jeudi 1 mars 2012

COMME JAMAIS (III) : surprises

Suite de Comme Jamais (I) et de Comme jamais (II)



Comme Jamais nous a, au détour de quelques salles, été l'occasion de surprises agréables.
L'exposition était l'occasion de découvrir les nouvelles acquisitions du Musée, dont ce superbe Boudin qui, lors de son séjour en 1874  dans la rade bordelaise, réalisa ce "portrait" lumineux, vibrant de voilures et de gabarres, frémissant de vie et d'agitation commerciale. La lumière du soir, à peine annoncé, éclaire ce "voilier blanc" de rais délicats : on sent que le ciel océanique va changer, très vite. Le peintre fit, à l'occasion de ce séjour (il vint 4 fois à Bordeaux) pas moins de 47 vues de la rade : si certaines sont très caractérisées (on peut précisément dire d'où elles ont été peintes, du quai des Chartrons ou de Bacalan), "le voilier blanc" évoque nettement le fleuve mais sans en particulariser le point de vue. De petites dimensions (25.7 x 43.4), la composition n'en déploie pas moins un vaste espace de ciel et d'eau. Au premier plan, sombres et allongées dans l'air du soir, les gabarres s'alignent devant les mâts des voiliers à quai, gris sur un fond enfumé et tout en contre-jour. En contre point, se déploie le grand bateau blanc, toutes voiles dehors, comme une apparition lumineuse et presque irréelle. La tâche centrale, rouge, de la coque de gauche répond à celle de la coque bleue qui, toutes deux, encadrent le sujet du tableau, créant des effets de miroitements de l'eau plein de gaieté. Ce point central de couleur attire l’œil , le fait dévier du voilier blanc, et oblige à un aller et retour, donnant ainsi au spectateur l'impression que ce voilier blanc se balance doucement dans le couchant.



C'est au cours de l’été 1888 que quelques artistes de l’académie Julian se regroupent sous le nom de Nabis. Le mot signifie en hébreu "prophète" et ces artistes, férus de littérature symbolique et d’ésotérisme, partagent quelques convictions artistiques : ils veulent réinventer le langage plastique.  Chaque mois, ils se rassemblent pour échanger et définir les fondamentaux de "leur" peinture : forme synthétiques cernées de sombre, surface plane et prééminence des aplats, couleurs intenses et crues. La tendance menée par Maurice Denis se veut sacrée, soucieuse de renouveler l'art religieux par une simplification primitive des formes. Cette tendance mystique, qui se réclame des primitfs tosancs et de l'art byzanthin, se rebaptise assez rapidement, sous l'impulsion de Denis, de "néo-traditionnisme", ce qui sonne nettement moins bien que Nabi ! Elle s’éloigne peu à peu du courant Degas, plus moderne, inspiré de la photographie et de l'estampe japonaise et qui préfère les sujets issus de la vie moderne, scènes d'intérieur, portraits d'élégantes, scènes intimes ... en privilégiant des cadrages atypiques et un certain penchant pour les motifs décoratifs. 


Parmi eux, on compte d’abord Paul Sérusier, Pierre Bonnard, Maurice Denis, Ranson et Henri-Gabriel Ibels, puis Edouard Jean Vuillard et Ker Xavier Roussel, et enfin Aristide Maillol et Félix Valloton._ Très vite, Paul Sérusier devient une figure emblématique du groupe qui reconnaît dans son tableau, Le Talisman (1888, musée d’Orsay), le manifeste de l’esthétique qu’ils entendent développer. C'est en 1943 que Van Hasselt Willem (1882-1963) a peint cet  Hommage à Vuillard, où Édouard Vuillard est représenté dans son
atelier de la place Vintimille (aujourd’hui place Adolphe Max, Paris 9e). Van Hasselt a regroupé autour du maitre : Pierre Bonnard avec son petit chien. Maurice Denis roulant une cigarette et dans le coin à droite le sculpteur Aristide Maillol. Devant ce groupe, le critique Jacques Salomon se penche vers Ker Xavier Roussel, lui montrant un carnet de croquis. Salomon était ami des Nabis et écrivit plus livres sur Vuillard et ses proches. Au mur, des peintures, dessins et esquisses de Vuillard, à gauche un buste antique qui rappelle que les nabis se réclament de l'esthétique classique et, parmi les pinceaux et objets familiers de l'atelier, en bas à gauche, un livre sur Renoir, peintre que les "jeunes" du mouvement ne désavouaient pas.



