mardi 13 juillet 2010

L'ESPRIT SOUFFLE EN AVIGNON

La chaleur est écrasante, en témoigne ce malheureux clébard, qui stagne à longeur de journée, dans cette position rafraichissante sous le panneau du magasin de son maître, une boutique de CD, vous l'auriez peut-être deviné ?

Dans les rues, à la terrasse des cafés, partout dans la ville on croise des troupes, des acteurs, des groupes grimés qui tentent par tous les moyens de vous inciter à aller voir leur spectacle. Il faut dire que 1000 pièces en 3 semaines, la concurrence est rude. Certains ne savent pas qu'inventer pour attirer l'attention et hier soir, alors que nous dînions, notre attention fut capté par deux duelistes qui nous ont donné envie d'aller voir leur " Mousquetaires dit par deux acteurs" à 19h devant le Palais des Papes, à côté de l'éléphant. Mais on a un programme déjà tellement serré que cela restera au stade d'intention ! Du moins aura-t-on vu l'éléphant la trompe en bas qui orne maintenant la place du Palais.
Donc en général on esquive, on refuse les papiers et les discours, et on s'en tient à notre programme car sinon on en s'en sort plus. Mais hier soir quand un frêle jeune homme m'a glissé le tract que j'allais refuser, j'ai lu Bernanos. Tiens, il m'avait échappé celui-là. Et ce matin, à la première heure, nous y étions. Alter avait ri quand j'ai réservé. Certes la jauge était petite (49 personnes) mais l'idée qu'un lundi matin, à 10h45, il y eut foule pour écouter le journal d'un curé de campagne le réjouissait hautement. Et pourtant, la salle était plus que complète et les marches toutes accupées par 2, voire 3 personnes.


Dans cette âpre région d'Artois, un jeune prêtre exerce son ministère avec zèle. L'itinéraire d'un être hors du commun, entre épreuve et espérance..." Avec naturel, simplicité et sensibilité, Maxime d’Aboville fait revivre sous nos yeux les personnages du célèbre roman de Bernanos dans cette remarquable transposition pour la scène. Il nous donne l’intuition de l’être profond de l’humble curé d’Ambricourt dont la relation à l’autre unit spiritualité mystique et humanité profonde." Michel Estève, éditeur de Bernanos pour La Pléiade

Vous allez dire que je me répète... et que mes superlatifs sont usés. Mais quel grand moment ! Le texte, sublime de simplicité et toujours terriblement actuel du Bernanos, pas de préchi-précha, pas l'once d'un gramme de religiosité désuette, et le jeu de Maxime d'Aboville, font de ce spectacle une des immenses réussites du off. Je ne sais si c'est le bouche à oreille qui fonctionne déjà, mais la salle n'avait nullement l'air remplie de cathos en manque et le public, parfait, attentif, pris par le discours de l'acteur et les mots de l'auteur était parfait ! D'aboville, admirable de sobriété, tourmenté, et pourtant souriant, nous a captvés pendant une heure vingt sans un instant d'ennui. Son interprétation très subtile, vulnérable et pourtant si fort, lumineux et dévoré de doutes et d'angoisse, ne donnait qu'une envie : relire le chef d'oeuvre très moderne de Bernanos, écrit en 1936.


C’est l’histoire d’une improbable maison de retraite: baronne polonaise, ex-officiers russes, cosaques, réfugiés slovènes, hongrois, serbes… Ils avaient échoué en Belgique dans les années 60. Aujourd’hui, bien que disparus depuis belle lurette, ces chers fantômes déboulent sur le plateau du théâtre, au milieu du spectacle du gamin, qui les appelait Chers grands papas, chères grands mamans.

«Drôles, poétiques, cyniques, bouleversantes strates de vie et de mort, leçons d’Histoire, des conflits et des exils aux hypocrisies de tous bords politiques et religieux.» Le Soir

On va "chez les belges" parce qu'on sait que la programmation du théâtre des Doms est sûre, originale et inventive. On ne sait jamais ce qu'on va y voir et tout le plaisir repose dans cette découverte.
Le spectacle de François Houart qui se débat au milieu de ses souvenirs, un peu trop prégnants, comme au milieu des vieilles chaussures qui encombrent le plateau, n'est sans doute pas le meilleur que nous ayons jamais vu aux Doms, mais il est très honorable. Sensible et fin, il manque cependant un peu de souffle et de rythme. L'acteur est bon mais tenir la scène seul durant une heure 20 n'est pas donné à tout le monde et la sobriété de la mise en scène, le côté un peu répétitif du texte et son propos parfois brouillon font paraitre ce temps un peu longuet. François Houart n'a pas le souffle d'un écrivain mais son spectacle avit la sincérité du témoignage et finalement c'est important aussi.
 

