jeudi 23 septembre 2010

TOURISME INDUSTRIEL

Ouah !!! Je vous vois d'ici faire la grimace... Non, non, ne niez pas, je suis certaine que l'appariement de ces deux mots vous hérisse par avance le poil. Et pourtant... c'est un des mérites de la Journée du Patrimoine que de nous faire découvrir des sites inattendus, voire improbables. Plus que l'accès gratuit aux monuments qui est sans doute une bonne idée pour ceux que le prix d'entrée dans un musée ou dans un château rebute, ou qui ne peuvent se l'offrir en temps normal, mais qui engendre une foule parfois excessive dans ces endroits d'ordinaire fort calmes qu'il vaut mieux visiter hors manifestation, quitte à y laisser son obole ! 
Nous étions cette année encore, en train de courir de concert en concert à la Roche Posay durant le week-end du patrimoine et n'avons pas eu beaucoup le loisir d'en profiter. Mais le stakanovisme est toujours de mauvais aloi et une petite escapade nous a fait envie, ne serait-ce que pour s'offrir un bon déjeuner à Saint Savin. Sur le chemin, nous sommes passés près d'une distillerie de betterave, et, est-ce le réflexe des "charentais" que le mot distillerie émoustille, ou la simple curiosité pour une visite somme tout inhabituelle, nous avons décidé d'y faire halte. Le lieu était sympathique, accueillant mais, a priori, pas particulièrement affriolant. Et pourtant cette visite fut extrêment passionnante.

Les propriétaires du lieu, des parisiens un peu fous comme ils savent l'être parfois, ont racheté en 2000 cette usine promise à la démolition. Un coup de foudre pour un bâtiment industriel, voilà qui n'est pas banal. Quand ils se sont lancés dans l'aventure, la distillerie de Saint Pierre de Maillé était fermée depuis près de 30 ans. Devenue propriété d'un ferrailleur, elle avait perdu petit à petit toutes ses machines vendues au prix du bel en bon acier au poids. La dernière machine venait d'être emportée en éventrant le toit des bâtiments... tout simplement parce qu'elle ne passait pas par la porte, les murs ayant été construits autour ! Mais qu'importaient ces dégradations puisque de toutes façons le tout devait être rasé et transformé en lotissement.
C'était compter sans nos vaillants chevaliers des temps modernes qui décidèrent de racheter les ruines et d'y élire domicile. Ils restaurèrent les bâtiments, en faisant un lieu d'accueil pourvu de chambres d'hôtes, salles à louer pour mariages et autres fêtes, dortoirs, gite etc... La visite des lieux en 360° vaut vraiment le clic !! Vous y verrez en particulier comment la salle au toit défoncé est devenu un charmant patio, comment l'atelier a été transformé en séjour confortable, comment les hangars se prêtent aux grandes tablées, comment la maison du contremaitre, pourtant si laide, accueille maintenant de gentilles chambres d'hôtes... Ils organisent en outre des concerts (comme ces concerts mongols) et autres expositions, souvent autour du thème de la feraille, tordue ou rectifiée, pliée, enroulée, enfin bref sous toutes ses formes ! Il s'agit, c'est logique, de s'inscrire dans la mémoire du lieu et si les oeuvres d'art en question peuvent paraître un peu trop "contemporaines", elles ont au moins le mérite d'être à leur aise au milieu des vestiges de cette usine.

