mardi 21 juin 2011

SABBIONETA

Atterrissage tardif à Bologne, une sympathique chambre d’hôte à deux pas de l’aéroport, et un petit cabriolet gracieusement offert par Avis pour le prix d’une voiture bas de gamme. Que demande le peuple ? On fait quoi ? Ben, ce cabriolet faut en profiter un peu, on a envie de rouler les cheveux au vent, pas question d’aller s’enfermer dans des musées… On va à Modène ? Oui, non... y a trop de musées… Et puis, on a réservé une autre chambre d’hôte aux environs de Parma, on y va par le chemin des écoliers et on verra.


On a vu !! On a vu que sur notre chemin se trouvait Sabbioneta et on y a passé un temps fou ! Et cela en valait la peine.



Pendant que la France est empêtrée dans les Guerres de Religion et que l'Espagne se débat avec la Guerre des Flandres, Vespasien Gonzague va "faire du lèche" auprès de Rodolphe II et revient de Vienne avec le titre, ô combien prestigieux à ses yeux, de duc de Mantoue. Et là, il ne "se sent plus péter", il décide de construire ex nihilo une sorte de cité idéale, et il en profite pour écrire partout qu'il est duc : sur les façades de ses palais, sur les cheminées, sur les linteaux de porte ! Il ajoute à son palais une galerie démente, qui ne mène nulle part et qu'il envahit de trophées de cerfs que lui offre je ne sais plus quel puissant, il ajoute pour faire bon poids des statues antiques grapillées de ci, de là, et en fait un vrai capharnaüm. Ensuite, il réinvente le théatre ! Pour notre plus grand bonheur d'ailleurs...

Voilà comment Alter me racontait l'histoire pendant que nous nous reposions sur la place d'armes de Sabbioneta, mais ne vous y trompez pas, il était bluffé Alter, car cette ville conçue par la volonté d'un érudit n'a rien de prétentieux ou de clinquant, c'est une pure merveille !

On entre à Sabbioneta par une des deux portes monumentales de la Sabbionetana, la route qui relie la ville à Mantoue. Vespasien de Gonzague avait seulement 13 ans quand il fut envoyé en Espagne, en 1544, à la cour impériale de Charles V pour être page d'honneur de l'infant Philippe. Des études d'architecture militaire, menées parallèlement à une éducation classique et humaniste, lui donnèrent le goût de l’architecture et le désir de construire une ville à mesure humaine. Il la commença vers 27 ans et y consacra le reste de sa vie. Il choisit le vieux bourg médiéval de Sabbioneta dont il « déplaça » les maisons anciennes qui le gênaient dans son projet : un plan orthogonal devait permettre d’avoir de toutes parts une vue ordonnée et harmonieuse. Autour des défenses en étoiles, aux bastions assez bas mais élégants, donnèrent à la ville une allure de forteresse harmonieuse. Au centre, le Palazzo Grande, qui n’était pas encore palais ducal, était destiné à l’administration et au gouverment, voisinant avec l’église Santa Maria Assunta, église principale de la ville. La ville comptait par ailleurs de nombreuses écoles et une académie d'humanités.


De 1565 et 1590, Vespasien coordonna les travaux et organisa les implantations successives des édifices. C’est en 1577 que, grâce à la volonté de l'empereur Rodolphe II, la nouvelle principauté prit le titre de duché, avec ses propres armoiries. Un château - dont il ne reste plus grand trace aujourd'hui - abritait les appartements privés de Vespasien, tandis qu’un palais dit « Giardino » était réservé à la vie sociale : on y recevait les hôtes, on y organisait les fêtes, et Vespasien le dota d’un studiolo où il se retirait pour lire. Il aimait aussi à collectionner des reliques, des objets d'art et des raretés naturelles. C’est pour exposer ses trésors qu’il conçut la fameuse galerie longue de 96 mètres, qui ne menant nulle part, semble déboucher sur le vide !

