mercredi 22 juin 2011

LE CHEF JARDINIER* : à propos d'ATYS à Bordeaux

 
Les engouements du public pour ce que la presse et les médias déclarent « événement incontournable » restent pour moi un mystère. Arriver à captiver une salle entière pendant près de 4h sur des récitatifs un peu pesants, une histoire carrément indigente et quelques rares airs assez peu virtuoses, cela a un côté surprenant qui me laisse aussi pantoise que les grandes foules qui se pressent devant des toiles parfois malhabiles ou des sculptures ratées au motif qu’il « faut en avoir été ». Cela a du bon car ces frénésies collectives permettent des débauches de moyens et produisent, toujours, des manifestations d’une qualité que la confidentialité n’aurait pas permis. Mais le côté « standing ovation » est toujours un peu ridicule. Il faut s’extraire des picotements mentaux que cela entraine et ne pas sombrer dans l’anti-snobisme primaire !
Atys de Lully, recréé avec maestria par le tandem Christie-Villégier est de ces événements qu’on aurait regret de rater. D’autant que tout concourt à en faire un moment mythique. Le spectacle, créé en 1986 au Teatro Metastasio de Prato, à une époque où les baroqueux, leurs petites voix et leurs instruments désaccordés, n’avaient pas le vente en poupe, a été repris à de multiples reprises, dont à Paris et Versailles, drainant un nombre incroyable de spectateurs enthousiasmés par ce retour aux costumes d’époques et aux perruques poudrées. L’esprit Grand Siècle fascine avec toujours autant de constance les enfants de la Révolution Française. Enregistré, diffusé, loué, il est entré dans la légende.
Sa reprise, 25 ans après, est elle-même de l’ordre du fabuleux : c’est en 1987 à Versailles que Ronald P.Stanton, américain fortuné dirigeant une grande entreprise internationale,  vit l’opéra de Lully pour la première fois. Enthousiasmé par le spectacle, il a souhaité il y a environ 3 ans rencontrer William Christie et lui a confié son souhait de « revoir Atys avant sa mort ». La formule a fait mouche, c’est évocateur ce « sentant sa fin venir » vague remake de La Fontaine ! Assez fortuné pour assumer le coût de la production il a créé ainsi, avec une candeur sans doute sincère, le buzz du petit landerneau des amateurs de musique classique. Voire des autres car, dans ces cas-là, on se pousse même si Chopin vous endort et que Bartok vous donne des boutons.
Pourtant, tout mélomanes que nous soyons, il faut bien avouer que la partition est austère et qu’on a du mal à ne pas étouffer quelques bâillements. En effet, comme le disait avec discrétion mais franchise un charmant monsieur qui avait atteint l’âge où l’on peut s’offrir le luxe d’être sincère sans pour autant passer pour un sauvage « C’est magnifique mais qu’est-ce que c’est ch… ».


Un spectacle total, musique certes, mais aussi danse, la chorégraphie était superbe et enfin théâtre car l’intrigue, toute désuète qu’elle soit, importe beaucoup dans l’affaire. A preuve, l’ennui provoqué par le prologue disparait peu à peu dès lors qu’on est rentré dans le sujet. Et, d’un spectacle mondain auquel il est de bon ton d’avoir assisté, même si l’on s’y est rasé ferme, et qu’on  l’a applaudi d’autant plus fort qu’on avait besoin de se secouer à la fin, l’intelligence de la mise en scène, l’intégration réussie de la danse, l’excellence de l’esthétique et une collection de costumes à faire pâlir d’envie un musée de la mode, sont autant d’atouts pour faire de cette production un spectacle captivant.

Après un prologue aux teintes douces et pastelles, le rideau de fond de scène s’abat brutalement au sol et les 6 décors voulus par Quinault sont résumés avec une grande efficacité par Villégier en un seul : un vestibule de tragédie,  marbre sombre et veiné de taches de Rorschach, animé par quelques changements de mobilier : trône, banquettes, torchères, consoles... Villégier a choisi de reproduire les fastueux mobiliers d’argent des Grands Appartements, donc en 1689 pour financer la guerre de la ligue d’Augsburg. Cela donne l’impression d’être conviés à quelque soirée royale, et même s’il sait que ces reconstitutions sont pour partie inventées, le public adore être reçu à la Cour. 