Et le week-end dernier, ils ouvraient leur demeure aux visiteurs pour leur présenter, le temps d'une balade contée, l'histoire de l'usine et son fonctionnement. Comment les betteraves et les topinambours arrivaient par tombereaux duement pesés et dont le taux en sucre était mesuré soigneusement. Comment les racines étaient ensuite stockées, puis nettoyées, et enfin poussées par un puissant jet d'eau vers les chaudières. Comment ensuite, de vis sans fin en filtrations diverses, on aboutissait au produit final, l'alcool presque pur. Mais ce qui faisait l'intérêt de la visite est que les nouveaux propriétaires ont pris la peine, en arrivant, de rendre visite à de nombreuses personnes ayant travaillé dans les années de guerre et d'après guerre dans et pour cette usine, et de recueillir leurs témoignages. Agriculteurs producteurs de raves, ouvriers, contremaitre et même l'ancienne comptable de l'entreprise, tous ont raconté leurs souvernirs, leur fierté d'avoir appartenu à cet ensemble industriel et leur regret qu'il ait dû fermer.
L'aventure a commencé en 1940 quand le hobereau local, dont j'ai oublié le nom, ayant quelques fonds à placer et un juteux marché en vue, a décidé d'édifier la distillerie. Il a confié le travail aux entrepreneurs locaux, ce qui nous vaut aujourd'hui un bâtiment mastoc mais solide, tout de pierres contruit, et qui ne ressemble guère aux bâtiments de briques de la période. Le marché justifiant cette intiative était celui de la fourniture d'alcool à la RATP, qui n'avait d'autres ressources pour faire fonctionner ses autobus que l'alcool agricole. Immédiatement fut créée une coopérative des producteurs locaux (et lointains) de raves, et la noria des tombereaux de racines pouvait commencer. Au meilleur de sa production, l'usine faisait travailler sur place environ 25 ouvriers, mais induisait alentours la survie d'environ 1200 personnes, entre les emplois agricoles et toute l'activité économique qu'elle engendrait. Sitôt la guerre terminée, la RATP revint à des carburants plus classiques et le marché se transforma en alcool pour la pharmacie, le simple et sans doute moins rentable alcool à 90. Rapidement l'activité déclina et l'usine finit par fermer ses portes en 1972, au grand dam des agriculteurs locaux qui perdaient ainsi un débouché pour leurs cultures de betteraves.
La visite s'est révélée d'autant plus passionnante qu'un ancien ouvrier agricole ayant participé à la récolte des betteraves dans sa jeunesse, est arrivé durant notre parcours et a ponctué les commentaires de souvenirs personnels très précis. Pour finir, la propriétaire des lieux, pour couper son discours didactique passionnant, était accompagnée d'un conteur haut en couleur qui nous a régalés d'histoires extraordinaires et supposées locales. Du paysan qui découvre un trésor et s'arrange pour que sa femme ne soit pas crue quand elle le raconte aux voisins, aux deux vieux qui manquent de périr brûlés pour manger leur dernier broyé du Poitou, les thèmes étaient universels mais admirablement adaptés et racontés avec une verve et une facilité qui rendaient les récits délicieux.
Une idée géniale que cette visite d'un lieu que nous aurions à peine regardé en passant devant, tant une cheminée d'usine n'attire guère d'ordinaire l'admiration ! Mais nous en sommes repartis enrichis d'une tranche de vie locale, vraie et forte, car cette distillerie qui fit vivre la région pendant une trentaine d'années participe à la mémoire locale et mérite d'être (re)découverte.

15 commentaires:

  1. Cela me fait penser à la Tate Modern, construite elle aussi dans une usine et pleine de merveilles...
    J'aime bien cette réhabilitation des lieux industriels, je trouve ça émouvant de fare revivre dans l'art ces anciens lieux entachés souvent de représentations négatives...

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  2. Quelle découverte originale et passionnante Michelaise ! Il est vrai que les cheminées d'usine ne sont guère attirantes mais voilà bien la preuve qu'il ne faut pas avoir d'idées préconçues... J'ai "visité" la distillerie actuelle grâce à ton conseil de "Clic" et ai été très étonnée de ce que les propriétaires en ont fait. La découverte à 360° est très intéressante et il est vrai que tu donnes réellement envie de découvrir cette distillerie et son histoire "en vrai".
    Merci pour ce beau partage de ta journée du patrimoine !

