ECRIT A LA MAIN

TGV 9 heures du matin. Le train regorge de jeunes cadres dynamiques, ou qui le seront dans une heure ou deux quand ils auront abordé les rives ensorcelantes de l'eldorado économique. Jeunes ? Voire, Alter vous dirait que j'ai une certaine tendanceà la méridionalisation du propos... Tempes grisonnantes,  fronts dégarnis et crinières blanches abondent aussi dans ce microcosme qui semble ignorer la parité. Mais où sont les femmes ? En train de pouponner ou pas jugées dignes d'être cadres ? Désolant, mais mon TGV fait mentir les statistiques qui prétendent que la gent féminine se taille une part de plus en plus remarquable dans le landerneau du travail. Les femmes devraient cesser de s'auto-censurer disent les études éclairées.

En tout cas, jeunes, ils le sont mes deux apprentis "costard-cravate" pour lui, "tailleur-pantalon" noir très strict pour elle. Pas plus de 50 ans à eux deux. Ils attendent en devisant leur formule "petit déjeuner", pain beurre et confiture, une boisson chaude et une viennoiserie. Avec un jus de fruit en sus ! De quoi tenir toute la journée à courir les couloirs du métro et du RER. Je raille, je raille, mais c'est bien ce qui m'attend et je suis, moi aussi, venue prendre des forces avant le grand rush. Ils devisent donc, pendant que la jeune barmaid prépare leurs plateaux en carton et ils parlent politique. "Ils", non, en fait c'est monsieur qui pérore, et elle approuve, se contentant d'émailler le discours de rares exclamations approbatrices ou surprises.

- Moi, en revanche, je préfère qu'on ait Sarko plutôt de Berlusconi. (NLDR oups, il est en forme lui, de bon matin !)

- ... ?

- Je ne sais pas comment "ils" (NLDR ??) le supportent celui-là... je comprends pas qu'"on" (NDLR ????) lui ait pas encore fait la peau...

- ... !

- En tout cas, Sarko, il a 7 maîtresses (NLDR... là je risque un oeil prudent... boh, il a l'air normal, mon jeune cadre dynamique, l'oeil un peu terne, mais pas une allure de détraqué sexuel)

Sa sémillante compagne réagit enfin :

" Comment tu sais ça, toi ?"

" C'est un pote à moi, qui est copain avec... (là, je vous passe la liste, fort longue...) ... et dont le père tient un hôtel"

Ah, nous y voilà, alors évidemment (suite) le papa, tenancier du lieu de luxure de notre président, a raconté à ... qui a dit à ... bref, qui en a informé le fringant futur manager ! Qui conclut :

" La pauvre Carla, elle ne passe plus sous les portes car non seulement elle est grande, mais elle a de ces cornes. Bon, elle aussi, elle le fait cocu, mais c'est rien par rapport à lui".

Et les voilà partis, cramponnés vaille que vaille à leur grand crème et à leur jus d'orange, mis à mal par les chaos du train. J'en reste bouche bée : mes proches savent combien l'expression convient à mon ébétude : air ahuri, oeil rond, machoire pendante au point qu'il me faut m'emparer de mon maxilaire inférieur pour le remettre en place ! En proie à une vague de pensées contradictoires et confuses, banales je vous l'avoue. De "on ne prête qu'aux riches" en passant par "quelle santé cet homme-là" ou "comment trouve-t-il le temps", je reconnais que cela ne vole pas haut !

J'évite les idées égrillardes (il s'agit du premier magistrat de France, tout de même) et je zappe sur les problèmes techniques "mais 7, voyons, euh 8 avec Carla, mais comme organise-t-il son planning ?"... Avant de réaliser que 7, c'est un chiffre mythique, symbolique, porte bonheur ou malheur selon les cas, biblique, premier et escatologique, bref un chiffre de légende. Avouez qu'il est bon tout de même de sortir de temps à autre de mes falaises michelaises et de croiser la "vraie vie".

De retour à ma place, forte de ces infos d'importance, je me précipite sur ma dernière petite folie consumériste : un joli petit stylo Parker dans une trousse ornée d'une courte phrase de Ben "Mes mots à moi". Ah ! Ben !! Le summum du cynisme artistique : il racontait benoitement l'autre matin sur Culture que, jeune peintre, il cherchait sa voie (commerciale) quand il rencontra Klein. Ce dernier lui déclara "Si tu veux te faire un nom, il faut qu'on te reconnaisse, et que tu trouves une spécialité". Le maitre ayant déjà squatté à son profit le thème du monochrome, Ben fut bien embarassé. Il s'essaya un temps aux girafes (oui, je vous assure, c'est ce qu'il a affirmé sans rire) mais devant le manque de succès de son entreprise, il finit par jeter l'éponge et tenta l'écriture. Et les aphorismes en blanc sur fond noir, pas de doute, ça paye ! La preuve, "Mes mots à moi", petit stylo banal payé 15 euros pour le plaisir de me voir offrir cette trousse. Alors que je ne me sers quasiment plus de papier pour écrire. Tout sur ordi.... Bonjour les cervicales !

Enfin, ce billet-là, "exception qui confirme la règle", est rédigé dans la plus pure tradition plumitive, dans le TGV Angoulême Paris, un clair matin d'automne. Le sujet méritait amplement ces égards n'est-ce pas ? Qu'on se le dise... il reste des valeurs refuge, les mots griffonnés et légers, et il est bon de s'y vautrer tout à loisir quand le pays fout l'camp ! Car les jeunes cadres dynamiques ne sont plus ce qu'ils étaient, il leur faut du merveilleux maintenant. Et si Sarko en "vaillant petit tailleur", fait broder sur sa ceinture comme le héros de ce conte, "7 d'un coup", que nous réserve l'avenir, mon bon monsieur ??

PS Siudégonde, tu te débrouilles toute seule cette fois-ci pour comprendre le pourquoi du comment de mes photos, surtout la dernière, car il est hors de question que je t'explique en clair pourquoi j'ai choisi ce fast-food pour conclure mon article, on se retrouve convoqué au commissariat pour moins que cela dans notre beau pays !! Les renseignements généraux veillent... Mais avouez que cette harmonie d'orange est réussie ! C'est Alter qui, en toute innocence, il n'a même pas lu mon article, qui me l'a indiquée...