jeudi 22 septembre 2011

DIS MOI COMMENT TU LIS...


           « Il avait enfilé un pantalon … sur son pyjama, dont le tissu rayé … ruchait par-dessus ses chaussures. » Ruchait ! un mot gourmandise que je savoure longuement, parcourue par un inexplicable frisson de plaisir, avant de me décider à continuer, pour savoir ce qui va « lui » arriver, dans cet accoutrement. Plaisir du mot juste, si soigneusement choisi par l’auteur. Halte dans la lecture en hommage au temps qu’il a passé à hésiter entre "dépassait" (trop plat), "frisait" (ça fait cheveux !), fronçait" (cela ne veut plus rien dire), "bouillonnait" (qui serait ici un peu excessif), pour finir par choisir ce mot désuet et charmant, mais tellement approprié. On participe, l’espace d’un instant, à cet effort de recherche du mot ad hoc, celui qui, fugitivement, fera naître l’image, transformera la page imprimée en scène vivante.

Voilà bien un des plaisirs de la lecture, une des joies solitaires qu'on s'accorde au bonehur des mots. Il y en a d’autres : celui par exemple d’une rencontre qu’on se ménage, avec des ruses dignes d’un rendez-vous galant, avec le livre. On s’est laissé d’abord, tout doucement, sans faire d’orgie de pages avalées, guider par la main. Moment magique du livre ouvert à la page de garde. Les premières lignes, un peu arides, car les mots sont encore trop neufs. Parfois on a du mal à dépasser ce cap. Parfois on apprend à découvrir les personnages, s'ils n’ont pas été platement décrits mais brossés peu à peu, se révélant au détour d’une ombre portée, d’un souvenir fugitivement évoqué, d’une remarque savamment glissée. Tout est en place et tout nous est familier. Les premières pages avaient demandé un effort, il fallait « rentrer » dans l’ambiance. Mais quand on a pénétré cette intimité, on devient impatient ! C’est alors qu’il faut savoir modérer ses ardeurs, et retarder le moment du plaisir, allonger sans démesure l’attente des retrouvailles. Certains héros nous deviennent amicaux, d’autres nous donnent l’envie de sauter carrément le passage qui les évoque tant ils sont déplaisants.

Au long des pages, le souffle devient plus rapide, et se profile alors la tentation d’accélérer. Le désir de « savoir la suite », voire la fin, devient trop pressant ! Il est rare que l’aventure ne se termine pas par une plongée sans retenue dans ces dernières pages trop longtemps différées. On devient alors inapte à toute conversation, on grommelle quand un fâcheux nous interrompt, et on lève un regard hagard sur celui qui, à force d’insistance parvient à nous tirer un bref instant de notre bouquin. Il y a bien sûr aussi le moment de blues quand tout est terminé, un peu de vague à l’âme et quelques griffures au cœur. Des mots, qui restent, le goût sur la langue de phrases savoureuses, l’impression qu’on est allé trop vite... Certes il est de plus en plus rare qu'un livre me fasse un tel effet, non que je me prenne pour Mallarmé*, mais j'en "avale" tellement que je deviens difficile, voire désenchantée.
- Tu as aimé ?
- Ouais c'était pas mal..
- Mais ?
- Mais rien, oui c'était plutôt bien. Mais...
- Tu vois !
- Rien qui marque vraiment ! 

Et pourtant quel bonheur cette émotion du mot qui frappe juste, du sentiment qu'on avait à fleur de coeur sans savoir l'exprimer, cet insondable plongée dans un univers qui ressemble à celui dont on aurait rêvé dans une autre vie, cette justesse de pensées qui vous atteint dans ce que vous avez de plus intime... Faites-vous alors comme moi ?.. je cherche frénétiquement tous les bouquins écrits par l'auteur et j'en fais ma nouvelle référence littéraire. Parfois l'enthousiasme reste ponctuel et les autres ouvrages déçoivent, parfois on épuise trop vite une oeuvre qu'on voudrait infinie...
Mes derniers coups de coeur ont été pour "L'amour est une île", un Claudie Gallay qui m'a particulièrement accrochée, une écriture dépouillée mais tellement efficace. Dans l'inextricable fouillis du Festival d'Avignon, des anciennes amours remontent comme des bulles mal maitrisées, des intermittents en grève ne savent plus où est leur vraie passion, quelques paumés égrennent leur solitude, et tous apprennent, vaille que vaille, le renoncement. L'autre découverte  du moment, que je n'avais pas envie de finir pour ne quitter ni l'ambiance ni les personnages est "Fugue" d'Anne Delaflotte Medhevi. J'avais aimé sa "Relieuse du Gué", même si j'avais trouvé que cela s'enlisait un peu sur la fin, comme si l'auteure n'arrivait pas à trouver d'issue. Dans "Fugue", pas d'enlisement, tout est fluide comme une musique bien réglée. C'est un livre dérangeant et apaisant à la fois, une douce aventure qu'on aimerait avoir vécue.

