samedi 19 mai 2012

AMITIES SICILIENNES



Comment décidez-vous vos itinéraires de voyage ? Chez les Michelais, autrefois, nous faisions des circuits "touristiques", ayant à cœur de tout découvrir et désir de ne rien rater. Il s'ensuivait une certaine tension, il fallait faire efficace et ne pas trop trainer. Mais les voyages succédant aux voyages, et une certaine sagesse s’installant, nous avons totalement modifié notre pratique au point de ne rien préparer, faisant confiance au hasard pour nous inventer des surprises. Seul le choix de nos chambres d'hôtes mobilise encore notre énergie, tant il est vrai qu'il est bon de se sentir bien quelque part, pour mieux apprécier son séjour. Ce sont finalement ces haltes qui, si elles sont accueillantes et agréables, sculptent notre périple. Quand on est bien, on s'incruste !


Morigénés par Mandarine qui prétendait que nous n'avions rien vu de la Sicile lors de notre dernier voyage, nous avions décidé d'aller "vers Syracuse". Notre première halte fut choisie en fonction d'un objectif dont j'aurai l'occasion de faire un billet, l'achat d'un onguent qui me tenait fort à cœur à Piazza Armerina. Nous avons donc élu Caltagirone, et son Piccolo Attico. Un appartement en plein ciel, justement mérité après une joyeuse grimpette de 4 étages, pas toujours évidente après des agapes un peu trop arrosées, et qui offrait une splendide vue sur l'Etna, un confort exemplaire, la possibilité de dîner sur place en cas de fatigue, et surtout un accueil chaleureux. 
Réservée le premier jour, il en est toujours ainsi avec les siciliens, notre hôtesse nous a rapidement adoptés. Le lendemain elle nous contait dans les détails la vie de son père, tunisien d'origine italienne. C'est le "bisnonno", comprenez le bis-aïeul, de cette dame qui avait décidé d'aller s'installer en Tunisie. Il y avait acquis maison, famille, affaire et champs quand survint la dernière guerre. Il fallut alors, n'ayant pas opté pour la nationalité tunisienne, que son petit fils, le père de cette dame, choisît son camp : la France ou l'Italie. De l'Italie, il ne connaissait rien, n'y avait jamais vécu mais, le gouvernement mussolinien avait eu soin d'offrir aux enfants de ses ressortissants émigrés en Tunisie, des camps d'été dont le gamin conservait forcément un joyeux souvenir. C'est ainsi qu'il s'enrôla dans l'armée italienne, ce qui lui valut, à la Libération, d'être fait prisonnier des français et de subir 4 ans de détention. Puis libéré, il fallut prendre une décision, devenir français, tunisien ou italien. Il prit cette dernière option et se vit prier de "rentrer" en Italie. Installé en Sicile, il épousa une jeune fille du cru mais il n'avait qu'une envie, lui qui ne parlait qu'un sabir d'arabe et français mêlés, c'était de retourner au pays. Là-bas, il y avait la petite affaire de mécanique de son père, florissante, alors qu'en Sicile il n'était que cantonnier.

 Petit matin brumeux sur Caltagirone

La mamma de sa dulcinée, effrayée à l'idée de "perdre" sa fille, pria fort la Madonna, tant et si bien que le gendre un jour se blessa, son doigt s'infecta et, de fil en aiguille, il resta hospitalisé 6 mois. Autant dire que les projets de départ en Tunisie se trouvèrent remisés au placard et qu'à sa sortie, il n'eut plus qu'à rendre, lui aussi, hommage à la Madonne de l'avoir tiré de là. Si bien que, finalement il resta en Sicile. Il y vit encore, entouré d'enfants et de petits enfants plus italiens que nature, et qui lui ont offert, pour ses 80 ans, un voyage en Tunisie. Le papy tout ému a voulu revoir les lieux de son enfance et, de fait, il a réussi à retrouver sa maison, inchangée ou presque : la balustrade qui l’encourait avait simplement été enlevée et reposée sur un mur assez haut pour, selon notre hôtesse, mieux "cacher les femmes". Il osa frapper à la porte, expliqua en arabe au nouveau propriétaire qu'il faisait un "pélerinage", et ce dernier lui dit d'attendre et revint avec son propre père, 80 ans aussi et aveugle. Et soudain les deux vieux tombèrent dans les bras l'un de l'autre : le nouveau propriétaire de la maison était l'ancien ouvrier du père du sicilien et avait racheté la maison à la mort de ce dernier.
Toute l'histoire nous fut contée dans les détails, photographies à l'appui car les "jeunes" avaient pour l'occasion, confectionné un livre pour le papy, avec pièces d'archives, souvenirs et photos en tous genres.


