LE MYSTERE DES NUITS

Mon parfum ? En ce moment, car la mode n'est plus aux fragrances immuables qui signaient une femme pour l'éternité dans le souvenir des hommes qui l'avaient aimée ou des enfants qui gardaient à fleur de nez pour la vie entière "l'odeur unique de maman", en ce moment donc c'est Chêne ou Fille en Aiguilles de Serge Lutens. Même mes filles ne le savent plus, car on se livre de plus en plus à l'irrésistible envie de tester d'autres effluves, tentées que nous sommes par les multiples jus qui sortent chaque saison. Le parfum, c'est mon péché mignon, je l'avoue, je ne pratique ni le maquillage ni les soins intensifs destinés à combattre des ans l'irréparable outrage ! Je n'y crois guère et ça me soule. Les interventions de mon coiffeur, vous l'avez peut-être remarqué, sont réduites à leur plus simple expression, une coupe au carré tous les mois, et une exaspérante manie d'arborer ce cercle BCBG complètement démodé, qui a juste le mérite d'éviter à mes baguettes de tambour de me tomber dans les yeux. Mais le parfum, là, je m'éclate et j'ai des goûts dispendieux et fantasques.

Pourquoi est-ce donc que je vous raconte cela ? Petite réaction au billet d'Evelyne qui nous raconte comment elle se régale d'un catalogue de mode, photographié à Venise, ça fait toujours rêver, chastement emmitouflée dans son pyjama de flanelle. Pas de doute, cela m'a immédiatement évoqué la collection de pyjamas en pilou, sagement entassés dans mon armoire, souvenirs des cadeaux passés d'une belle-mère attentive à la vertu de son fils. La tentation, c'était d'en faire un article, sur le thème d'une de ces questions indiscrètes que j'aime à vous poser, et auxquelles vous répondez toujours avec humour et appétit ! Mais voilà, je n'ose pas, ce serait indécent, voire provocant, et au risque de décevoir Aloïs, je reste sage. Même si je vous ai donné ma réponse, je ne lance pas d'enquête sur le sujet. Tant pis pour mon amour des statistiques.

Donc, je passe directement à l'étape suivante, ce moment étonnant de l'endormissement, chute lente et incertaine vers un ailleurs qui se prépare imprévisible, sorte de départ vers un autre monde dont on ne sait encore rien. Instant fragile dont un bruit ou un mouvement intempestifs peuvent rompre le délicieux engourdissement, vous projetant brusquement, l'oeil grand ouvert et parfois le coeur battant, dans les bras inhospitaliers de l'insomnie. Il y a quelque chose d'attirant dans ce passage insensible vers le monde des songes, mais aussi parfois de très angoissant : on se sent glisser vers un autre-part déconcertant, on a l'irrésistible impression de partir, de commencer autre chose, une vie différente, étonnante, fascinante peut-être. Pourtant on sait, pour s'être souvent réveillé nauséeux et écoeuré par l'aburdité infantile ou puérile des rêves de la nuit, que le monde des songes ne révèle pas de nous que des aspects héroïques. On y revit ses peurs et ses angoisses, on y subit souvent d'inutiles échecs, on s'y colletine fréquemment contre de féroces assauts dont on sort rarement victorieux. Mais cet instant éphémère où l'on va sombrer dans le sommeil, le corps alourdi et l'esprit libéré des inquiétudes immédiates, reste comme une promesse, un espoir de bien-être précieux. Et si l'on est bien concentré sur cette attente, fermement décidé à profiter au maximum des fulgurances d'un esprit qui s'évade, on peut glisser très vite dans le sommeil. Avec ou sans pyjama de flanelle !