mardi 1 mars 2011

LE PARTI PRIS DE LES OUVRIR

Et c'est parti pour Ponge... leçons de choses et fables, ses écrits nous projettent dans un grenier poussiéreux où nous redécouvrons des objets oubliés, avec lesquels il joue pour nous en offrir une description poétique et humoristique. Un rien provocateur, il travaille sur le sens, sur les sonorités ou simplement sur la forme des choses. Je l'ai suivi dans ces errances lexicales et vous propose quelques exercices de mémoire sur un choix de textes que j'égrènerai pour vous au fil des jours.
Un texte de Ponge, quelques souvenirs personnels liés à l'OBJEU évoqué, votre participation par commentaire si vous le désirez, puis une escapade picturale et, in fine, pour les sérieux, un lien vers un commentaire "littéraire" du texte ! Voilà pour les jours qui viennent...

A la bordelaise, avec l'inévitable crépinette... et surtout sans citron, ni vinaigre... comme au bord de la mer !

L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942


Ponge, c'est évident, ne savait pas ouvrir les huîtres. D'abord, il prenait un torchon... moi aussi je prends un torchon, et je considère pourtant que je sais ouvrir les huîtres. Mais Alter vous dira que c'est indigne d'un écailler patenté. Chaque fois que je le vois, de ses mains "précieuses" tant d'un point de vue professionnel que pour manier son clavier, jouer de son petit couteau effilé qui dérape parfois dans un bruit sec, je soupire et vais m'occuper l'esprit ailleurs.
Ensuite, si vous lisez dans les détails la description de l'entaille pratiquée par l'écrivain dans la coquille, vous reconnaîtrez aisément un massacreur d'huîtres. Quant à sa peinture du mollusque, elle est fort ambiguë et sa description n'est pas de nature à donner envie de manger ce bivalve, gobé vivant, à ceux qu'il rebute. Au contraire, on y trouve tous les détails qui découragent les tièdes : la consistance, l'odeur, et même cette couleur, accablante pour ceux qui ne sont pas tombés dedans tous petits.
Car il y a vraiment deux types de consommateurs d'huîtres (en excluant bien sûr ceux qui ne veulent ni ne peuvent en entendre parler, tant leur dégoût est fort à l'idée de manger une bestiole vivante) : il y a ceux qui essaient, parce que c'est un mets réputé, voire fort prisé, et porté aux nues par les schémas gastronomiques classiques qui en font un aliment de fête, et même de luxe. Ils surmontent bravement leur inappétence, les déchiquettent pour les détacher de la coquille, les coupent avant de les mâcher longuement,  ou préfèrent les avaler le plus vite possible pour oublier cette viscosité que Ponge souligne avec efficacité. Ils sont toujours prêts à vous céder généreusement la fin de leur douzaine, "j'en raffole, disent-ils, mais je préfère garder un peu d'appétit pour la suite".
Comme si la consommation d'huîtres avait jamais coupé l'appétit de quiconque. Au contraire, ça l'ouvre, c'est apéritif cette petite chose verte et nacrée qu'on avale comme un morceau de mer, à la fois frustre et noble. Car il y a aussi les amateurs, au sens premier du mot, ils aiment ! Ils sont capables d'en engloutir des douzaines, ils recherchent les plus grasses, les plus grosses. Ils n'hésitent pas à en ingurgiter au petit déjeuner, vous affirmant sans rire qu'il n'y a rien de tel pour vous remettre l'estomac d'aplomb, les lendemains d'agapes un peu trop arrosées. Je le sais, j'en suis... et le plus drôle c'est qu'Alter, enfant du centre de notre beau pays et qui n'en avait guère mangé avant de me rencontrer, s'est mis, avec le zèle des convertis, à les aimer plus que moi ! Sans doute son souci d'être aussi "ego" qu'"alter". Toujours est-il que, lorsqu'il m'a connue, son premier souci a été d'apprendre de mon père comment on les ouvrait. J'assistais bien sûr à la leçon, ce qui me permit, à mon tour, de l'enseigner à maman le jour où, devenue veuve, elle s'installa en pleurant devant sa douzaine d'huîtres gisant sur l'évier, déclarant entre deux hoquets qu'il n'était pas question de se laisser abattre par ces coquilles barbares.