Dans le palais, chaque pièce porte un nom et ses murs sont peints selon un thème. La salle des Mythes met en scène Dédale et Icare, Arachné et Minerve, Apollon écorchant vive Marsyas. Toutes ces fresques célèbrent la grandeur de Rome et de la culture classique. Comme la salle des Cirques, où sont représentés le cirque Maxime et le cirque Flaminius, ou encore le cabinet privé du duc - excellent connaisseur, entre autres, d'Ovide, de Plaute, de Térence et de Plutarque -, décoré de fresques représentant des personnages de L'Enéide. Le couloir d'Orphée ressuscite les aventures de l'inconsolable époux d'Eurydice et de sa descente dans l'Hadès.

En traversant le spacieux salon des Miroirs, le plus emblématique de tous, parfait pour les concerts et les danses, on croise l'ombre des jeunes filles, qui pour se parer, pouvaient se réfugier dans le petit cabinet des Trois-Grâces, lieu de recueillement de la gent féminine. Partout des stucs splendides et luxueux, autrefois lamés d'or, et des fresques hautes en couleurs.

Devant le palais, d’allure extérieure assez modeste, se développe une vaste place d’armes où se déroulaient joutes, parades militaires, tournois et courses qui animaient la vie de la cour. Une colonne surmontée d'une statue de Pallas (que l'on fit venir de Rome) se détache au centre.


Soucieux d’asseoir sa légitimité sur une généalogie prestigieuse, Vespasien fit réaliser des bustes de couples de la dynastie tout entière dans la salle des Aïeux du Palais Ducal. Non content d’en orner les plafonds d’armoiries de noyer et de cèdre sculptés, dorés et décorés de stucs, il fait réaliser un manège géant à la gloire de sa famille. La Cavalcata est une théorie de statues équestres qui reconstitue, avec armures et insignes de pouvoir, une ascendance qu'il désire la plus glorieuse possible. Il pare tout ce beau monde de vertus guerrières éclatantes et conduit dignement la chevauchée ! 4 de ces statues ont survécu à l'incendie qui les ravagea et trônent maintenant dans la salle haute du Palais. C'est impressionnant !


En 1588 il ne manquait qu'une chose à cette ville idéale : un théâtre. Vespasien fit alors appel à l'architecte Vincenzo Scamozzi, élève de Palladio, qui conçut et construisit, entre 1588 et 1590, un "théâtre olympique à l'antique". La structure est celle, traditionnelle, des théâtres classiques, avec des gradins en bois disposés en amphithéâtre et, en haut, face à la scène, une magnifique colonnade surmontée de statues représente les divinités olympiennes. Latéralement, deux grandes fresques célèbrent une fois de plus Rome : d'un côté, la place du Capitole, de l'autre, le château Saint-Ange.

La particularité de ce théâtre est que le lieu est complètement fermé. Sur la scène, qui est fixe, le spectateur revoit les palais de Sabbioneta (une reconstruction réalisée en 1996 sur la base des descriptions de Scamozzi).

A la mort de Vespasien, en 1591, le duché de Sabbioneta revint en héritage à sa fille Isabelle, qui ne parvint pas à maintenir l'esprit et la vitalité insufflés par son père. Commença pour la ville une longue période de déclin : le château fut rasé, les palais furent dépouillés de leurs richesses, la galerie des Antiquités fut même utilisée comme dortoir pour les soldats. La "ville idéale" n'était plus qu'un souvenir. Ce gros bourg endormie où le temps s’est arrêté est une halte incontournable pour qui voyage dans la vallée du Pô : mise en œuvre des théories de la Renaissance sur la cité idéale, elle a le grand mérite d’avoir été menée à bien par un érudit enthousiaste et opiniâtre, qui nous a laissé un chapitre vivant d’urbanisme qui, à lui seul, vaut le détour. Ce lieu d'élection débordant à la Renaissance de vie, de fêtes et de bals, de lectures et de conversations, est aujourd’hui d’un calme rare, bien qu’ayant été inscrit il y a peu au patrimoine mondial de l’Unesco. Il vaut aller le visiter bien vite !

Une exposition d'art cotemporain sous les ors du Palais Ducal !