La musique, quant à elle, est écrite dans un style austère : beaucoup de récitatifs, peu de moments où l’orchestre soit entièrement mobilisé. Et si les chœurs viennent parfois réveiller le chef et nos sens engourdis, l’absence de modulations séduisantes ou d’arias brillants rend l’ensemble très sobre. D’autant plus frugal que l’œuvre est sombre et baigne dans une atmosphère nocturne qui n’est pas due seulement à la longue scène du sommeil !
Sur l’interprétation de William Christie, on ne peut que saluer le travail, réalisé en amont, il y a de cela 25 ans pour retrouver la partition, recréer le continuo, reconstituer l’orchestre de Lully et ainsi, faire revivre Atys. Travail aussi, qui dure depuis cette époque sur la musicalité de la langue, le respect de la prononciation et la clarté de la diction, données qui semblent évidentes aux jeunes mélomanes mais qui n’étaient pas acquises en ce temps-là. Le plus improbable salmigondis de sons suffisait à enthousiasmer le public pour peu qu’il fut puissant et virtuose ! On exige aujourd’hui de comprendre les chanteurs, et nous avons pu suivre l’intrigue compliquée à peu près sans effort. Que l’on songe : ce changement, impulsé par Christie et qui s’appliqua en premier lieu dans le petit monde original des baroqueux, est maintenant de mise dans tous les spectacles lyriques. A tel point que le nouveau prix Régine Crespin (Long Thibaud) prévoit, pour les concurrents qui auront choisi des œuvres françaises, un prix spécial de diction et de prononciation, initiative qui me semble une évolution remarquable et qui relègue au magasin des accessoires poussièreux les chanteurs 


Certes, toute aficionada de Christie que je sois, je dois bien avouer que la petitesse des voix m’a laissée un peu sur ma faim. En fait, Christie est un passeur, un jardinier (oui GF) qui cultive les talents dès lors qu’ils sont élégants, qui transmet et partage. C’est là sa vertu principale : il sacrifie le brillant à la passion et il a raison. Ça paye aussi sur le long terme : avec lui, combien de choristes sont devenus solistes ou d’instrumentistes chefs d’orchestre. N’est-ce pas finalement le plus important, cette mission de transmission ? La direction était fluide, comme toujours avec Christie, les sons pleins et amples, et si certains lui reprochent son manque de prégnance sur l’ensemble, cela tient à sa conception de la création musicale. Son continuo est maitre à bord, et des années de travail au coude à coude avec Brian Feehan expliquent cette collaboration constructive. Il laisse les solistes bâtir leur personnage en fonction de leur personnalité et il invite sa jeune promotion du « Jardin des Voix » à interpréter le prologue. Il dirige les chœurs d’une baguette ferme et précise qui, à Bordeaux, leur a donné un éclat particulier. On peut ensuite critiquer sa direction, la trouver molle ou pas assez autoritaire…Ce qui importe plus que tout, me semble-t-il, est sa conception de la musique, son respect de la partition, son inventivité sur les vides, nombreux, de cette dernière, et l’étroite symbiose qu’il permet entre tous les acteurs du spectacle et l’œuvre musicale.

C'était à Bordeaux, après Paris et Caen... il vous reste deux concerts possibles : à Versailles les 15 et 17 juillet, s'il reste des places...

* Petit clin d'oeil à GF, à propos de son commentaire à l'article sur le jardin de William Christie

16 commentaires:

  1. J'ai tout raté Paris à l'Opéra Comique,la diffusion sur France Musique je me disais que j'allais "podcaster" mais à la lecture de ton billet je pense que je vais m'en dispenser .
    Moi qui au risque de faire ricaner GF suis une inconditionnelle de Christie voila que sa cote en prend un coup mais j'assume mes choix et mes goûts personne n'est parfait
    Le bilan?
    Car si je me souviens bien c'est pour pouvoir assister à cette représentation que vous aviez pris l'abonnement