Les photos sont un peu floues car l'ouvreur m'a enjoint de ne pas le prendre en pleine action, j'ai donc joué pour vous la paparazza !

Car autrefois, c'était un travail d'homme que d'ouvrir les huîtres. Je sais que certaines ont désormais pris le couteau (surtout pas à huître, j'insiste, un petit couteau de cuisine ébréché par les ans fait, seul, l'affaire), voire le torchon (rassurez moi, ce n'est tout de même pas un crime !), et en avant la dégustation.
A vous de me dire si, toute féministe que vous soyez, vous savez faire ce petit geste du poignet qui permet, sans l'aide de quiconque, d'avoir accès aux merveilles océanes que cache le galet de Ponge.


Et pour finir, le petit jeu du jour : l'huître a toujours inspiré les peintres, qui aiment à en faire figurer sur leurs natures mortes. Dans les montages ci-dessus, vous avez un vrai musée-cuisine, mais une seule toile est de Chardin ? Laquelle à votre avis ?


* Si un commentaire du texte de Ponge vous intéresse, n'hésitez pas à cliquer, c'est scolaire mais passionnant ! A vous faire regretter le temps du bac français !

15 commentaires:

  1. Encore un billet passionnant.
    Ici c'est une affaire de femmes ,car côté nettoyage je préfère prévenir que guérir, j'ouvre les huîtres avec un couteau de cuisine ou une lancette et surtout suite à un de tes billets avec un gant en cotte de mailles

    http://www.cottedemailles.fr/foin.php

    Les urgences à huit heures du soir ce n'est pas ma tasse de thé.

    Je pense que je vais investir aussi pour la main droite car je me blesse régulièrement la deuxième phalange de l'index droit avec la coquille!!!

    Le tableau je pense que c'est dans ta première mosaïque la photos en bas à droite,dite Le Buffet.

    Ah les vacances t'inspirent!!!

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  2. Chardin a du chien !
    Pour mon malheur j'ai toujours eu un cuisinier à disposition pour ouvrir les huîtres... et maintenant je dois m'y mettre... a grand renfort de torchon...

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  3. je dirais celle où l'on voit un chien ? ...c'est mon Chardin secret

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  4. Pour le tableau de Chardin, Aloïs a trouvé ... et quant aux huitres, je suis résolument du côté de celles qui ne veulent pas en entendre parler.

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  5. Les huitres... j'aime pas, beurk! Pardon... je voulais dire sorry!

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  6. Bonjour, Michelaise.
    Premièrement, je ne joue plus puisque je perds tout le temps.
    Deuxièmement, il y a plus pongiste que Ponge : il y a toi.
    Troisièmement, il me faut une seconde pour ouvrir une huitre et un quart de seconde pour la manger.
    Quatrièmement, je ne peux as être féministe puisque je suis un homme...
    Voilà.
    Et merci beaucoup.
    Je t'embrasse.

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  7. Je ne sais pas ouvrir les huîtres: Alain y parvenant avec une remarquable habileté, je lui laisse volontiers ce soin. Nos préférées? Les "petites grises" avec une chair bordée de noir. Je n'ai qu'une réserve: les huîtres en lait, que je trouve écoeurantes.