19 commentaires:

  1. Alors avant de lire le papier, je CRAQUE devant le conducteur... tu n'as pas eu peur qu'on te l'enlève? Je ne parle pas de la voiture mais du Bon-Homme.
    Quelle attitude! un condottiere sans armure d'époque mais des chevaux dans le moteur.
    Comme quoi une belle voiture, un volant, des lunettes noires, cheveux grisonnants, et le fantasme s'éveille.
    Et toi comment étais tu? Une petite robe en vichy serrée à la taille, année 60, une capeline avec un beau foulard, des chaussures basses, un joli collier de perle?
    Le couple d'enfer!
    ...................................
    Maintenant je vais manger un p'tit bout sous l'olivier... pour me remettre, puis je lirais la suite. Belle journée d'été, un peu de vent ici sous un ciel bleu, les petites cloches du jardin tintinnabulent.
    Quelques accords en fin d'après midi pour accompagner la chorale de Contes: fête de la musique oblige!!!
    A+++++++++
    Martine de Sclos

    RépondreSupprimer
  2. Ah ça Martine, tu as le sens de la tenue !! Dommage que je n'aie pas eu ton mail avant, parce j'aurais tenté l'aventure telle que tu la décris, on sent la pro !! Tu vas rire, je n'étais jamais montée dans un cabriolet... Alter non plus, je crois mais il était HEUREUX. C'est vrai qu'il avait belle allure mon sexa-sexy !! Condottiere, je sens qu'il va adorer... Allez bon app sous l'olivier.

    RépondreSupprimer
  3. Oui, Sabbioneta est une merveille, et Alter, là... mmhhh... Martine a raison, il est tout à fait à la hauteur, notre condottiero !

    RépondreSupprimer
  4. je n'ai pas eu le temps de lire tout le texte qui à l'air passionnant!
    mais, j'ai pris plaisir à lire le commentaire, MDR!!!!!
    je retourne dans mon petit cabriolet, mais oui, mais oui, une new beatle "nuage" il faut bien se faire plaisir lorsque l'on devient sexa!!!!! et derrière mes grosses lunettes et mon grand chapeau, de loin et en roulant vite, quadra??
    Suis très impatiente de lire le billet sur ATYS!!!

    RépondreSupprimer
  5. La vie est injuste, l'an dernier nous avons eu une petit Fiat au lieu de la Lancia réservée, remarque que pour les cheveux au vent c'est trop tard et ma Dame craint les courants d'air.
    Je découvre les richesses de Sabbioneta, qui me donnent une nouvelle envie de voyage.

    RépondreSupprimer
  6. Ah Robert, nous avions visé la petite Fiat 500 en se demandant où on mettrait les bagages ! Pour le coup, le coffre du cabriolet était grand et on a pu faire les fous en toute quiétude ! Si tu ne connais pas Sabbioneta, cela vaut le détour si tu vas dans la plaine du Pô.
    Monica, on en roule pas assez vite pour rajeunir autant, malgré le vent qui lisse les pattes d'oie. Mais on s'est bien amusés, et sans crainte des courants d'air ! Tu as raison le comm de Martine est super !
    N'est-ce pas Siu, elle a raison Martine, il ne dépare pas Alter dans sa petite auto ! Et il pose bien ??

    RépondreSupprimer
  7. Mais c'est Noël avant Noël,Alter et son cabriolet!!!
    Il lui sied à merveille, et il a l'air vraiment italien,il prend la pose comme eux au volant de leur aspirateur à nénettes!!!!
    Plus vrai que vrai!

    Je me souviens de cette visite avec mes parents il y a de nombreuses années, j'avais été "scotchée"mon père passionné par Vauban,courait après tout ce qui pouvait lui en rappeler l'esprit au niveau architecture,conception...
    J'ai trouvé un article de Courrier international qui m'a fait comprendre un sentiment que je n'avais pas su définir à l'époque,je les cite:
    "lorsque l'on se promène dans les ruelles pavées et que l'on tombe sur une banque ou un magasin de cuisines, on ressent un certain malaise, comme si ces vitrines détonnaient"
    Souvenirs, souvenirs

    RépondreSupprimer
  8. Quelle allure Alter...