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  2. Il te reste Versailles Aloïs... Bilan (oui nous avions pris l'abonnement pour avoir ce spectacle là) : c'est un spectacle total donc à voir, entendre, toucher des yeux et des oreilles. Mais à mon avis pas à podcatser sur FM, car sans la mise en scène, sans les ballets, sans ces hallucinants costumes, sans ce décor d'anthologie, cela doit être fort ennuyeux. Presque que des récitatifs, où le continuo a un beau rôle, certes, dont la mélodie est plus riche que souvent, mais tout de même... C'est vraiment Christie Villégier !
    Non la cote de Christie n'en prend pas un coup, je suis aussi une inconditionnelle : j'admire dans ce billet son courage, il donne leur chance à tous, choisis avec soin, mais sans sacrifier aux tendances. C'est un cultivateur de talents et en ce sens il est génial. Il faut du temps pour faire croitre les talents et Christie sait le prendre ce temps. Et puis, il fait preuve d'une rigueur pour exalter la musicalité de la langue française qui était révolutionnaire et qui reste remarquable. Ensuite, certains, dont je ne suis pas car je ne suis pas spécialiste, ni de la partition, ni de Lully, peuvent critiquer sa direction. La teneur de mon billet était que je suis incapable d'avoir un avis éclairé là dessus, donc ce n'est pas une critique musicale que je fais. C'est un hommage à l'homme Christie. Je crains de n'avoir pas été claire : mon titre n'est pas réducteur (contrairement à la remarque de GF) il est admirateur. C'est un grand bonhomme qui respecte ceux avec lesquels il travaille. Voilà le bilan. Si tu peux aller à Versailles tu verras un spectacle assez ébouriffant, tu entendras un concert de qualité et tu verras un homme de coeur !

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  3. Hélas je serai d'astreinte!

    J'ai bien compris que ton titre n'était pas réducteur mais on ne sentait pas trop l'enthousiasme habituel chez toi

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  4. effectivement, pas trop d'enthousiasme, mais de l'objectivité, c'est ce que j'aime dans vos billets, et ce qui me rassure moi l'inculte!
    merci et bon we!

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  5. Coucou l'anonyme inculte !! moi pas beaucoup plus "culturée" mais j'ai bénéficié du programme qui racontait plein de choses intéressantes... que je vous raconte à mon tout... ça sert à ça internet pas vrai ?

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  6. mais c'est moi l'inculte MONICA, je ne sais pas pourquoi,bug?

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  7. pas grave Monica, Google est un peu négligent avec les commentaires ces temps-ci... cela nous vaudra même un billet demain ! Désolée de t'avoir fait pleurer, mais c'est un mal nécessaire parfois n'est-ce pas ? Pour le reste, tu n'as donc pas pu venir à Atys, mais si tu as raté un très beau spectacle, tu t'es évité l'ennui de la partition un peu aride de Lully... sauf à être spécialiste de ce genre de musique, c'est vraiment pas facile !!

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  8. juste une question :
    pourquoi cette branche de pin?
    une symbolique?

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  9. C'est tout de m^me grâce aux différents blogs amis que mon mari a investi dans l'achat des CD !

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  10. Bien sûr EVELYNE, ça donne envie tous ces compliments, justifiés ! Dommage qu'il n'ait pas investi plutôt dans le DVD, je crois qu'il existe ?? à verifier... sinon, il existera, version 2011, j'imagine.
    En ce qui concerne ATYS, bon, il faut bien finir par l'avouer je préfère Rameau à Lully, qui m'ennuie...
    La branche de pin MONICA : Atys, l'indifférent, est tombé amoureux ! De Sangaride, la fiancée de son roi, son ami, son mentor. Le drame est d'autant plus terrible que Sangaride l'aime en retour. Cette amour impossible donne lieu à de beaux désespoirs, tu l'imagines. Mais le pire de l'histoire c'est que la déesse Cybèle, elle aussi, en pince pour le bel Atys. Au point qu'elle décide de lui déclarer sa flamme (au cours de la fameuse scène du sommeil) et qu'elle entend que cette dernière soit partagée. Tu imagines sa fureur quand elle découvre qu'Atys en aime une autre. Et sa vengeance est à la hauteur de son pouvoir : elle provoque, par un esprit malin, Atys, l'incite à tuer Sangaride, et quand ce dernier reprend conscience, il se tue, désespéré d'avoir tué l'aimée. Cybèle, déesse, ne peut le suivre dans la mort. Alors, mi remords, mi orgueil (ainsi il m'appartient pour l'éternité et c'est moi qui l'emporte !!), elle transforme Atys en pin, arbre qui restera toujours vert et toujours aimable.

