" pour "c'est bien vrai" souvent réduit à -l' dans la vitesse de la conversation. En complément d'objet direct ou indirect, le ou lui, cela devient ou : "J'ou f'rai pas" pour "je ne le ferai pas", précédé de z'quand le mot précédent ne s'élide pas ou que ce pronom est le premier de la phrase. "I z'ou f'ront" (ils le feront) "Z'ou f'ra-tu" (le feras-tu ?). Quand le pronom neutre interrogatif et sujet, on lui donne, quoique sujet, la forme "ou"; pour ne pas le confondre avec le COD ou COI on le fait précéder de "t" : "Fradra-t-ou ?" (fraudra-t-il ?). On suppose que ce pronom abstrait vient du latin "hoc", certains regrettant que la langue française n'ait pas su s'approprier ce neutre, si bien codé !*
Bien d'autres particularités émaillent ce patois : rien qu'en ce qui concerne les pronomns personnels on a un grammaire très savante, et complexe. Chaque personne ayant ses particularités : par exemple pour "elle" on dit "all'" : "all' vient" (elle vient) mais en interrogation les saintongeais retrouvent le "elle" : "Vindra-t-elle ?" (viendra-t-elle ?". Le plus marquant étant l'emploi de "je" pour "nous". A ne pas confondre avec le "nous" de majesté ! On le trouve d'ailleurs dans tous les parler paysans français, et bien sûr chez Martine dans Molière, reprise sévèrement par Bélise :
MARTINE
Mon Dieu ! je n'avons pas étugué comme vous,
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.
...
BÉLISE
Ton esprit, je l'avoue, est bien matériel.
Je n'est qu'un singulier, avons est pluriel.
Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
Et pourtant ce langage était bien celui des "étugués" de la cour de François 1er, si l'on en croit Henri Estienne "Ce sont les mieux parlants qui prononcent ainsi, j'allons, je venons, je soupons". Et si l'on y réfléchit bien "je sommes" ou "j'avions" n'est pas plus un barbarisme que "il se bat", "ils se battent" l 'article indique la personne, la terminaison le nombre.
Mais rassurez-vous, dans la trilogie écrite publiée par nos auteurs au Croît Vif, "La Dame Blanche de Talmont", "La Vestale du Fâ" et "Le secret du Vieux Carrelet" (dont j'ai déjà parlé), seul le père Mille-Goules parle en saintongeais, les autres dialogues sont parfaitement compréhensibles pour les non initiés. J'ai fait à ce stand une vraie razia de BD, Olivier Fouché ornant chaque page de garde de superbes dessins pleine page, très léchés, pleins d'humour, qui en font des cadeaux fort prisés.
C'est d'une autre caractéristique étonnante du parler local que parle Fanny Brucker dans son deuxième roman, la manie qu'ont les saintongeais de dire "il" pour s'adresser à vous. Quand François, mon coiffeur, au début de notre installation en Charente-Maritime, me disait "elle doit est bien contente, elle a fini ses travaux", je me retournais et devant le salon toujours désert, j'essayais de comprendre qui avait bien pu faire des travaux, et me remémorant soudain les affres que je venais de traverser entre peintres et maçons, parpaings et poutrelles, je réalisais que c'était de moi qu'il parlait ainsi. Comme dit Fanny "En Charente, pas de vous, pas de tu, pas de you, c'est elle"... et elle avance une explication psycho-sociale "c'est un truc de complexés qui ne savent pas s'ils doivent utiliser le vous ou le tu"... A mon avis, le complexe est plus grave, je pense que c'est une difficulté d'appréhender l'autre directement, quand il vous fait face, une sorte de manque de confiance en soi, d'humilité permamente qui rend le dialogue suréaliste pour ceux qui ne sont pas au parfum !! Fanny Brucker, dont j'avais présenté le premier roman, Far Ouest, ne fait pas du tout dans le régionalisme, même si ses livres se passent ostensiblement et fermement dans la région. Ce deuxième roman, "J'aimerais tant te retrouver", toujours publié chez Lattès, ce qui faisait de l'auteure la "vedette" du salon, est plus abouti que le premier au niveau de l'intrigue, fort agréablement ficelée au demeurant. L'écriture est agile, légère mais travaillée (cela se sent un peu trop parfois, mais ce serait plutôt à son crédit), les destins croisés de ses trois héros s'emmêlent tout doucement au fil des pages. Cela peut être critiqué, car on l'a déjà fait, certains bons esprits pourront y voir une "recette" qui a fait ses preuves, mais la chute, habile, donne à ce roman une originalité interessante. Et puis, que voulez-vous, se promener dans un livre avec, en fond, des lieux parfaitement connus, décrits avec précision et souplesse pour raviver votre propre livre d'images, c'est toujours agréable.
Ma dernière rencontre a été celle de Nicole Bertin, la journaliste de Ouest France qui "sévit" sur Blogger, et dont le blog figure dans une de mes fameuses colonnes de droite !! Elle présentait un livre de photos de Venise, et m'a fièrement annoncé qu'elle allait fêter son 100 000ème visiteur. En fait, elle publie sur le net les articles qu'elle écrit pour son journal, appréciant en particulier de pouvoir les illustrer de façon moins frustrantes que par des clichés remaniés, mal recadrés et aux teintes approximatives tels qu'ils apparaissent sur papier. Près d'elle, un américain qui écrit en français et est aussi éditeur, Pierre Durand Peyrolles, m'a parlé avec émotion de son Dakota natal, de sa petite ville de Mitchell, 15 000 habitants, une université et le "célèbre" Corn Palace, sorte de palais des congrès, aux parois tapissées de la ressource locale le maïs, décliné dans toutes les teintes et refait chaque année. Cela m'a donné envie de relire les aventures de Koko et Yom Yom, les chats du séduisant journaliste millionnaire et détective, Jim Qwilleran, affectueusement baptisé "Quiou" de Lilian Jackson Braun. Cette trentaine de romans policiers facétieux valent pour leur description d'un état mythique, le canton de Moose, "situé à 600 kms au nord de partout", prétexte à une description, sans doute idéalisée mais véritablement sociologique de la vie provinciale américaine. C'est cette propension à décrire avec force détails, réalistes, vivants ou anecdotiques, la vie des vénitiens (Donna Leon) des chinois de Shangaï (Qiu Xialong) ou des islandais de Reyjavik (Arnaldur Indridason)... qui fait de moi une lectrice assidue des séries policières de 10/18. J'ai ainsi dégusté dernièrement "Les courants fourbes du lac Taï" de Qiu Xialong, en en retirant la délicieuse impression d'avoir passé quelques jours agréables au bord de ce lac de rêve, malheureusement pourri par les déchets toxiques des usines environnantes, situé à Wuxi, aux alentours de Shangaï. Petit voyage en Chine, paisible et bon marché !