    Le tableau de Chardin est "Le buffet", en bas à droite de la première série de tableaux.
    Bonne journée!
    Anne

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  8. Et oui, Aloïs vit dans un monde d'hommes, donc, c'est normal , c'est elle qui ouvres huîtres ! J'avoue que la cote de maille en question me convient moins que le torchon.
    Robert, tu vois, on est au moins trois !
    Siu, normal, en Italie les huitres ne sont pas bonnes. Na !!! Bon, vous avez assez de merveilles, de délices et de beautés pour qu'on ait, au moins, les huitres ! Et comme c'est une question d'habitude, tu ne peux pas aimer, c'est spécial.
    herbert je suis confuse, merci pour ce beau compliment. Mais non, tu ne perds pas tout le temps !!! Tu n'as besoin d'être féministe, tu es tellement attentionné !!
    Anne, vous habitez "le centre" donc, et c'est normal, les huîtres grasses n'arrivent pas au mieux de leur forme chez vous. D'où cet écoeurement !

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  9. Euh pardon, j'ai oublié de féliciter les perspicaces qui ont identifié le Buffet avec le petit chien !! Certes le plat d'huître n'est pas le thème du tableau mais je ne pouvais pas vous remettre le chat avec la raie tout de même, cela aurait été trop facile. Par contre, il est rare que les chiens aiment les huîtres, alors on se demande bien ce qui fait lever la truffe à celui là, en remuant lea queue de joie !! ce que l'on prend à première vue pour une miche de pain, en bas du compotier croulant de fruits, ne serait pas plutôt un jambon ???

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  10. Il y a un restaurant d'huîtres près de l'entrée du métro mais je dois t'avouer que ça ne me tente guère !

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  11. Sais pas les ouvrir. 3 me suffisent. 4 pour un banquet, 6 le Jour de l'An. Est-ce vrai qu'il faut les mâcher afin de les tuer ? (vivantes elles pourrait libérer quelque toxine in the stomaco ? ).

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  12. Ah sapristi que ça fait du bien, heureusement qu'il y a plein de gens qui n'aiment pas les huîtres, ici on se bat toujours pour en avoir plus que les autres !! Roberto allons-y pour les toxines, j'avoue n'avoir jamais fait que mieux croquer une huître, mâcher quand même pas !! C'est vite avalé malheureusement...
    Je t'avoue Evelune que, près du métro, cela ne me tente pas trop non plus ! Mais c'est l'idée que je me fais du métro et toi des huîtres !! Voili voilou !!

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  13. Et un classement des meilleurs producteurs ou des bonnes adresses secrètes ? Je connaissais Gillardeau, un séjour à Oléron m'a fait découvrir David Hervé le summum il y a aussi Papin.... allez aux adresses !!!!
    Sur le même sujet faut il vider l'eau à l'ouverture ?
    à mon avis non....

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  14. Trop tentant pour une franco-castillanne qui ne voit les huîtres que lorsqu' elle est en France.

    Quant au tableau, attends un peu, l' exposition Chardin m ' attend à Madrid à mon retour.
    A bientôt

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  15. Alba, tu as bien de la chance, j'aimerais revoir cette expo Chardin, tellement bien faite !
    Robert, l'eau se vide quand on les ouvre, mais cela se re-remplit très vite et ensuite on peut soit la boire, soit la laisser dans l'assiette. Personnellement je la vide avant de préparer mon huître, mais là encore il s'en reforme très vite et quand on gobe l'huïtre, il y a toujours un peu d'eau.
    Petit détail pratique, on pince toujours le bord de la chair avant de décoller l'huitre de sa coquille pour la manger. Petit réflexe qui permet de vérifier qu'elle est bien vivante. Donc fraiche.
    Côté producteur, ici on a chacun "le nôtre", persuadés que nous sommes que c'est le meilleur ! "Le mien" s'appelle "Gaec huître impériale" et il fait... des gambas !! Il ne produit des huîtres que pour les fêtes. L'autre, car il faut bien en manger à d'autres moments, est sur le marché de ROyan, et c'est la GAEC Demonsay ! Tu vois rien de prestigieux, car les noms que tu cites sont "pour l'exportation" vers les villes !!!

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