mercredi 15 juin 2011

ANNONCIATIONS

Avant d’aller voir l’œuvre invitée ce trimestre au Musée des beaux arts de Bordeaux, une Annonciation du Greco en provenance du musée de Bilbao, nous avons consacré quelques instants à une œuvre mineure du point du vue artistique mais valant par son orthodoxie iconographique et faisant ainsi office d’introduction à l’art du Greco. Il s’agit d’une Annonciation d’un anonyme flamand de la moitié du XVème siècle.

La scène se déroule dans un intérieur où sont visibles un lit clos et une banquette, recouverte de coussins et placée devant une fenêtre. A droite, au premier plan, se tient la Vierge agenouillée devant un meuble bas sur lequel est posé le Livre ouvert. Elle est richement vêtue d’une robe rouge et d’un grand manteau vert dont les plis retombent sur le sol.
A gauche, l’archange Gabriel, debout, est vêtu d’une longue robe blanche et d’un manteau damassé orné d’un riche fermoir. Ses ailes sont immenses et derrière lui se tient une cohorte d’anges.
Au centre du tableau, en haut, on aperçoit la Colombe du St Esprit tandis qu’un vase contenant une branche de lys est posé sur le sol.
Sous la Colombe, une fenêtre bilobée laisse apercevoir une cour plantée d’arbres dans laquelle se tiennent deux femmes debout se faisant face ; cette scène est celle de la Visitation, c’est-à-dire du moment où la Vierge enceinte du Christ rencontre sa cousine Elizabeth, elle-même enceinte de Jean- Baptiste et où, selon les Ecritures, «son enfant tressaillit de joie dans son sein ». Cet épisode suit l’Annonciation et comme souvent les deux scènes sont représentées dans le même tableau.

Le tableau est très construit ; une grande ligne verticale formée de haut en bas par la Colombe, l’axe de la fenêtre bilobée et la fleur de lys coupe le tableau en deux parties égales avec l’ange d’un côté et la Vierge de l’autre.
Par ailleurs des lignes horizontales, l’appui de la fenêtre, la banquette, les lignes du carrelage sur le sol stabilisent l’espace, tandis que quelques obliques accentuent la perspective assez relevée de la composition. L’ange regarde Marie, à laquelle il délivre le message mais celle-ci a le regard posé sur le lys central. Son geste est celui de l’acceptation : yeux baissés et main gauche posée sur son cœur.

La lumière, qui provient d’une source extérieure au tableau, est répartie de façon égale sur la scène. D’autres sources lumineuses se trouvent à l’intérieur du tableau, comme les halos autour de la Colombe et de l’auréole de la Vierge, l’arc-en-ciel qui couronne la cohorte d’anges ou la lumière venant de la fenêtre.
Le peintre emploie essentiellement des tons chauds, orangés, bruns, rouges de la banquette, de la robe de la Vierge et du tissu recouvrant le prie-dieu. Il rend avec une très grande minutie les plis des tentures du ciel de lit et du linge couvrant le prie-dieu et insiste, par un dessin très fouillé, sur les broderies des vêtements et les détails des éléments sculptés du lit.
L’ Annonciation de Bilbao, de dimension moyenne, est une réplique réduite de l’oeuvre du Prado (3,16 x 1,74 m), commandée par Doña Maria de Cordoba y Aragón (1539-1593), fille de Don Álvaro de Córdoba, grand écuyer de Philippe II. Après avis de son conseiller spirituel, Doña Maria institua un couvent et un séminaire des Augustins chaussés dans Madrid, capitale du royaume depuis 1561. Placé sous le vocable de Notre-Dame-de-L’Incarnation, le nouvel établissement religieux, devait être aussi sa chapelle funéraire et il prit place dans une maison située à proximité de l’Alcazar royal. C’est au Greco que fut confiée la décoration, pour un prix de 5 674 ducats qui montre l’importance de sa réputation. Le retable a été démantelé mais comportait semble-t-il une Annonciation, aujourd’hui au Prado, une adoration des bergers qui se trouve à Budapest, un Baptême du Christ (Madrid, Prado), et, au niveau supérieur, La Crucifixion (Prado) encadrée par La Résurrection (Prado) et La Pentecôte (Prado).

D’une facture plus sommaire que l’original, la réplique de Bilbao est l’une des dix-sept versions du thème de l’annonciation, que Greco peignit depuis 1567 et dont les plus célèbres sont conservées à Modène (vers 1567, Galerie d’Este) et à Madrid (vers 1570, musée du Prado ; vers 1576, musée Thyssen-Bornemisza).

L’étroitesse du format a obligé le peintre à représenter la Vierge debout, tournant le dos à son pupitre et regardant frontalement l’archange Gabriel. Entre les deux personnages, figurent le buisson ardent, fréquent sur les icônes russes, et une guirlande de têtes d’angelots qui forme comme un chemin lumineux vers la colombe de l’esprit saint, symbole de l’annonciation, qui explose au centre géographique de la toile. Au niveau supérieur, un concert d’anges s’active sur des mélodies presque perceptibles, violoncelle, épinette et harpes instaurant dans le ciel de la toile des mélodies forcément séraphiques.

Cette Annonciation peinte à peine 50 ans après la flamande, montre une veine bien différente, un mouvement plein d’allant et de lumière, et une totale liberté d’approche qui fait tout le talent du Greco. Son style, élaboré à partir de sa formation de peintre d’icônes (1563-1567) peu soucieux de naturalisme et de perspective linéaire, de son passage dans l’atelier de Titien (1568-1570) à Venise et de son séjour à Rome (1570-1576) nous offre une peinture sans norme classique et très inventive. Certes, Greco se conforma aux dogmes de la Contre-Réforme espagnole et inventa l’image d’une foi catholique dramatique et vivante qui convenait à la dévotion de ses contemporains. Il y exprime aussi bien la lettre que l’esprit des directives du commanditaire, et ne néglige aucune des contraintes du programme doctrinal que j’ai présenté avec la peinture flamande. Mais, à l’évidence, il s’approprie le sujet et le réinvente, donnant une intensité accrue à la scène qui se charge de sens. Et qui nous rend son art si présent. Intrigant parfois mais tellement humain.

1 commentaire:

  1. j'aime "les annonciations" sur une trame imposé les peintres se dévoilent. Gréco est le plus grand (pour moi ! )
    Bonne journée et merci pour toutes les pages toujours passionnantes du blog.
    Josette

    RépondreSupprimer

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