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  3. Mais non, pas de grimace. Pourquoi la ferions-nous ? Je suis moi-même membre d'une association de sauvegarde du patrimoine industriel. Beaucoup de sites ont été détruits ou mutilés mais beaucoup d'autres sont aujourd'hui protégés et se visitent. Si vous venez en Vaucluse ne ratez pas Rustrel et ce qui tourne autour de l'exploitation de l'ocre. Idem pour la mine-témoin (charbon)d'Alès dans le Gard...On a souvent oublié toutes ces entreprises et usines parce que les cheminées qui les signalaient dans le paysage ont dû être démolies. Ainsi à Avignon celle de l'usine Pernod (eh, oui le pastis a été inventé ici !)que vous avez côtoyée en vous rendant probablement, pour le Off, au Chien qui Fume ou dans quelque coin théâtreux du quartier...Pour revenir à votre billet: nous avons eu nous aussi des usines betteravières (Orange, Lauris si je ne me trompe). Mais c'était pour le sucre. Et comme dans votre usine toute les machines on été vendues comme ferraille...

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  4. Bonjour, Michelaise.
    Vous en êtes sortis enrichis et moi aussi.

    Le symbole c'est la cheminée.
    Le sourire c'est le parasol jaune.

    Et le miracle c'est la métamorphose...

    Merci beaucoup.
    Bon week-end.

    Je t'embrasse.

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  5. Les usines offrent ce qu'il est convenu d'appeler de "beaux espaces" et doivent donner aux architectes chargés de la réhabilitation de superbes perspectives... celles qui ont été tranformées en musée Norma donnent souvent des résultats bluffants
    Ce qui est aussi très intéressant Roberto c'est de les faire, sinon revivre, mais parler... Je crois avoir visité celle d'Alès, car elle a pour moi une signification particulière, mon père a fait l'école des mines d'Alès et son stage dans cette mine ! L'ocre de Rustrel me dit aussi quelque chose, mais dans un comme dans l'autre cas c'était il y a longtemps et je pense que la présentation est sans doute améliorée, plus didactique. Quant aux betteraves, c'est fou ce qu'il y avait en effet d'usine qui les traitaient, plus souvent pour le sucre en effet.

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  6. N'est-ce pas Oxy que leur site est bien fait, on a presque l'impression d'y être... on se promène dans les pièces et ateliers grâce au clic et c'est très évocateur.
    herbert, en fait tu as raison le parasol jaune c'est la gaité que ces gens ont impulsées à ces lieux industrieux.
    En fait ce qui était passionnant, c'est qu'ayant interrogé les acteurs de l'histoire, ils avaient beaucoup à raconter de la vie de l'usine avant qu'elle ne disparaisse et c'est cet hommage humain qui rendait la visite intéressante

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  7. Je viens moi aussi de faire la visite, les propriétaires ont travaillé dans l'esprit des lieux, ils n'ont pas cherché à masquer ce qui à priori aurait refoulé, ils ont mis en valeur ces bâtiments sans nier leur histoire (humaine), il y a vraiment des gens près au défi ,ils me fascinent, eux ont réussi .
    Bravo et merci de cette très étonnante découverte.

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  8. C'est exactement cela, miss Lemon, ils ont su garder au lieu son histoire, son âme, son passé industrieux et humain.... oui ils ont réussi et leur site permet de visiter l'endroit dans son fauteuil. Ils nous disaient qu'ils avaient une trentaine d'heures d'interviews des gens rencontrés lors de leur arrivée : quelle meilleure façon de s'approprier un lieu que de vouloir le connaitre, le "rencontrer" à travers ceux qui y ont travaillé.
    Catherine, merci pour ton "mail" (j'avoue ne rien comprendre aux histoires de mails par l'intermédiaire des blogs, pourtant il est arrivé que des gens m'envoient un mail direct... ) c'est vrai que blogspot, dans la blogosphère, a un caractère plus "intime", plus amical. C'est drôle, certains nouveaux arrivés pensent que ceux qui commentent mes billets sont des amis... cela en est mais ce sont des "amis virtuels", de simples lecteurs, qui peu à peu se lachent et, pour certains billets j'ai une somme de commentaires qui me fait toujours chaud au coeur : quand le sujet touche ou passionne, chacun y va de son avis et je trouve ça GENIAL. Un vrai partage ! Tu as sans doute raison c'est un peu dû à Blogspot, qui ne cherche pas le nombre. En tout cas je suis ravie de te compter parmi mes lecteurs, et si j'ai la chance de manier les mots avec une relative aisance (et une réelle gourmandise) cela ne doit pas complexer mes lecteurs, au contraire, c'est pour mieux leur parler, et pour leur permettre de mieux répondre ! Merci de ton commentaire !!!