* note pour "ma" lectrice italienne
 "La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !"...
Poème la Brise Marine de Stéphane Mallarmé

9 commentaires:

  1. Je fais comme toi, quand je découvre un auteur, j'explore tout ce qui a précédé, jusqu'à saturation ! J'ai aimé "la relieuse du gué" mais pas "fugue" où j'ai trouvé l'histoire sentimentale peu crédible. Je n'ai pas lu encore le dernier de Claudie Gallay, mon préféré reste "dans l'or du temps".

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  2. Je lis très souvent la tête allant vers ...
    Poétiquement
    Veronica

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  3. Ben moi je lis de gauche à droite

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  4. Ce que tu décris Michelaise...! C'est tout à fait ça !
    Le plaisir de retrouver le livre (objet) autant que les personnages, les lieux, l'intrigue... L'envie d'en savoir plus et de dévorer puis enfin, le manque.
    Passe un bon week-end de lectures.

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  5. J'avais beaucoup aimé La Relieuse du gué j'en avais palpé l'atmosphère à tel point que l'an passé lors d'une escapade à Becherel j'étais entrée chez une relieuse et aussitôt j'avais eu l'impression d'être chez la relieuse du gué du reste j'en avais parlé avec propriétaire de la boutique.
    Fugue m'a enchantée cette femme qui contre l'avis de tout le monde suit son idée ce rapport à la musique
    Je n'ai pas lu ce livre de Claudie Gallay j'avais beaucoup aimé Les Déferlantes je vais l'emprunter à la bibliothèque

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  6. Ta lectrice italienne te remercie surtout pour avoir partagé avec tes lecteurs cette relation si intime et passionnée avec chaque livre... qui la mérite. A partir de la rencontre qui ressemble à un rendez-vous galant, jusqu'au blues quand la lecture se termine, en passant bien sur par toutes les étapes intermédiaires (ah, la rage envers tout ce qui "parvient à nous tirer un bref instant de notre bouquin", le téléphone qui sonne par exemple, toujours au moment ou nous sommes plus profondement plongées, entrainées, enfermées comme dans un cocon dans le monde parallèle de notre bouquin...).
    J'ajoute -cela va sans dire- merci pour la note, sans laquelle je n'aurais rien compris de ton allusion à Mallarmé !

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  7. Comment Chic, tu ne lis pas des mangas, moi j'ai appris, grâce à koka et mandarine et maintenant je sais faire !!!
    Aifelle j'avoue que "l'or du temps" n'est pas mon préféré mais je ne sais si tu aimeras ce roman avignonais... faut dire que, fidèle du Festival, j'ai particulièrement apprécié
    Aloïs, je suis contente que tu aies aimé Fugue, la Bartoli nous y pousse un petit air qui fait du bien !!
    Astheval oui oui c'est ça, après on est "en manque"
    Tu vois Siù, finalement c'est passé, et j'aime fort savoir que tu lis de la même façon que moi, pris et difficilement déprise !

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  8. Comme j'aime ce que tu dis du plaisir de la lecture Michelaise...
    Je ressens exactement la même chose... parfois... Et dans ce cas, légèrement masochiste, j'aime cette douleur qu'est l'attente de retrouver mon livre favori... Retarder le moment de la lecture pour mieux se régaler ensuite en dévorant les pages. Mais retarder aussi pour ne pas terminer trop vite et devoir se séparer de personnages dont j'ai presque fait ma famille, mes amis...
    Je n'aime pas quitter ceux que j'aime. Il en est de même pour les héros qui ont su me séduire...

    Encore de beaux titres à ajouter sur ma liste. Merci Michelaise et bon week-end à toi

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  9. Deux auteurs que j'aime bien ! J'ai commandé "la fugue" avant hier à Lectoure ! Coïncidence ????

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