 
La pièce la plus connue de BMK. La célèbre confrontation entre le dealer et le client avec pour marchandise, le Désir. Et toute la progression dramatique de la pièce tient à l'obscurité de ce désir, formé de toutes les envies, entrevues, approchées, cernées mais jamais nommées, débouchant sur une quête mais aussi une peur de l'autre qui rendent cette pièce unique dans le théâtre contemporain ; cela permet aux deux comédiens de souligner aussi bien la complexité des deux personnages que la légèreté, voire l'humour, qui empreint en permanence ce dialogue étincelant.
« La réussite de la mise en scène permet sans conteste aux acteurs de s'approprier la langue de Koltès » RUE DU THÉÂTRE.

Depuis que nous avons vu, un jour à Saintes, un acteur se masturber sur scène dans cette pièce de Koltès, nous avons pour le titre une méfiance innée, qui nous pousse à l'éviter. Mais ayant apprécié l'acteur dans "Le baiser de la veuve", nous avons voulu revoir la pièce, et bien nous en a pris. La langue de Koltès est somptueuse, mélange très musical d'originalité et de syntaxe recherchée. Avec les ans, on oublie le sens binaire de la pièce à portée politique, pour ne garder que la fascination pour les oppositions, celle du permis et de l'interdit en particulier qui façonne chacun de nous. Enlevée par deux acteurs plein de talent, qui sculptaient chacun des mots pour en extraire le sens poétique, et l'humanité, la pièce prenait un relief nouveau et offrait une résonnance émotionnelle particulière. Elle développait une gamme d'émotions entre  l'aliénation, la peur de l'inconnu, la pression du regard de l'autre, la déception des rencontres ratées, le poids des tabous... Une très belle prestation à voir absolument.


« Madame Marguerite » est un petit bijou tragi-comique de Roberto Athayde. Le comique – et on rit beaucoup dans cette version traduite en français par l’auteur lui-même - est intimement lié à ce personnage titre qui fait la classe en percutant ses élèves sur le sens de la vie et de l’enseignement. Les aspects tendres de Madame Marguerite se mêlent à une certaine brutalité verbale, à une absurdité non dissimulée, à des digressions permanentes, jusqu’au coup de théâtre final qui plonge le spectateur dans l’émotion la plus profonde.
Sur la comédienne :
« Une comédienne fascinante », FROGGY'S DELIGHT ;
« Une splendide comédienne , Sylvia Bruyant », DAUPHINÉ VAUCLUSE ;
« L’indéniable présence de Sylvia Bruyant », LA MARSEILLAISE.

Ayant apprécié Sylvia Bruyant dans "le baiser de la veuve", nous avons pris le risque de cette Madame Marguerite. Pas de doute, mademoiselle Bruyant joue bien, mais nous sommes ressortis déçus : pas un sourire, pas une émotion, un réel ennui pendant une heure. Etait-ce le fait d'une mise en scène pas assez contrastée, d'une trop grande "normalité" de l'actrice qui n'assume pas le côté déjanté du personnage, était-ce simplement le texte qui est démodé, voire ringard, je ne sais mais ce n'était vraiment pas l'enthousiasme. L'esprit manquait singulièrement à cette pauvre Marguerite.


Un texte inédit de Paul Claudel qui éclaire une nouvelle facette de l'auteur. Paul Claudel réinvente le chemin de la croix en le dédiant à l'Art du Mime. C'est après avoir vu "Les Arbres", un spectacle de Mime Corporel d'Etienne Decroux que l'auteur a été inspiré pour écrire d'un seul jet "Le Chemin de la Croix n°2" le soir du 23 mars 1952. Ce texte jusqu'alors jamais représenté, est la dernière oeuvre destinée à la scène écrite par Paul Claudel. Bernadette Plageman, metteur en scène, mime et disciple d'Etienne Decroux, porte à la scène ce texte pour la première fois de son histoire. Dans la mise en scène de Bernadette Plageman,l'intégralité du texte est dit et se mêle au mime. Un spectacle original, inédit et poignant.