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  11. Merci, tu es adorable, et comme c'est curieux ce matin j'étais sur l'association d'un certain YVES SIMONE que tu dois connaitre!!!!!
    Les Pins Verts, sauvegarde des beaux pins des Landes, qui ont pris un sacré coup! d'ou la manifestation d'art Aquitaine avec les cubes verts sur les quais, qui fait polémique aujourd'hui, un coup en "vache" aussi! si tu vois ce que je veux dire, ou alors, Cybèle encore??????
    ps - théâtre pour moi ce soir, serai sur les planches (en pin)!

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  12. non mais ce n'est pas vrai, ça saute encore!
    mais tu me reconnaitras n'est ce pas!
    monica

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  13. Quand il est passé à Caen, j'étais à Paris et quand il passait à Paris j'étais revenu ! Alors je l'ai enregistré, j'ai déjà vu quelques extraits qui m'ont fait de l'oeil, maintenant il faut que je trouve quatre heures disponibles...

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  14. Chère Michelaise, j’adore ta franchise ! J’aime la façon dont tu rends compte d’Atys, d’une manière totalement équilibrée. Pour moi, Atys n’est pas un « événement incontournable », ne l’a jamais été, pour la simple et bonne raison que la musique en est pauvresse. Par ailleurs, cette tragédie lyrique est pour moi l’une des plus chiantes que je connaisse. Certes Lully n’a jamais été ma tasse de thé, je préfère Rameau comme tu sais, et s’agissant des productions du maître, Cadmus et Hermione ou Roland me semblent d’un intérêt musical supérieur. Reste alors le spectacle et la mise en scène de Villégier. Tout à fait d’accord pour dire qu’elle était révolutionnaire il y a 25 ans, mais depuis, la scène s’est enrichie de talents nouveaux et à cet égard, je te conseille d’être attentive au nom de Benjamin Lazar et de tout faire pour aller voir un jour un spectacle de ce fabuleux jeune homme. Quand il a mis en scène la première tragédie lyrique, je suis resté soufflé ! Je n’avais jamais rien vu de pareil ! Par rapport à Villégier, c’est un tout autre univers ! Moins rigide, plus foisonnant et inventif ! A guetter donc absolument !

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  15. Ah GF, même di fonds de la Lozère, tu me surveilles !! Si tu avais eu accès aux commentaires tu aurais vu que, finalement, de comm et comm (ils se doutaient bien de mon manque d'enthousiasme mes lecteurs, et ils ont fini par m'obliger à me découvrir !!), j'ai fini par dire ce que tu proclames sans détour : Lully c'est ch... Et moi aussi, je préfère Rameau, qui me met en joie !! Quant à Villégier, je garde pour lui une profonde ... comment dire ??? affection, allons le mot est un peu impropre mais bon... donc je ne le renierai pas même s'il est, tu as forcément raison, un peu démodé, disons dépassé. On garde un attachement aux inventeurs (ré-inventeur ici), et j'apprécie en théâtre son respect du texte. Quant à Lazar, je note, facile à retenir et j'essaie de mettre en pratique ! Tu n'as pas entendu mon éclat de rire, imagines que tu habites là où tu es en vacances, et que tu veuilles voir du Lazar ! Vaut mieux ne pas être capricieux et se dire "qui vivra verra !!"... Lucky-michelaise...

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  16. Et bien figure-toi que là où j'habite en vacances, ce sera bientôt l'endroit où j'habiterai définitivement!!! Donc qu'à cela ne tienne, je continuerai à être un véritable globbe-trotter et je courrai la planète pour voir mon Lazar! Figure-toi que je reviens de Baden-Baden où j'ai vu la divine Cecilia, et devine quoi, j'ai acheté au passage un billet pour un opéra de Cavalli donné à Luxembourg. Rien ne m'arrête quand c'est génial! Et devine quoi, ce sera le grand Bill qui sera aux manettes car dans Monteverdi et Cavalli il est vraiment top, plus que dans Lully à mon avis!!! Sur ce bonne nuit et à bientôt!!!

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