Tau peint de la main de saint François sur les murs de l'ermitage de Fonte Colombo où il écrivit la Règle pour ses frères (Vallée de Rieti)
Il m'a pris, ces jours derniers, une sorte de fureur mémorialiste. Je cherchais désespérément le nom d'un vieux franciscain, cotoyé durant de nombreuses années à Cognac et dont l'identité m'échappait de façon énervante. La paroisse Saint Antoine abritait en ce temps-là une minuscule communauté franciscaine, 3 pères au total, des hommes de foi terriblement humains, chaleureux, bienveillants et généreux. Leur supérieur, le Père Henri, nous réservait une amitié vraiment affectueuse, et nous avions souvent l'occasion de rencontrer ce vieux père, dont le souvenir m'est revenu en voyant "Des hommes et des dieux". C'est en fait le personnage du Père Amédée, pétillant de confiance, plein de vie malgré son grand âge, qui a réveillé mon souvenir.
Et me voilà à me creuser les méninges pour retrouver son nom. Arsène ? Félicien ?? Séraphin peut-être... je tourne, je cherche, je me constitue des listes mentales de prénoms démodés... je sollicite même la mémoire légendaire de Mandarine, qui se rappelle de tout, tout le temps ! Soudain... le trait de génie "Père Honoré"... j'envoie un sms triomphal à Mandarine qui n'y comprend goutte, se précipite sur son calendrier pour voir si elle a oublié la fête des Pères ou l'anniversaire de son papa. Elle se demande bien ce que veut dire ce message laconique et en quoi elle doit honorer son père. Explication donnée, Mandarine m'assure qu'il ne s'appelait pas ainsi, mon franciscain sans bure. Car à Saint Antoine les bons pères avaient jeté leurs robes brunes aux orties depuis que le père Henri, ayant prêté la sienne pour une fête où quelqu'un voulait se déguiser en moine, n'avait jamais pu la récupérer, l'emprunteur se l'étant faite voler dans le coffre de sa voiture !
Bref, je me secouais les méninges en tous sens, car, pour moi, avoir oublié le nom de cet homme, si dévoué, si effacé et pourtant débordant de chaleur humaine, c'était le faire mourir une deuxième fois. J'y voyais une sorte de trahison. J'en faisais une affaire de principe, le nom c'est un peu de nous, et la mémoire ne doit pas flancher : les vivants doivent, c'est le moins, garder le souvenir de ceux qui les ont précédés. Cette infidélité de mes neurones me remplissait de honte et je n'arrivais pas à me pardonner cet oubli. Je me sentais coupable de ne savoir nommer cet homme de bonté, le rayant ainsi encore plus farouchement de la surface du globe ! Alter, voyant ma contrariété, a finit par me prendre en pitié, et finalement c'est lui qui a retrouvé ce qui me mettait si fort martel en tête : il s'appelait Père Fortunat mon bon franciscain.
Avouez que ce n'était pas facile à retrouver, sauf à se faire un post-it mental, avec Bourvil, ou plus sérieusement avec Venance Fortunat, troubadour de la région de Ravenne. C'est en hommage à ce compositeur poète qu'un ensemble vocal français ayant beaucoup contribué à faire redécouvrir la musique médévale et dont la réputation n'est plus à faire, s'est appelé Venance Fortunat dans les années 80. Rimant sur tout, rimant sur rien, mais toujours attablé aux meilleures tables, notre troubadour avait une maladie des yeux qui disparu miraculeusement après des prières à Saint Martin. Pas ingrat, il décida d'aller en pèlerinage au tombeau du saint évêque. Après maints détours, tachant de vivre de son art sans trop de succès, il arriva à Poitiers. Et là, zoup, il se convertit. Ordonné prêtre, il continua à rimer, mais pour écrire des hymnes et des chants religieux d'une grande poésie. Il devint aumônier du monastère de sainte Radegonde et finit sa vie comme évêque de Poitiers. Hum... Radegonde, vous en pensez quoi vous ? Voilà un prénom facile à retenir, non ?
Tu as, Mic, ma plus grande compréhension et solidarité, puisque moi aussi j'ai des gros problèmes de mémoire. Pire: pratiquement, je ne me rappelle rien! C'est un vrai cauchemar, je suis obligée de tout me noter, ou bien de me construire des droles d'images ou de parcours mentaux pour lier ensemble les choses que j'ai à dire ou à faire.