Il fallait avoir été attiré par la présentation du spectacle, reproduite ci-dessus, pour attendre 23h35, s'aventurer vers un titre pareil et braver la chaleur de cette soirée que rien ne semble vouloir rafraichir jusqu'au centre européen de poésie d'Avignon. Le souffle de l'Esprit avait-il inspiré Claudel lors de la rédaction de ce texte pour mime, exercice pour le moins inhabituel chez cet auteur consacré ?
Le texte est inspiré, cela ne fait aucun doute. Mais cette soirée restera dans nos mémoires comme un grand moment de malaise. Une américaine, qui fut (je n'ose dire qu'elle l'est encore) mime, et qui exhume un texte négligé de Claudel et se bat pour le diffuser, l'affaire est en soi remarquable. Et il faudrait la soutenir. D'ailleurs c'est ce que fait François Claudel, le petit-fils de l'écrivain, qui entretient la mémoire de son grand-père en faisant vivre son oeuvre. Rencontré lors d'un salon de la poésie, il a beaucoup insisté pour promouvoir le spectacle et l'a chaudement recommandé à la directrice du centre de la poésie européenne. Elle s'est emballée pour le projet, a rédigé le texte ci-dessus qui, de fait, nous a alléchés mais nous a avoué ne l'avoir vu qu'à Avignon, lors de l'arrivée de Madame Plegeman. Et comme nous, nous l'avons senti perplexe.
Nous étions 5 hier soir, nous 3 et les deux acteurs du spectacle précédent venus en voisins. Nous avons incriminé l'heure tardive, le titre pas très tendance et Claudel. Koka est partie au premier noir... nous, nous avons tenu un peu plus, hésitant vraiment à faire cette affront à la comédienne de quitter la salle. Mais outre le fait que c'était difficilement supportable, je ne me voyais pas applaudir, et rester en silence alors que nous étions 4 m'a semblé pire que la fuite. C'est en sortant que nous avons croisé la directrice du centre et lui avons partagé notre accablement. Elle était mi-figue, mi-raisin, finalement sans doute un peu déçue elle aussi par cette initiative dont l'idée était, au départ fort louable.
En fait, cette Madame Plegeman a, sans doute, fait du mime. Je ne suis pas spécialiste de mime, mais c'est l'art du silence, de l'élégance, de la suggestion et du délié. Or toutes ces qualités lui faisaient cruellement défaut. Elle se déplaçait lourdement, piétinant les planches bruyamment et tentant des glissades qui étaient rendues ridicules par sa corpulence. C'est méchant ce que je dis, et je n'ai pas envie de l'être mais cette dame n'a plus la sveltesse et la finesse qui conviennent à la gestuelle qu'elle tentait de nous proposer. De plus, elle a commis une erreur fondamentale : le texte, dit pour être mimé par Claudel lui-même, doit aussi être dit. Il eut fallu un récitant, immobile et neutre, qui aurait accompagné ses évolutions. Et un mimimum de dispositif scénique, suggéré par les didascalies. Les éclairages étaient mal orchestrés et fort plats. Bref, nous n'avons pas tenu beaucoup plus que Koka et nous en sommes excusés en sortan. Mais finalement l'artiste s'est surestimée, elle s'est fait plaisir en montant ce spectacle : elle est accueillie dans un centre, entourée et n'a sans doute pas à payer sa salle, ce qui, en Avignon, est un avantage énorme. Le centre assume le risque des fours et des soirées sans spectateurs. Nous y avions admiré, en 2007, la Cantate à 3 voix du même Claudel, magnifiquement montée par Nazim Boudjenah. C'était d'ailleurs forte de cette réussite que la directrice du centre de la poésie a tenté cette nouvelle expérience. Nous lui souhaitons de meilleurs spectateurs de hasard, plus patients que nous.

4 commentaires:

  1. Un vrai marathon!
    Et quand est-ce qu'on se baigne?
    En plus tu as le courage de faire des commentaires, ça c'est de l'enthousiasme, de la passion et de la générosité.
    Bon vent pour la suite...

    Je le mime ... le souffle du vent.

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  2. Nom d'un chien...tu m'ébahis Michelaise...
    Tu arrives à :
    -supporter la chaleur
    -sortir tous les jours
    -commenter tout ce que tu as vu, apprécié ou détesté
    -tout retranscrire sur ton blog
    Mais où trouves-tu toute cette énergie ?

    Moi, par 35°, je suis comme le chien du début: "à plat" !!!!

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  3. Quelle journée ! Vous deviez être éreintés le soir venu, surtout quand le dernier spectacle est aussi ennuyant...

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  4. Oui oui les filles, éreintés, mais heureux... comme des marathoniens en goguette !! Le pire c'est la chaleur mais c'est une calamité habituelle ici !

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