vendredi 9 juillet 2010

ROSSINI

Je sais, ce n'est peut-être pas le sumum en termes de goût musicaux, mais j'ai une faiblesse jamais prise en défaut pour Rossini. Cenerentolla, Tancrède, Mohammed II et tous les autres me remplissent d'une jubilation extrême, et en écoutant les opéras de Gioacchino, je suis toujours toute émoustillée et vibrante d'allégresse. Je sais... GF doit trembler sur ses bases et trouver que c'est hallucinant d'avoir un goût pareil. Beethoven, en son temps, qui rêvait d'écrire un grand opéra, et disait de lui d'un air désabusé « Il a besoin d'autant de semaines que les Allemands d'années pour écrire un opéra. Quel immense compositeur il aurait été si ses professeurs avaient eu la bonne idée de le fesser régulièrement ! », Beethoven donc déplorait aussi ce "goût italien" qui, selon lui, entâchait les oeuvres de Rossini d'un côté surrané, justifiant à lui seul un certain mépris. Il faut peut-être incriminer mes origines napolitaines, ou je ne sais quelle propension à aimer ce qui est simple, même si l'on a reproché à Rossini son absence de talent dramatique ou sa tendance à la surcharge de vocalises.
Mais voyons, le sujet de l'article n'est pas de vous parler du compositeur de Pesaro, ni même de justifier mes penchants pour le bel canto rouccoulant. Quand tout va mal, Rossini a du bon, il vous met l'âme en fête à peu de frais. Et hier soir, justement tout allait mal.
J'aurais pu vous rédiger un article sur les méfaits du vieillissement, disserter à loisir sur les errements financiers de Madame Bettencourt, les divagations inattendues de Pétain en juin 40 dont on dit qu'il n'avait sa lucidité que durant environ 10% du temps, celles de mon beau-père qui offrit en quelques années la presque intégralité de ses biens à une "dame si gentille" qu'il finit par l'épouser, et maintenant les égarements identiques de belle-maman qui s'est entichée d'une dame tellement complaisante qu'elle menace de vider son compte en banque avec la dextérité d'un photographe ! Notre seule consolation est que cette dame ne se fera manifestement pas épouser, car fort heureusement les mariages unisexes ne sont pas encore reconnus dans notre beau pays. Mais entre le cafard que vous fiche une maman qui ne jure plus que par la dernière tocade dont elle s'est amourachée, les soucis qu'une telle situation entraine ne serait-ce que pour la sauvegarde physique de la personne ainsi noyautée et les inquiétudes quant à votre propre vieillissement à venir, tant il est éprouvant de constater combien l'âge abime les facultés mentales et le jugement, la journée d'hier a été lourde.

Tant et si bien que le soir Alter a décidé de nous offrir une décompression qui, en fait, est l'objet de cet article. Il existe à Gourdon (Lot), sur la place du foirail, une auberge qui offre aux visiteurs une carte locale, abondante et périgourdine, et ce, depuis 1898 ! C'est l'hostellerie de la Bouriane. J'avoue que la cuisine locale, de confits en pommes à la sarladaise, de pastis en omelette aux cèpes, m'a plu quand j'avais 20 ans mais me semble actuellement lourde, indigeste et inutilement riche. Surtout quand il fait 37° dehors, et même si la salle est climatisée. Je n'étais cependant plus très en état d'avoir un avis sur le choix de la table, et j'ai laissé faire mon gourdonnais de mari. Va pour la Bouriane.
Et c'est là qu'il m'a mouchée : il venait là, quand il avait 20 ans, avec toute une troupe de gens regroupés par un certain Franz Chapou, fils d'un résistant local célèbre qui avait le bon goût de mourir jeune, en laissant son petit garçon aux bons soins d'une marraine de guerre américaine, de surcroît millionnaire. Le jeune homme avait un peu la folie des grandeurs, et il avait initié à Gourdon, bourgade endormie de 5000 âmes, un festival de musique digne des cimaises parisiennes. On y croisait Yehudi Menuhin, Christian Ferras, Jean-Claude Casadessus, Sviatoslav Richter et tant d'autres... Chapou aimait à s'entourer d'artistes, d'admirateurs et... de jeunes garçons. Alter perdit à ses yeux tout attrait quand il m'amena innocemment aux festivités du sémillant mécène, mais nous aimions tellement la musique que nous mîmes longtemps à comprendre notre disgrâce ! Toujours est-il que, lors des dîners d'après-concert, Chapou invitait une trentaine de personnes à la Bouriane et, grand seigneur, offrait à ses hôtes la spécialité qui fit et fait encore la réputation de l'auberge : le tournedos Rossini. Alter en cette soirée spéciale, m'a proposé d'y goûter. J'avoue, que sauf à en avoir bricolé quelques rares avec les moyens et l'inspiration du bord, je n'avais jamais mangé nourriture traditionnelle et roborative aussi succulente que celle que j'ai dégustée hier soir.