Parmi les œuvres qui méritaient la halte, ce petit panneau octogonal de Pier Francesco Mazzucchelli dit il Morazzone, (de son village de naissance près de Varèse(1573-1626). Coutumier des scènes religieuses des plus classiques, il se forma dans les ateliers des derniers maniéristes. Son goût de l'effet et du trompe-l'œil, de tradition lombarde, le bariolage des costumes à l'espagnole, le style néo-vénitien de sa facture en font un des grands initiateurs du XVIIe siècle lombard.
Le sujet de ce petit panneau est, a priori, une Suzanne et les vieillards : c'est du moins ce que la critique ancienne, soucieuse de bienséance, avait décidé. Pourtant on préfère aujourd'hui y voir un marchand d'esclaves.  La touche minutieuse, onctueuse et légère, le coloris raffiné aux tons profonds et chatoyants, la virtuosité du clair-obscur sur le visage des hommes et sur la végétation qui scintille dans l'ombre comme de l'or, le thème impudique, voire confidentiel, tout révèle l'objet luxueux pour cabinet d'amateur.


Vous admirerez le clair obscur illuminant de concupiscence le visage de l'homme au chapeau à large bord qui, sur la gauche du tableau, offre dans sa paume grande ouverte quelques pièces d'or pour la femme qu'il convoite.


Quant au geste indécent du vendeur qui vante manifestement sa "marchandise", il ne peut manifestement pas avoir été conçu pour une scène religieuse, fut-ce celle de Suzanne et les vieillards : toute la lumière est focalisée sur ce corps aux courbes alanguies, et l'oeil du spectateur est irrésistiblement attiré par ce triangle impudique que la main impérieuse va bientôt nous révéler. Entourée d'étoffes rouges, l'albâtre de ce ventre rebondi se voile à peine d'une étoffe légère au travers de laquelle on entrevoit déjà les délices escomptés de l'achat. Le regard du vendeur est éloquent : il va falloir ajouter quelques pièces pour s'offrir ce trésor !


Elle l'a pressenti en lisant l'article consacré à l'exposition, une œuvre contemporaine  suspendue dans le grand escalier, créait, elle aussi, la surprise. "Voyage en France" donnait envie de partir sur les traces de son auteur ! J'ai vraiment ressenti cette impression en déchiffrant, tête à l'endroit, tête à l'envers, les lieux et les dates, les étapes qui jalonnaient cette immense réalisation qu'on découvrait en montant l'escalier. C'est sans doute ce qui l'a accrochée, elle qui n'aime pas trop l'art contemporain d'habitude, mais qui a pressenti que cte artiste était particulier : un marcheur qui "au terme de ses longues randonnées, a été amené à conclure : " Une seule chose à peindre : le sentiment de mystère devant le monde." ! Claude Lagoutte est mort en 1990, et c'est son épouse qui a fait don de l’œuvre au musée. Je cite le document d'accompagnement destiné aux scolaires : "En 1976, le peintre Claude Lagoutte trouve un apaisement après s’être résolu à laisser flotter sa toile, à renoncer au châssis qui la tendait et aux contours stricts qu’il lui imposait. Le rejet des limites du cadre lui permet des extensions, des rajouts, des allées et venues et lui donne le sentiment d’une liberté retrouvée. Mais la souplesse retrouvée ne suffit pas, il faut encore que cette toile par trop lisse, soit triturée, réduite, coupée, découpée en de fragiles bandelettes.
Alors Claude Lagoutte imbibe ces lignes de toiles de pigment et de médium, les replie sur elles-mêmes en un accordéon dessinant des triangles dont il surcharge la surface apparente, à nouveau, de pigments et de médium pour enfin, au pinceau, les marquer d’une écriture (des rayures de couleur par exemple). L’écriture de l’artiste forme un parcours sur l’accordéon de ses souvenirs de voyage. Cette écriture qui trace un dessin régulier de lignes, est transposée sur sa table d’atelier dans les bandes colorées, découpées et cousues
." Certain(e)s égrainent leurs marches de photos, qui, reprises, mises en scène, travaillées, nous racontent l'ambiance de leurs promenades, d'autres en font un rouleau qui parle un peu le même langage.