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  9. Vous avez eu raison, Michelaise, de faire cette passionnante visite. Le patrimoine industriel mérite de ne plus être méprisé et il peut offrir parfois un cadre intéressant pour mettre en valeur des oeuvres (je pense à la Centrale Montemartini à Rome, par exemple).
    Bonne soirée!
    Anne

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  10. Quelle extraordinaire découverte.
    Comme quoi les parisiens même fous peuvent faire revivre certains lieux.
    Dans nos terres certains on repris une vieille usine de bagages la baptisant l'Usine et l'on convertie en salle de spectacles.
    Une autre version
    Dis moi à Saint-Savin tu es quand même allée jeter encore une fois un oeil dans l'abbaye,afin de nourrir aussi ton esprit et ton ême?
    Mais en as-tu besoin?

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  11. Sauvetage aussi de la fabrique Lehman à Turin...un village industriel avec son usine, son église, son école et ses habitations...
    Une rencontre passionnante dans un lieu original.
    Bon week end.

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  12. Je n'aurais jamais eu l'idée de visiter un tel lieu et c'est bien dommage ! Cette expérience est très enrichissante, merci de l'avoir partagée avec nous. La visite à 360° était de plus bien sympathique.

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  13. La centrale Montemartini à Rome, voilà que je ne connais pas, à découvrir donc lors de notre prochain séjour romain, de toute urgence. C'est vrai que les batiments industriels transformés en lieu culturel, cela donne parfois de très bons résultats.
    Ah oui, Aloïs, l'USine à St Céré nous y avons entendu des concerts et même, une fois, un opéra. Un cosi mis en scène avec des parasols et des chaises longues, adorable !
    Saint Savin, j'avoue que, arrivés tard sur les lieux, et y ayant passé l'an dernier la journée entière, nous avons juste dit "coucou" à l'abbaye !!! ce qui nous a permis de nous arrêter à la distillerie... nous avions vraiment des concerts à ne pas manquer à La Roche !!
    Ah Evelyne le village industriel voilà qui est aussi passionnant, une certaine forme de développement économique qui permettait, malgré ou grâce à un certain paternalisme qu'il a été de bon ton de critiquer ensuite, de faire vivre dignement les ouvriers et toute leur famille.
    Oui Astheval, ce genre de tourisme peut être passionnant, surtout de nos jours où l'on sait mettre tout, même les choses les plus inattendues, en valeur.

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  14. Merci beaucoup pour ce bel article enthousiaste que je ne découvre qu'aujourd'hui et encore par hasard! Je suis ravie que la visite que nous avions organisé Ethyène (le conteur) et moi-même (une des propriétaires) vous ai laissé un bon souvenir et sûrement l'envie de découvrir d'autres lieux de mémoire ouvrière.Encore merci et bravo!
    Hélène
    La Distillerie de st Pierre de Maillé

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    1. Sapristi Hélène, cela fait déjà deux ans !! j'espère que depuis votre distillerie marche bien et je suis certaine que votre accueil est toujours aussi chaleureux.
      Et vous avez raison, une visite comme celle-ci nous a "ouverts" aux lieux de mémoire ouvrière, riches en passé proche, aisément compréhensible, en joies et peines de leurs occupants. Et l'on y apprend aussi à mieux connaitre un passé qui est celui de nos grands-parents et qu'ils n'ont pas toujours eu le temps ou l'envie de nous raconter. Encore bravo pour votre initiative !

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