RépondreSupprimerMais la sainte Radegonde... ah non, là je suis championne olympique, jamais je pourrai l'oublier, la sainte Radegonde: imagine que ton prénom (Susanna) se fete le 11 aout, et que tout au long de ta vie tu n'as rencontré que des calendriers où à cette date il n'y a pas ton nom. Car pour tous et toujours les foutus de calendriers, le 11 aout c'est la sainte RADEGONDE !!! Snif snif....
J'aime ces deux sujets qui émergent de ton article : la mémoire et les prénoms... C'est terrible d'avoir un nom sur le bout de la langue ou tout au moins sur le bout du neurone et de ne pas réussir à le retrouver... Cela m'arrive bien souvent et ça m'agace....
RépondreSupprimerQuant aux vieux prénoms, aux prénoms oubliés, j'ai pour eux une réelle tendresse comme j'ai une tendresse indéfectible pour le grand Bourvil, très émouvant -entre autres films- dans "Fortunat" aux côtés de Michèle Morgan si ma mémoire (cette infidèle) ne me trahit pas...
Ce que tu dis de ce Père Fortunat est un bel hommage. C'est très beau.
Bon week-end Michelaise
Alors moi, je suis toujours ébahie et me laisse mener par le bout du nez dans vos récits, rencontres et souvenirs.
RépondreSupprimerAu début, comme aujourd'hui, je me demande, mais où veut-elle en venir, où va-t-elle nous conduire mais il suffit de laisser le récit se dérouler, l'humour tapi surgit souvent, ici au détour du SMS, très drôle!
il suffit oui de donner son temps au texte et vous êtes alors dans un univers inattendu et souvent inconnu, voilà bien le plaisir de vous lire et parfois, souvent, je n'ai pas les mots à la hauteur de ceux que je viens de lire qui sont si spontanés.
Encore un excellent billet que j'ai lu avec grand plaisir.
Bon dimanche.
Maintenant, vous n'oublierez plus ce nom, Michelaise, j'en suis certaine.
RépondreSupprimerJe connais un peu l'ensemble "Venance Fortunat" pour avoir suivi, il y a très longtemps, un stage qu'ils avaient organisé. Nous avions étudié les neumes, le symbolisme qui se rattachait à la musique médiévale et nous avions travaillé en particulier autour d'un très émouvant "De profundis". Je vous remercie de me rappeler ce beau souvenir. Bon dimanche!
Anne
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerJe m'en souviendrai, de ce Fortunat qui te mit à rude épreuve...
Il a des noms aussi.
J'avais un professeur d'histoire du moyen-Âge qui avait appelé ces enfants jumeaux Childéric et Chilpéric...
Pas facile à retenir non plus.
Merci beaucoup pour ce savoureux billet.
Bon dimanche.
Je t'embrasse.
Je serai toujours aussi émerveillée par ton aisance.
RépondreSupprimerTes billets sont des bonbons que l'on suce doucement.
Sainte Radegonde c'est facile pour toi car il me semble bien que c'est le nom de l'église de Talmont,et si je ne m'abuse ce n'est pas très loin de chez toi??
Pour moi aussi c'est facile c'est le nom d'une des dernières fermes de notre village parisien
Plus sérieusement:
"Ainsi cette femme vraiment sainte,fille et épouse de rois,et maîtresse souveraine du palais,se faisait la servante des pauvres".
La vie de Sainte Radegonde,Reine de France,par Saint Fortunat
Pas facile à porter, comme prénom, Radegonde, un peu dans la lignée des Ségolène...
RépondreSupprimerTrès bonne soirée !
Norma
Siu, j'hallucine, je ne pensais pas si bien tomber !! Quand je pense que maintenant on va t'appeler Radegonde... Non contente de te voir "faucher" ta fête par cette sainte poitevine (de Poitiers) tu vas hériter d'un surnom charmant !! Pourtant Suzanne c'est joli sapristi et il y a beaucoup plus de Suzanne que de Radegonde... Sauf bien sûr qu'on a, ici, des églises qui portent son nom. Comme Talmont en effet ALoïs... sais-tu que les jeunes mariées y allument des cierges pour tomber enceinte dans l'année... Ne ris pas, j'en connais une toute jeune qui l'a fait il y a peu et qui a accouché il y a quelques mois d'une charmante petite fille.