A SUIVRE

15 commentaires:

  1. Il était une fois... tanto ma tanto tempo fa... à Milan (Palazzo Reale) j'avais visité une expo dont je ne me rappelle plus rien, si non que j'y avais découvert Bonnard et Vuillard et ils m'avaient capturée avec une force irrésistible qui dure encore aujourd'hui... Merci pour cette belle évocation et pour Claude Lagoutte aussi, dont l'oeuvre a l'air d'etre si riche en beauté aussi bien qu'en secrets à dévoiler...

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    1. Des peitres attachants en effet Siu, ravie que tu les apprécies

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  2. La maison de Maurice Denis à Saint Germain en Laye est un havre de paix à quelques kilomètres de Paris.
    Merci pour la découverte de Claude Lagoutte, des histoires de vie passionnantes.

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    1. Que voilà une bonne idée de visite, Evelyne, sauf que nous n'avons jamais le temps... mais un jour viendra !!!

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  3. Bonjour, Michelaise.

    Oui, de surprises en surprises , de variétés en variétés et d'émotions en émotions...
    L'art est riche en navigation...
    Merci beaucoup.

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    1. Ah oui, plus ça va, plus je suis sensible aux surprises de l'art ! bises herbert

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  4. Belle visite. J'aime particulièrement le Boudin. Quelle lumière, et la légèreté du ciel!

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    1. Boudin, c'est vrai, c'est toujours une fête de la lumière

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  5. Je n'étais pourtant pas confortablement installée mais j'avais réussi à être captivée par cet article.
    J'avais hâte de savoir comment ce rouleau était présenté.
    Je me répète mais la conclusion de l'auteur était celle-ci :
    Comment comprendre Voyage en France si l'on méconnaît les longues marches solitaires du peintre qui font partie intégrante de son œuvre?
    Ses Carnets du Tibet sont un régal

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    1. Je n'ai pas trop osé prendre de photos du rouleau qui était juste devant les gardiens !!! mais ce sentiment de "marche" on l'avait vraiment en parcourant les étapes de cette étonnante oeuvre caminatoire (??!!)

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  6. Avec Lagoutte, je m'envole !!! On en faisait réaliser des livres-accordéons par les petits enfants de maternelle...
    Boudin, bien sûr, me fait rêver de courses lointaines et ses ciels !!!!

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  7. Allons pour le décollage... l'idée est intéressante pour des petits, histoire d'apprendre la continuité du processus créatif. Bravo, Enitram

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  8. Boudin est un incontournable pour qui visite Honfleur et ses ciels, dont parle Enitram, sont vraiment toujours superbes...
    Quant à Lagoutte, tout en lisant ton article, je pensais couture, tricot, rajouts... exactement le principe de l'accordéon dont parle Martine dans son com...
    Bonne soirée et bon dimanche à toi Michelaise

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    1. J'ai aussi admiré ta finesse pour parler de ce petit tableau et de son sujet qui aurait pu être scabreux. Bravo !

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    2. Merci Oxy de ton attention : le sujet certes est scabreux, mais finalement cela rend la lecture encore plus passionnante !

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