Reposant sur un toast parfaitement moelleux, recouvert d'un foie gras poëllé croustillant et onctueux, décoré de lamelles de truffes, entouré de petites rattes et de cèpes goûteux et croquants, et enfin, nappé d'une sauce Périgueux veloutée à point... j'ai compris pourquoi Rossini s'était entiché de cette recette inventée par ses soins et son imagination gastronomique déchainée ! Un festival pour le palais, qu'un petit Pomerol de l'an 2000 est venu faire chanter, à tel point qu'au sortir de la Bouriane nous avions oublié toutes nos contrariétés. Mon amour pour Rossini est ressorti grandi de l'aventure.

9 commentaires:

  1. Michelaise, moi aussi, quand tout va mal, j´écoute Rossini, Verdi, et aussi un peu de musique rythmée : Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Música de Puerto Rico.

    Un plaisir de te lire.

    Belle journée.

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  2. Tout est bien qui finit bien...

    Ah, la vie de famille !
    Ces dames ne vont-elles pas finir par se paxer ?

    Désolée pour ce mauvais humour, Michelaise, mais j'ai beaucoup aimé ce billet très enlevé, ton amour pour Rossini et son tournedos, et cette façon que tu as de tourner en dérision certaines contrariétés de la vie...

    Très belle soirée à toi !

    Norma

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  3. La famille ça fait partie des petits soucis quotidiens..... Mais c'est vrai que parfois on s'en passerait bien et avec humour et déraison tu t'en sors bien et grâce à Alter quand même un peu, non?
    Pour moi je veux bien aller voir et écouter "Tosca" et me régaler d'un petit Rossini pour ravaler mes larmes que je lâche toujours à la fin de cet opéra, hi, hi, hi!!!!
    Bon week-end Michelaise!

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  4. Et oui, Norma, j'y ai pensé pourvu qu'elles ne se pacsent pas ! Vaut mieux en rire qu'en pleurer n'est-ce pas.
    Enitram, je n'arrive pas à comprendre : Tosca, Roméo et Juliette et tous les autres, j'espère toujours qu'il va y avoir un miracle et que ça va bien se terminer. Et c'est toujours la cata ! sniff !!! d'où Rossini ;-)
    Et en tournedos, là je suis d'accord avec toi, Alter a fait fort !
    Alba, ton programme me convient tout à fait.

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  5. Bonsoir Michelaise. Je dois avouer que je suis totalement inculte et ne connais pas grand chose de Rossini, mais je retiens qu'il redonne le moral en cas de blues... C'est très, très important. Je pense que ton Alter est également un excellent remède contre la déprime. Que de délicatesse il y a dans cet homme-là. Tu as beaucoup de chance d'être aussi bien comprise et je suis contente pour toi de savoir que tu as cette chance.
    PS : Ton tournedos m'a mise en appétit alors que je sors de table... Hummmm... C'est redoutable, ça !
    Bon week-end à toi :-)

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  6. Ah, c'est bien mal me connaître que supposer que je n'aime pas Rossini; Au contraire. Je suis exactement du même avis que toi, je ne trouve pas sa musique d'une inventivité prodigieuse ni d'un raffinement extrême, mais bien qu'assez peu variée et répétitive, je trouve l'écriture de Rossini extraordinairement jubilatoire. Ses opéras me procurent beaucoup de joie et m'inspirent une furieuse allégresse. Outre ceux que tu évoques, je te conseille Le Comte Ory, La Pietra del paragone et, en priorité, Mathilde di Shabran (avec Florez et Massis) dont tu trouveras sur mon blog un vibrant témoignage d'amour: http://italiansbetter.blogspot.com/2008/09/bellezza-e-cuor-di-ferro.html
    Rossini était un compositeur qui ne se prenait jamais au sérieux, il n'a écrit ses opéras que pour s'amuser, aussi a-t-on beau jeu de déplorer facilité et légèreté dans sa musique. C'est exactement ce qu'il recherchait!!!
    J'aime beaucoup ton billet et tu te doutes que ce qui me plaît le plus, c'est la chute avec le Rossini tournedos. Figure-toi que pour le marathon Malibran en 2008 avec Cecilia Bartoli, il y avait la possibilité, pour le public qui le souhaitait, de manger dans un grand restaurant parisien un tournedos Rossini juste avant la Cenerentola avec la divine Cecilia. Malheureusement, j'étais malade comme un chien et n'avait strictement aucun appétit, mais je me souviens très bien avoir vibré de plaisir pendant les deux heures et demi de cette Cenerentola...
    PS : je trouve très cruel de ta part de m'infliger cette photo du restaurant alors que je suis au régime depuis mon retour de Lozère...

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  7. Et j'oubliais de préciser que ce mois-ci, je suis allé voir deux fois La Donna del lago à l'Opéra de Paris... à cause de la double distribution... peut-être en rendrai-je compte alors sur mon blog...

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  8. Une belle évocation de cette bande de terre coincée entre Lot et Dordogne,généreuse en châtaignes et champignons ,bien cachés dans ses forêts .
    C'est aussi cela la Bouriane

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  9. Bravo à Alter d'avoir su prendre soin de toi.
    Cette recette me met en appétit moi qui suis tout juste à l'apéritif !
    Bonne soirée.

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