    Ce théatre que j´espère un jour pouvoir admirer!

    Merci Michelaise de ce superbe billet.

    RépondreSupprimer
  9. Ce qui est passionnant Alba, c'est de faire la "tournée des théâtres" : Vicence, Parma, Sabbioneta... voire d'autres plus modernes.
    Aloïs, pas de doute qu'au retour de Venise ton avis sur l'allure italienne est éclairé ! sauf que les vénitiens n'ont pas, du moins in situ, d'aspirateur à nénettes !! Michel va adorer le terme...
    J'avais lu la phrase que tu cites de CI et pensé comme toi que c'est exactement ce qu'on ressent. Ce qui est merveilleux est que l'endroit est très calme, même d'un point de vue touristique, chose rare et appréciable.

    RépondreSupprimer
  10. Encore une découverte...et de précieuses explications. Même si le temps est compté je sais qu'ici il n'est jamais perdu.
    Merci pour le voyage qui met un peu de soleil et fait oublier la pluie tant attendue.
    bonne journée
    (josette)

    RépondreSupprimer
  11. Les filles, vous combles Alter, 100% français de chez nous, en lui trouvant un petit air rital ! Il est aux anges... lui qui bosse son italien tous les jours pour le parfaire, et qui va, c'est sûr, devenir meilleur que moi à force de travailler !

    RépondreSupprimer
  12. Et oui, Jo, on est ravi de voir les arbres reprendre vie, se dépoussiérer, mais c'est moyen marrant la pluie ! Un bien nécessaire ...

    RépondreSupprimer
  13. Ya pas mieux que de travailler la langue et puis de pratiquer l'immersion, c'est un avis de prof!
    Bises et bonnes vacances

    RépondreSupprimer
  14. Pas de doute, côté immersion, moonsieur le prof, ce fut efficace : même le look y est si j'en crois mes lectrices !!

    RépondreSupprimer
  15. As-tu visité la bibliothèque dell' abbazia di San Giovanni Evangelista à Parme ?
    Nous pensons retourner à Turin...mais Sapionneta est un peu éloigné !

    RépondreSupprimer
  16. Ah Evelyne, selon un de ces mystères propres à l'Italie, l'endroit, ouvert de 9 à 13... nous arrivons à 11h, porte close et des touristes mi-figue mi-raisin qui nous désignent un petit bonhomme en train de s'éloigner avec une serviette de cuir : c'est le gardien, il vient de fermer et il s'en va... Pourquoi ?? L'a pas dit ! Mais d'autres merveilles à Parme et aux environs dans les billets à venir. Ah oui Sabbioneta est loin de Turin, inutile de faire les lieux : y a des trésors près de Turin aussi.

    RépondreSupprimer
  17. A voir l'air ravi d'Alter, je me disais qu'on allait avoir droit ensuite à une série de petits chemins secrets, de couvertures de pique-nique froissées, de bords de rivières chantants... Bref une aubade à la décapotable. Mais vous avez repris votre marathon culturel !
    Alter, tu t'es bien débrouillé avec Avis, chapeau ;-)))) La prochaine fois ? La Harley bien sur !!!
    Sinon, quand on visite le chateau d'Amboise, on peut louer une 2CV pour faire un p'tit tour renaissance.
    Allez les tourtereaux, je vous embrasse !

    RépondreSupprimer
  18. Et oui Lulu, on est un peu stakhanovistes de l'expo ou de la découverte !! mais tu as raison on avait déjà pratiqué la décapotable, du temps de la dyane !! aspirateur à nénettes comme dirait Aloïs... et la nénette ce fut moi ! FAudra faire ça la deudeuche à Amboise !

    RépondreSupprimer
  19. Ton billet m'a fait rire, oui, oui, avec Alter en première page!!! Je me suis demandée un instant ce que tu voulais nous raconter !!!
    En tout cas des vacances dans ce coin d'Italie me tente bien. Beaucoup de choses intéressantes à voir comme dans beaucoup d'endroits en Italie!!!

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...