* j'ai utilisé pour étaler ainsi un savoir dont je n'avais pas la plus petite parcelle, la bibliographie détaillée de Lexilogos,  et en particulier Patois de la Saintonge, curiosités éthymologiques et grammaticales" de Boucherie, un livre de 1863 que, par la magie d'internet, Google nous offre, comme tant d'autres, entièrement scanné, rendant les visites aux bibliothèques savantes superflues !

10 commentaires:

  1. Merci Michelaise de ce billet.

    Un flot de souvenirs arrivent avec ton article.
    Oui, moi qui suit de Touraine-Poitou (à la limite) me rappelle avec grande émotion ce "parler" bien de chez nous.

    A bientôt

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  2. Ravie Alba, c'est vrai que le patois saintongeais est très proche du poitevin

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  3. Merci pour cet article très intéressant, Michelaise. On y retrouve en effet des expressions entendues en Charente, c'est très amusant. Vous donnez envie de découvrir la littérature régionale qui, souvent, ne manque pas de piquant. Je vous souhaite une très bonne journée et, à tous les écrivains de ce salon, la faveur d'un public nombreux.
    Anne

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  4. Passionnant Michelaise, merci ! Je me pencherai plus longuement, quand j'aurai un moment, sur les liens que tu donnes en fin d'article.
    Il me semble que le "je" pluriel, est commun à beaucoup de campagnes de France, et que même s'il se raréfie (au même rythme que les paysans) on l'entend encore parfois. Lors du mariage de ma nièce, dans un village bourguignon, je l'ai entendu prononcer par une "fermière" d'une quarantaine d'années, ponctué de "vindiou" :-)) !
    Bonne journée.

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  5. ...et pour moi, la pyrénéenne expatriée à Marseille, tout ceci est un bain d'exotisme...
    Merci, Michelaise et bonne journée !
    Norma

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  6. Bonjour Michelaise,

    J'ai l'air ridicule dans mon salon à tenter le saintongeais !
    Elle nous a fait un drôle de billet c'te Michelaise !

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  7. Ton billet est un bonbon Michelaise.
    Tu m'as fait rire avec l'histoire de ton coiffeur.
    Tu n'as pas remarqué que dans le Lot aussi ils parlent parfois ainsi"comment elle va ce matin?"
    Souhaitons longue vie à ce salon et qu'il ait autant de succès que celui de Brive par exemple

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  8. .pour ceux qui desire approfondir sur le patois une revue XAINTONGE
    dans les annees 50 un soir sur une plage de l ile de re nous etions assis sur le sable et une voix sortant des taillis "O L EST d o espions"

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  9. Miss Lemon, super de braver le ridicule pour tenter le parler saintongeais... moi je t'avoue que venant de langue d'Od j'ai mis du temps à comprendre de quoi il pourrait retourner. Je t'avoue Aloïs que je n'avais pas remarqué chez les lotois cette étrange manière de te parler de toi à la 3ème personne, mais je n'ai guère pratiqué le Lot que de loin !!
    Anne, elle est modeste cette littérature régionale mais toujours attrayante quand on habite le coin car au moins, on s'y retrouve dans les lieux et les noms !
    Encore en usage donc le je pour dire nous Odile, mais finalement l'explication fournie par le linguiste parait plausible.
    Ravie Norma de t'avoir offert de l'exotisme à peu de frais ! faut dire, que le patois saintongeais pour qui vient de marseille c'est totalement incompréhensible. Sauf à lire Xaintonge assiduement... ce que je ne ferai bien sûr pas. Quoique, fille de la banlieue bordelaise je n'ai pas de patois de coeur ! Le parler de Bègles ne m'a, heureusement pas, laissé d'accent trop marqué non plus ! Parce que si Bègles peu se targuer d'avoir eu, dans ma jeunesse, une grande équipe de rugby, je crains que cela ne soit pas un lieu dont on se vante trop !

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  10. Heureusement qu'on ne parle plus Patois ! c'est amusant mais il faut que ça en reste là , parce que quand je vois comment Emilie se bat pour comprendre le suisse-allemand qui n'est pas le même à Zürich que dans d'autres cantons proches, enfin bref du coup, je finis par être contre les langues régionales (il faut faire attention à tout ça ok pour ne pas les perdre car elles font partie de notre histoire et pour s'amuser mais, par pitié attention à ne pas les remettre "en service" !)

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