Nous avions presque l'impression de faire partie de la famille, et lorsqu'il fut question d'attendre le mardi pour aller visiter le musée de la céramique, c'est avec plaisir que nous décidâmes de rester une nuit de plus à Caltagirone. Du coup, notre hôtesse, le dernier matin, se leva dès potron-minet pour nous confectionner des cannoli tous frais, croustillants et crémeux à souhait, et un autre gâteau très proche du cannolo dont j'ignore le nom. Au lieu de farcir la pâte après cuisson, on remplit une sorte de chausson qui est tout entier plongé dans la friture : l'intérieur est alors encore plus moelleux et on se damne une seconde fois. Notre hôtesse s'est excusée de ne nous faire ces douceurs que le dernier matin, car, disait-elle, le dimanche, elle n'avait pu se procurer de ricotta fraiche et il lui fallait préparer tous ses ingrédients la veille pour finir les gâteaux au aurores, juste avant notre lever. Je préfère penser qu'elle nous a ainsi régalés pour fêter notre départ !


De là, il fallait trouver un deuxième point de chute. Nous avions, entre temps, décidé que la découverte approfondie des merveilles du Val de Noto s'imposait et qu'il fallait trouver un endroit calme pour affronter le 25 avril, jour de la fête nationale, objet d'une grande agitation. C'est ainsi que nous nous avons opté pour l'Eremo Madonna delle Grazie, ancien ermitage capucins perché au-dessus d'Avola, à parfaite distance de Noto, Modica, Syracuse et compagnie. Nous pensions y passer deux jours, nous y finîmes le séjour tant nous y étions bien !! On trouve toujours des choses à visiter en Italie et cela nous a permis de parcourir la région, qui est sublime, sans hâte et avec gourmandise.
Il faut dire que le lieu était magique. Sans doute la plus belle chambre d'hôte qui nous fut jamais donnée. Imaginez : un lieu perché au-dessus d'un relief de vallées encaissées, sauvages, presqu'aussi beau que le causse de Rocamadour, et surplombant une mer d'un bleu profond, azuréen. C'est tellement beau qu'on ne peut le décrire, il FAUT y aller ! Là, un ermitage isolé mais pas "peureux", d'un calme parfait, avec des cellules de moines, petites certes mais pourvues d'un réel confort. Un simple lit face à la vue décrite plus haut, un fauteuil pour déguster un petit apéro, bref, un lieu de rêve.


L'ermitage, propriété de l'ordre des capucins, a été récemment restauré avec goût, et pourvu de ce qu'il est convenu d'appeler "tout le confort". Une coopérative de 8 femmes, qui ont décidé de promouvoir "l'écotourisme", s'est constituée. Trois d'entre elles gèrent l'ermitage, auquel s'adjoint l'été un restaurant qu'elles veulent de qualité ("zéro kilomètre" : le chef a déjà fait son jardin pour avoir sur place herbes et légumes !!), tandis que les autres tiennent une agence de voyage à Syracuse ou viennent donner un coup de main l'été. Elles prônent le tourisme "alternatif" et culturel, et privilégient hospitalité et qualité. Autant dire que l'accueil était vraiment amical, chaleureux et plein d'attention. Le petit déjeuner était, bien sûr, très copieux, avec de vrais fromages siciliens, une huile d'olive parfumée à souhait, des croissants tout chauds, thé, café, une vraie "spremuta" d'orange chaque matin... à consommer sur la terrasse face à la mer et aux gorges, ou à l'intérieur lorsqu'il fait trop chaud. Soucieuses d'offrir une halte enrichissante à leurs hôtes, elles ont baptisé chacune de leur chambre du nom d'un écrivain ou d'un artiste ayant aimé et chanté la Sicile. Il y a la chambre Goethe, la chambre Cicéron, la chambre Camilleri, celle de Lampedusa, une chambre dédiée à une certain Jean-Pierre Houël, un peintre breton qui a peint la Sicile... La nôtre était attribuée à Vincenzo Consolo, dont nous avons illico acheté les bouquins au retour !! Pour ne pas périr idiots !


Au moment de partir, impressionnée par l'ambiance littéraire du lieu, je me suis fendue d'un sonnet à la gloire de l'Eremo, en alexandrins fort pompeux, que j'ai inscrit sans complexe dans le livre d'or. Ah non !!! je ne vous le livrerai pas, pas envie d'entendre vos rires indulgents. D'ailleurs si vous voulez le lire, vous savez ce qu'il vous reste à faire, vous n'avez plus qu'à aller vous installer une petite semaine à l'Eremo Madonna delle Grazie, vous m'en direz des nouvelles ! L'endroit est stratégiquement fort bien situé et vous ne vous ennuierez pas ! D'autant que Rita, mais non pas la sainte de mes délires, Rita, une des 8 jeunes femmes qui gèrent l'Eremo, organise des week-ends théâtre (si Eschyle vous tente !!) durant tout l'été, des promenades dans la belle nature alentour durant le mois de mai et elle a encore beaucoup d'autres projets !!

Ayant finalement dû renoncer à cet endroit de rêve, notre dernière nuit sicilienne a été pour Balestrate, un village fort calme (hors saison !!) situé près de l'aéroport de Palerme, décollage le lendemain, où nous avons retrouvé avec plaisir Guiseppe et Paola, nos hôtes de la casa Ruffino, il y a trois ans, devenus grâce à une correspondance mail régulière, "nos amis siciliens". Histoire d'admirer les travaux d’embellissement de Guiseppe, de faire de grands abbracci à Paola que nous étions vraiment contents de retrouver, de se gaver de poulpes et de pâtes aux oursins au "caboulot du coin", et de suivre un peu la campagne électorale locale ! Bref, si l'on continue ainsi, on ne découvrira plus la Sicile, on y fera des tours pour visiter les amis !!



