La scène est, a priori peu courante dans l'iconographie puisqu'il s'agit du moment où le Christ prend congé de sa mère. Celle-ci s'évanouit dans les bras de Marie Madeleine et de Jean, pendant que Marie Salomé assiste à la scène, un peu en arrière, les mains jointes d'appréhension. Sur la droite, la commanditaire du tableau, Elisabetta Rota, est agenouillée, plongée dans un livre de prières, un rosaire à la ceinture.
Quelques détails délicats : le livre aux riches fermoirs ouvragés, ouvert entre les mains baguées d'Elisabetta.
Au fond de la nef droite du bâtiment dans lequel se déroule la scène s'ouvre une chambre dont on distingue nettement le lit à baldaquin, recouvert d'étoffe blanche.
En bas du tableau, une branche de cerisier et une orange accompagnent le petit cartel avec la signature du peintre.
Aux pieds de l'orante, blotti dans les plis de son ample robe, un chien coquin dresse l'oreille
Largement ouvert sur le fond, on aperçoit à travers une colonnade classique un jardin aux mille détails savoureux, allusion à l'"hortus clausus", signe de la virginité de Marie.
La lourde coiffe d'Elisabetta souligne avec rigueur son profil de médaille.
Le double portrait de Giovanni Agostino et de Nicolo delle Torre, un célèbre médecin bergamasque et son fils, est prenant de réalisme. L'encrier tâché d'encre, les plumes en désordre, le livre des prescriptions, les recettes et volumes de consultation indiquent que nous sommes dans le bureau de ces praticiens. Sur le linge que tient le praticien, une grosse mouche noire. Elle rappelle sans doute que nous sommes corruptibles et que tout l'art du médecin ne peut éloigner notre finitude. S'y ajoute une dimension affective d'autant plus intéressante que Giovanni se compromit fortement pour protéger son fils, ouvertement favorable à Venise, le sauvant de l'exil quand Bergame passa sous domination française. Ici c'est le fils qui semble protéger son père qu'il domine, en retrait pourtant, de sa silhouette un peu massive.
C'est en examinant de près l'emblème de la bague que cette opulente beauté porte à l'annulaire de la main gauche, qu'un premier critique d'art a établi qu'on y lisait les armes de la famille Brembati. Le rébus situé en haut à gauche de la toile a ensuite permis de trouver le prénom de cette femme en l'identifiant avec certitude. Lotto ne l'a pas idéalisée : son double menton, ses mains grassouillettes, son nez aquilin sont décrits sans concession mais l'air satisfait de la dame donne à penser qu'elle était satisfaite de son sort et fière de son rang. Que la peinture décrit avec force détails : la coiffe élaborée, toute enrubannée et soulignée d'un filet de perles, le collier à muliples rangs de perles fines, l'habit fastueux marquent la position sociale de la signora Brembati. La zibeline entière qui pend sous sa main gauche, symbole de beauté, vient à point compenser le manque de grâce du modèle !!
Enfin elle exibe un pendentif voyant, pendu au bout d'une chaine d'or : il s'agit d'un joyau à usage de cure-dents, très à la mode dans les années 1520... tant et si bien que les belles en portaient de somptueux et qu'un évêque crut bon en 1559 d'en interdire définitvement l'usage !
Mais à propos, avez-vous compris le rébus et trouvé le prénom de la belle ?? (n'hésitez pas à cliquer sur le premier montage pour "lire" le rébus, en haut à gauche)
Mais à propos, avez-vous compris le rébus et trouvé le prénom de la belle ?? (n'hésitez pas à cliquer sur le premier montage pour "lire" le rébus, en haut à gauche)
La Chasteté mettant en fuite Cupidon et Vénus... tout un programme n'est-ce pas ? Méchante la Chasteté : avez-vous remarqué son air féroce, la puissance de son geste... et en plus, elle a cassé l'arc de ce malheureux Cupidon ! Sur son sein, campée sur son corsage pudiquement fermé, une délicieuse petite hermine symbolise la pureté de cette femme en furie.