RépondreSupprimerEnfin Siu, te voilà au moins rassurée, la sainte qui t'a volé ta fête existe bien. Pas aussi connue que Ségolène en Poitou mais presque !! Mais, bon, Norma c'est quand même mieux que Ségo non ???
Merci Miss Lémon de votre indulgence... c'est vrai qu'on se demande vraiment où je veux en venir parfois et j'avoue que j'aime bien ces billets qui, à propos d'une chose importante (ici la mémoire des vivants) font des digressions inattendues. Et qui, finalement, atteignent leur but : Anne qui retrouve dans sa mémoire le stage avec Venance Fortunat, ou Herbert qui se rappelle du nom des enfants de son prof d'histoire !
RépondreSupprimerAnne, cette histoire de neumes cela me revient, mais impossible de savoir où j'en ai entendu parler. Toujours est-il que la musique médiévale c'est pas toujours facile à comprendre car tellement loin de notre esthétique. D'où l'intérêt de ce genre de stage ! Merci de votre commentaire.
Du film "des hommes et des dieux" tu nous parles de ton père Fortunat et de là tu nous emmènes jusqu'à Radegonde en musique s'il vous plait avec l'ensemble "Venance Fortunat", un beau parcours dont toujours tu as le secret avec l'aisance de tes écrits! A quand Le Livre????
RépondreSupprimerBonne soirée Michelaise
Ah ! La mémoire...
RépondreSupprimerComme je fais partie des gens qui ont une mémoire purement visuelle, je n'oublie jamais un lieu ou un visage mais...je passe mon temps à essayer de mettre un nom dessus !
Cela m'arrive tellemnt souvent que je ne m'en formalise plus !
Peut-être existe-t-il un saint que l'on peut prier pour retrouver la jeunesse de nos neurones ?
Comme Saint Antoine s'occupe des objets égarés, Saint Fortunat nous aidera-t-il à retrouver les "mots perdus" ?
En tout cas, j'ai fait comme toi : je suis allée voir "Des hommes et des Dieux" : un film prenant, touchant...et qui pose une question plus que jamais d'actualité : dans un monde de plus en plus fou et cruel, jusqu'où peut-on "tenir" ?
Merci Mic, tu me rassures pour de bon... car il est vrai qu'en Italie "Radegonda" c'est un nom pratiquement inexistant que l'on n'entend jamais, et dans mon esprit ça a fini donc par devenir non seulement un usurpateur, mais une espèce de... noir fantome, encore plus détestable.
RépondreSupprimerAlors que savoir qu'elle existe, qu'il y a des églises qui portent son nom, qu'elle a meme -pour celles qui aiment y croire- le pouvoir de les faire tomber enceinte, et bien mais c'est merveilleux tout ça... Je te vois devenir de plus en plus réelle, amie Radegonde: qua la mano, pace fatta!
Mais toute prise par mon... radegondage, j'avais oublié (comme je te disait: j'oublie tout!) d'apprécier de façon explicite le contenu et le style de ton billet, ce que Miss Lemon et Alois ont su, au contraire, très bien faire, me permettant ainsi de dire que je reconnais dans leurs mots les memes impressions que j'ai eu, moi, en lisant tes considérations, sur la mémoire et le Père Fortunat par exemple. "...il suffit de laisser le récit se dérouler..." "...et vous êtes alors dans un univers inattendu et souvent inconnu..." et puis "Je serai toujours aussi émerveillée par ton aisance. Tes billets sont des bonbons que l'on suce doucement."... tout ça va 101% à l'unisson avec moi!
Merci les filles, signé: Radegonde.
Radegonde-Siu tu vas commencer une deuxième vie, mano nella mano avec cette abbesse poitevine dont nul (sauf mes lecteurs mais quels lecteurs, curieux, érdits, réactifs !!!) n'a jamais vraiment entendu parler. Pour ton info perso, l'église dont nous parle Aloïs, Ste Radegonde de Talmont, c'est l'église romane qui est sur mon bandeau de titre, perchée sur sa falaise miniature : halte sur le chemin de St Jacques avant de traverser l'estuaire et d'affronter les terreurs des Landes (un endroit particulièrement sauvage au Moyen Age)
RépondreSupprimerLicorne j'adore l'idée de décréter Saint Fortunat patron des neurones en panne, cela va, dans les années qui viennent, nous être d'une grande utilité : on l'invoquera dès qu'on aura une panne de mémoire ! cela va faire une secte un peu bizarre et qui sait, un jour on se croisera par hasard et on se reconnaitra à cet indice révélateur !