14 commentaires:

  1. Ouaaah faramineuse cette vue mais quatre étages impossible pour ma Dame.
    Heureux d'avoir contribué à une bonne soirée parisienne et je serai preneur de l'adresse de la location. J'aimerai aussi parler stage piano pour mon fils sur un mode plus confidentiel que par blog !!!!
    Mardi nous partons pour les Cotswolds en s'inspirant de ta philosophie : un point de chute puis promenades au grès de l'humeur du temps.

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    1. pas de problème robert dès que tu veux (ou peux) je mets mon email disponible pour que tu puisses m'envoyer un mail ... ainsi tu auras mon adresse email

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    2. Robert j'ai mis mon adresse email dans mon profil (tout en fait en bas du blog) si tu veux m'envoyer un mail je répondrai dès que possible

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  2. Un bon moyen, si on a la chance de bien tomber, pour connaître en effet le pays de l'intérieur ce type d'hébergement, loin des hôtels-usines à touristes!
    et les cannoli du matin donnent des envies de douceur, rien qu'en photos!

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    1. d'excellentes adresses eimelle que je ne saurais trop recommander ! amicales et accueillantes

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  3. Mille excuses pour le grès !!!! c'est terrible de publier sans se relire .

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  4. Tu as donc retrouvé le fabricant qui avait déménagé.
    Lorsque nous partons hors saison nous ne réservons jamais à part cette année c'était exceptionnel
    Seul le soir de l'arrivée ensuite c'est au petit bonheur la chance et nous n'avons jamais été déçus ni obligés de dormir dans la voiture!

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  5. Nous avons réservé depuis la sicile mais comme on était trop bien, nous y sommes restés
    En fait le fabricant vit en Italie du Nord l'hiver et vient au printemps en sicile fabriquer son onguent... apprenant ma mésaventure il m'a dit, à propos des contrôleurs de l'aéroport "che bastardi", ce qui me semble bien qualifié !!!

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  6. Je suis justement épuisée de ces organisations militaires, aujourd'hui, si je pars, je musarde, plus de programme!
    Je crois d'ailleurs que cela a quelque peu altéré l'ambiance des vacances en famille, je rêve de partir seule!

    Quant à votre périple de chambres d'hôtes j'en suis abasourdie, j'ai encore en image le Val de Noto, vivre tant de beautés c'est donc permis?
    Quant à l'histoire du "papy" elle est si touchante que je loue votre bon cœur de nous l'avoir racontée. Vraiment.
    Merci pour la belle page.
    Bon dimanche.

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  7. Espiègle Michelaise, qui nous refuse un sonnet de sa composition! Les adresses sont notées, mais pour quand, c'est une autre histoire...Celle du "bis nonno" est en tout cas très émouvante.
    Merci de ce charmant récit et bon dimanche!

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  8. Quel beau périple tu nous contes là Michelaise... J'aime l'historie des "retrouvailles" des deux papys, la gentillesse de tes hôtes, ces amitiés qui se créent au fil des rencontres et des mails... Mais j'envie aussi le fait que tu puisses communiquer en italien.... Quelle richesse que de savoir parler plusieurs langues... J'en suis malheureusement incapable et je sais que je perds beaucoup de choses à cause de ces lacunes.
    En ce qui concerne l'organisation de nos vacances, je me rappelle avec grand plaisir un voyage au Portugal où nous avions juste réservé les deux premières nuits, nous fiant ensuite à nos envies et aux conseils du "Routard"... Un bonheur et une totale liberté de découvertes...
    Bon dimanche à toi :-)

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  9. Si je devais choisir entre les deux chambres d'hôtes c'est la deuxième que je réserverais! Ah le charme et la beauté des vieilles pierres et les lieux d'Histoire §
    Ce lieu me rappelle un ancien couvent où nous nous étions arrêtés 8 jours, à Canari en Corse, avec vue sur l'étendue bleue...
    Bon dimanche!
    Hier, impossible d'envoyer mon com ????

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  10. Je ne pourrai malheureusement jamais lire tes alexandrins : l'eremo madonna delle grazie a fermé, le lien est devenu inactif et lorsqu'on contourne la difficulté en allant sur Booking.com, le message est sans ambages, il tombe comme un couperet : "Nous sommes désolés, mais il est impossible d'effectuer une réservation pour cet établissement." Mais je compte bien marcher sur tes pas, en allant à Caltagirone : l'appartement est très tentant. Car la Sicile sera à l'honneur en 2014, avec pas moins de 2 voyages : un premier en mars, un second en mai/juin... Cela fait deux heures que j'épluche ton blog, qui m'inspire diablement! Merci pour ces bonnes adresses et bonne année à toi et Alter!

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    1. Mais c'est une catastrophe !! l'endroit le plus idyllique qui soit ne pourrait plus nous recevoir !! Non, je me refuse d'y croire

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