Quand j'étais jeune et bordelaise, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute : le nec plus ultra, pour tout citadin de la capitale aquitaine, était d'aller sur "le" Bassin. Il y avait dans cet article défini toute l'évidence des signes de reconnaissance entre initiés. Si, comme moi, vous n'aviez pas de "villa" sur "le" Bassin, l'expression prenait une dimension mythique, un inaccessible réservé à quelques privilégiés, un rêve qui ne prenait forme que lorsque quelque amie plus favorisée vous invitait pour la journée.
Plus tard, quand j'ai eu l'âge de conduire, mes roues m'ont menée tout naturellement vers cet Eden idéalisé, pour de longues journées ensoleillées entre copains et, ce n'était pas prévu, quelque conquête qui devait résister ma vie durant. C'est sur la dune du Pyla qu'Alter a immortalisé notre amour ! Plus tard encore, mes parents, parvenus à la retraite, se sont offert la fameuse villa qui les faisait fantasmer depuis leur arrivée à Bordeaux et y ont coulé quelques années heureuses. Bref, hors cette conque bordée de pins et un peu envasée vers le fond, point de salut !! Quand un ami de la famille qui venait chaque année passer une semaine à la maison, nous invitait en remerciement pour un petit séjour, d'autant plus apprécié que nous ne partions jamais en vacances, et qu'il choisissait Saint Palais sur Mer, maman trouvait les lieux bien désuets et ne manifestait qu'un enthousiasme poli. Ce monsieur, né avant 1900, conservait pour Royan et sa région un attachement lié à la vie brillante qui s'y déroulait durant les étés des années folles, mais maman ne partageait pas son enthousiasme, loin de là.
J'avoue, comme on ne remet pas en cause les acquis d'enfance, avoir longtemps pensé, sans le formuler, que la côté royannaise restait la parente pauvre des sites balnéaires. En promenade il y a peu sur le fameux Bassin, j'ai tout à coup réalisé que finalement la suprélatie strictement locale du Bassin n'est pas forcément justifiée et que notre côte charentaise a, finalement, plus de charmes, pour qui sait l'apprécier.
Pour autant, j'ai retrouvé les odeurs de sève et d'aiguilles de pin, le sable un peu plus gris qu'ailleurs, le côté suranné de son architecture disparate et l'ambiance très particulière de ce lieu qui plait si fort aux bordelais.
La villa algérienne, construite en 1864, était une de ces folies orientalisantes, d'un goût moyen mais d'une ostentation manifeste, que les bourgeois qui avaient réussi aimaient à faire construire au plus près de la mer, pour montrer leur succès financier. Léon Lesca, qui confia la réalisation de la villa à un architecte local, avait fait fortune en Algérie en tant qu'entrepreneur, et sa villa rappelait son attachement, revu et corrigé selon les normes de la fin du XIXème, à l'Afrique du Nord. Elévée sur un entresol, la villa, de style mauresque, ouvrait sur une loggia soutenue par des colonnes torses. Le pavillon à coupole du second niveau était surmonté d'un croissant et partout, un décour oriental rappelait à Léon Lesca son séjour algérien. Le parc, aménagé à grand frais dans les sables girondins, abritait des espèces rares et déployait une exubérance exotique qui fit la réputation de l'ensemble. Vendue dans les années 60 par un des héritiers qui n'en avait plus cure, le Cap Ferret n'était pas encore à la mode, elle fut détruite en 1966 pour construire un immeuble dont vous pouvez admirer la triste banalité. Heureusement la petite chapelle de Notre Dame du Cap échappa à la pelle des démolisseurs.
En raison de l’éloignement de la villa de tout lieu de culte, Léon Lesca avait fait construire sur le domaine une chapelle privée. L’édifice, de plan rectangulaire, présente une façade occidentale décorée de réminiscences orientales : arcs outrepassés, croissant, inscriptions en arabe, carreaux aux vives couleurs... Inscrite à l'inventaire depuis 2008, elle vient de faire l'objet d'une restauration de qualité qui permet de l'admirer telle que son propréitaire l'inaugura ! Il fallait aussi loger le desservant de la nouvelle chapelle et pour cela, Léon Lesca fit construire un presbytère ( la maison , très remaniée, existe toujours) sur un terrain situé à l’entrée du village de l’Herbe. Le jeune prêtre nommé par les autorités ecclésiastiques, l’abbé Noailles, était atteint de tuberculose pulmonaire, et les médecins lui accordaient une espérance de vie réduite. C'était un peu une charge restreinte pour lui permettre de finir sa courte vie en paix. Il atteignit ici l’âge respectable de quatre vingt six ans, continuant à célébrer messes, baptêmes, mariages et enterrements pour les gens d'alentour, car il remplissait finalement la charge de curé du Cap Ferret.
Une étonnante réalisation qui conjugue de façon très euchuménique la croix et le croissant et proclame, pour la plus grande édification des fidèles de tout poil "Deo Gratia" au-dessus de la porte d'entrée.
"Les odeurs de sève et d'aiguilles de pins", voilà qui évoque un voyage de mon enfance, sur cette côte atlantique que j'avais beaucoup aimée...
RépondreSupprimerEt pourtant, je n'y suis jamais revenue...
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerLa crois et le croissant...
Les souvenirs d'adolescence
et toujours cette manière de faire découvrir avec élégance.
Car, outre l'intimité du billet, moi, je découvre le site...
Merci beaucoup.
Bonne journée.
L'odeur des pins chauffés par le soleil... Je m'y sens presque !
RépondreSupprimerMerci pour la visite Michelaise.
Que c´est dommage qu´elle ait disparue cette villa algérienne.
RépondreSupprimerArcachon a quand même conservé beaucoup de ces villas, ce qui en fait son charme.
Bonne semaine Michelaise
Alors Norma, va falloir revenir !! c'est toujours délicieux les souvenirs d'enfance...
RépondreSupprimerQuant à Herbert, il va falloir programmer un jour la dune du Pyla, c'est tout de même spectaculaire.
Oui Alba, ces villas restaurées avec soin donnent du cachet à Arcachon... c'est un peu la même chose ici pour les rares qui ont été épargnées par les bombes alliées.
Astheval, tu aimerais forcément les balades dans ces grandes forêts landaises qui sentent la résine et le sable chaud !!