Je vous ai déjà souvent parlé du concours de quatuor à cordes de Bordeaux : ici, ici, ici, ici aussi et encore ici !! Et cette année, année "sans", nous étions encore cour Mably pour une masterclass et quelques concerts. Nous avions très envie d'assister au concours proprement dit qui se déroulait cette année à Reggio nell'Emilia, et j'avais réservé, au cas où nous aurions le temps, des billets pour Bologne auprès d'une fameuse compagnie lowcost qui permet de faire des folies pour 9.99€ le billet !! Et nous avons pu y aller...
Enfin pour nous, pas vraiment 19 car n'étant pas très matinaux, nous avons "sauté" les épreuves du début de matinée ! Faut dire qu'on devait être à pied d'oeuvre dès 9h et on voulait faire un petit tour dans Reggio tout de même !! En plus de ce mouvement imposé, chaque quatuor interprétait une oeuvre entière choisie parmi une liste assez impressionnante jointe au règlement du concours. Le même système se reproduit à chaque étape, et les oeuvres entendues sont finalement assez variées, même si le quatuor en fa de Ravel ou le quatuor en do mineur opus 51 de Brahms reviennent avec une belle régularité. Le choix des morceaux a, sans aucun doute, une grande importance dans la réussite des épreuves. Il faut doser savamment son effort et sa progression, se mettre en valeur tout en évitant les chausse-trappes des oeuvres trop consacrées, trop jouées par de glorieux prédécesseurs. Souvent présents dans le jury : ainsi à Reggio, le premier violon du mythique quatuor Alban Berg, Günter Pichler, est président, et près de lui officie avec discrétion et une affabilité jamais prise en défaut, le premier violon du moins légendaire quatuor de Tokyo, Kazuhide Isomura. Des membres de quatuors lauréats les années précédentes, un compositeur dont une pièce commandée pour l'occasion sera jouée lors de la 3ème épreuve, complètent cet aréopage. Auquel s'ajoute un critique et musicologue. M'étant installée derrière lui, j'avoue avoir été vraiment indisposée par son agitation un peu pédante. Alter prétendait que ce devait être un enfant effervescent incapable de se tenir tranquille quand il était petit, et que ses turbulences n'avaient rien de méchant. Mais ses manifestations ne pouvaient qu'être déstabilisantes pour les concurrents : il battait la mesure, parlait avec ses voisins, tournait ses partitions avec emphase, brandissait son crayon, protestait bruyamment, bref un vrai vibrion !! Que j'ai soupçonné de moins de science qu'il ne se plaisait à en étaler !
Donc, de 9h du matin à 8h du soir, on avale, avec une attention parfois aiguisée, parfois l'esprit en vadrouille quand l'interprétation est moins bonne, Janacek, Haydn, Schumann, Debussy, Ravel, Schubert, Brahms... j'en passe, et des plus difficiles : Schnittke, Dutilleux, Bartok ou Zemlinsky, ce n'est pas toujours facile !!! Mais une chose est certaine, quand l'interprétation est bonne, on est susceptible de tout aimer, ou presque : la meilleure aune pour juger du talent d'un quatuor me semble la dose d'ennui qu'on éprouve lors de son audition. On peut se réjouir de suivre sans défaillance un Ligeti particulièrement ingrat, et bailler à l'écoute d'un Mozart massacré. Certes, ce n'est pas sur cela que sont sélectionnés les interprètes, le jury suit les partitions, note, s'attache à un tiré ou à un poussé mal placés, guette les décalages et relève sans aucun doute la moindre défaillance technique. Mais Reggio a mis en place cette année un prix du public qui permettra aux auditeurs d'exprimer leur ressenti, pas technique ni musicologique, simplement de spectateurs. Or, sans les musiciens certes la musique disparaît, mais sans les mélomanes, elle ne ferait pas long feu non plus !!
Pour preuve, en 2005 et en 2008, lors des deux précédents concours un 4ème prix a été attribué par une spectatrice belge, une certaine Irène Steels-Wilsing "en souvenir d'une semaine insurpassable"... prix de consolation et de reconnaissance offert par une simple "amatrice" !!! Idée remarquable qui a sans doute été remplacée par ce prix du public !
Au bout d'un moment, c'est comme quand on choisit un parfum et qu'on ne sait plus où on en est, tant les fragrances se mélangent dans votre nez !! On finit par avoir les oreilles en bouillie et l'esprit qui dérape ! Avec, pourtant, et de façon étonnante, toujours le même enthousiasme. D'autant que, cette année, le niveau des concurrents est d'une qualité surprenante, et on a du mal à admettre que certains vont être éliminés... mais je vous parlerai de mes classements dans un autre billet, il ne faut pas aller plus vite que le jury ! Impénitente, j'ai écrit mon billet en continuant à suivre le concours, dont les concerts sont retransmis en direct, au jour le jour (désolée, il faut subir 14 secondes d'une publicité toniturante et débile avant d'avoir le Teatro Valle)... si vous avez envie d'en déguster quelques instants, cela dure jusqu'à dimanche ! Moins de concerts au fur et à mesure que les jours passent, mais de plus en plus de qualité, de tension et d'enthousiasme dans le public : les éliminés viennent soutenir leurs concurrents plus chanceux !
Je peux très bien comprendre ton plaisir, pendant des années ayant été spectatrice fidèle, pour une semaine litteralement du matin au soir, aux épreuves du prix "Trio di Trieste".
RépondreSupprimerCe que tu racontes m'est donc assez familier...
Je me rappelle qu'une fois un duo de rubicondes filles russes, leur violoncelle et moi nous avions attendu une demi-heure devant la porte fermée du théatre, sous le soleil, puisque l'horaire avait été changé et nous étions évidemment les seules à ne pas le savoir... alors qu'une autre fois j'avais familiarisé un peu avec deux membres du "David Trio" qui étaient très sympas, pour se taire du fait qu'ils jouaient -et jouent encore- Brahms d'une façon qui n'a jamais cessé de me ravir.
Par contre je dois dire qu'aucun parmi les membres des jurys n'a jamais été si indiscipliné comme le monsieur hyperactif et pas trop poli que tu as vu à l'oeuvre à Reggio Emilia...
Mais pour finir, je crois qu'enfin je suis arrivée un peu à la saturation, car meme si le concours est entretemps devenu biennal, pour la première fois cette année je l'ai pratiquement déserté.
Todo cambia, comme le chante si bien Mercedes Sosa dans le dernier film de Nanni Moretti.