Enitram, meric de ton indulgence mais pas de Livre ! j'en ai rêvé comme tout une chacun (chacune !!) longtemps, mais la sagesse venant, j'ai décidé de laisser ce rêve sur le chemin ! Pas d'imagination, trop de spontanéité dans le style que je serais bien incapable de travailler. Et surtout une telle joie à écrire ces petits billets, à lire vos commentaires, à y répondre que cela suffit à mon bonheur ! c'est tellement agréable ces petits échanges informels et pleins d'esprit, ces espoirs d'amitié qui éclosent sans contriante ! Merci d'être là, c'est vous mes lecteurs qui donnez vie à ces modestes billets qui nous unissent
RépondreSupprimerC'est un bel hommage que tu viens d'écrire pour le Père Fortunat, je suis persuadée qu'il l'aurait beaucoup apprécié.
RépondreSupprimerRadegonde n'est en effet pas un nom très facile à porter, je ne peux pas m'empêcher de penser "ragondin". Ça a beau être un animal sympathique...
Dans mon travail, j'ai l'occasion (comme toi, je suppose) d'entendre beaucoup de noms différents. Il y a les "classiques-indémodables", les "séries américaines", les "originaux" (souvent d’origine bretonne d’ailleurs…) et bien sûr, les "anciens". J'avoue avoir un faible pour ces derniers.
Bonne semaine Michelaise !
Je trouve que la suggestion de La Licorne est fort sage et appropriée, car Saint Fortunat est (avec Saint Félix, comme on peut lire sur Tramezzinimag) le saint patron de Chioggia, près de Venise, et... et... et: la grande, lègendaire actrice Eleonora Duse était originaire exactement de Chioggia: alors dites-moi, qui plus d'un acteur a besoin de compter sur une excellente mémoire?
RépondreSupprimerAdjugé donc pour Saint Fortunat... Je vais essayer, je lui dirai ma dévotion matin et soir, et vous raconterai ensuite les résultats.
Résultats...?... mais de quoi résultats..?... Boh.... rappelle plus, moi...
Siudegonde
J'ai bien ri hier Siudégonde en lisant Tramezzinimag, quelle coïncidence !
RépondreSupprimerAstheval, j'avoue que je pense aussi au rongeur mais bon, on ne va pas trop insister car notre toute nouvelle baptisée Siudégonde va trouver cette ressemblance désagréable ! Ces jolies bestioles qui ravagent nos marais et dont on fait ici un pâté, parait-il excellent, mais que je n'ai guère le courage de goûter !!
Quant aux prénoms de "mes"jeunes, j'ai la chance qu'ils soient à peu près classiques (ils ont entre 20 et 23 ans) alors ça va encore, mais je sens que je vais devoir me mettre à la retraite avant que les séries télé n'arrivent, car moi je serai incapable de retenir ces prénoms venus de partout ! déjà que je me mélange les pinceaux avec des prénoms simples, tu vois d'ici le tableau !
Meuh non, je ne trouve la ressemblance désagréable du tout... Au contraire, comme ragondin j'aurais un poil bien moin reche de celui que j'ai, moi!
RépondreSupprimerEntretemps je suis allée chercher sur le net quelques images de Ste Radegonde de Talmont, et bien, Mic, celle de ton bandeau de titre reste "di gran lunga" la meilleure, aussi bien pour la prise de vue et la perspective que, surtout, pour la lumière si chaude et magique.
Pour finir, j'ai conçu ma prière:
Oh tu Fortunato, tu che sei santo
fa' ch'io mi ricordi almeno ogni tanto.
San Fortunato, che con Felice stai
fa' ch'io più nulla dimentichi giammai!
Mais elle rime ta prière, un vrai petit poème ... on va la diffuser dans les églises, oui, oui, près des cierges qu'on allume pour retrouver l'esprit, les sens, l'amour, la mémoire... je sens que cela va avoir un certain succès !!!
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