Pauvre petit amour, il pleure à chaudes larmes et a les yeux tous rouges devant tant de fureur. Des larmes transparentes coulent sur sa joue rebondie. Vénus l'attire doucement à lui, mais il jette un regard désespéré vers cette virago, carapaçonnée dans sa vertu.
Vénus est splendide : altière, elle s'éloigne avec un souverain mépris pour tant d'agitation. Son corps d'albâtre barre le tableau comme un vivant reproche, contrepoint éblouissant au corps massif et corseté de son ennemie. Elle accroche toute la lumière et l'étoile qui brille dans ses cheveux est comme un point d'orgue à sa beauté. Elle s'éloigne sans hâte, en protégeant l'enfant désespéré... "même pas peur" !! Elle porte nonchalamment sur l'épaule ses objets de toilette : un flacon sphérique, une fiole allongée et quelques pots à onguent.
Mic hai superato te stessa, et Lorenzo Lotto lui aussi d'ailleurs, justement dans ces détails si particuliers, souvent très délicats et toujours très très intéressants pour ce qu'ils racontent.
RépondreSupprimerQuant à la Signora Brembati... je n'ai pas résisté et suis allée chercher, et bien, c'est génial!
Siu heureusement que ton compliment est en italien, cela m'évite d'être pivoine de confusion !Tu as raison, c'est surtout Lotto qui s'est surpassé ! Chouette n'est-ce pas le rébus !
RépondreSupprimerTout d'abord, j'aime beaucoup Lorenzo Lotto, c'est déjà ça! Ensuite, l'analyse que vous faites de ses tableaux est à la fois savante, élégante, très finement documentée et d'une certaine façon savoureuse car on " goûte" le plaisir que vous avez pris à les regarder, à les décortiquer..et forcément , on est amené à partager votre laisir.Ah, le rebus.. très fin...décidément, ce billet est passionnant de bout en bout...
RépondreSupprimerDanielle
Toujours passionnant...Encore , encore !
RépondreSupprimerMerci Danielle, j'essaie juste, en effet de vous raconter ce que j'ai ressenti devant ces toiles. C'est ainsi, il me semble, qu'on apprécie vraiment un tableau, avec un zeste de renseignements "techniques" car sinon, de nombreux détails nous semblent simplement pittoresques, alors que, pour la peinture ancienne, ils ont un sens. Et que souvent, ce sens a été la raison qui a permis qu'un commanditaire les paie ! Chose hyper importante car cela permettait aux artistes de vire, et finalement, d'exercer leur art. Dont nous profitons !!
RépondreSupprimerMerci Catherine, oui Lotto et les autres sont passionnants !
on se régale de ces détails et des anecdotes...pas de hasard chez le peintre tout a une signification...
RépondreSupprimerJe propose au vu de la lune Lucia ou Lucina.
merci pour ces billets
josette
Encore un billet passionnant.
RépondreSupprimerJ'aime ta façon de "décortiquer" un tableau,ton oeil et te plume
Ta retraite est assurée!
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerCe sont des petites nouvelles illustrées d'une si belle façon...
Et Ravel y a aussi sa place.
Merci beaucoup.
Je t'embrasse.
Une phrase a dû sauter: des mots et des images reliés par un fil d'or.
RépondreSupprimerJe viens de passer un merveilleux moment à lire ce billet, merci. Quand je suis devant un tableau, je regarde l'ensemble et puis je pars à la découverte des détails, sans toujours comprendre le "pourquoi", là, je suis sous le charme. Tu nous a emmené dans un beau voyage. Douce journée. brigitte
RépondreSupprimerUne très belle analyse comme tu sais nous les raconter !
RépondreSupprimerTu me donnes envie de retourner à Venise (encore une bonne raison!) pour mieux regarder les tableaux de Lotto que j'avais vus all'Academia !