Seule dans la salle d'entrée du musée, face à un miroir
déformant qui attirait l'attention et invitait à l'arrêt, cette peinture du XVIIème italien nous a posé quelques problèmes interprétatifs. Le thème,
"perceptions, réflexions" incitait à aller plus loin que le titre
sommaire attribué à cette peinture de Giovanni Do (1604-1646), un
espagnol qui vécut et travailla à Naples. Né à Jàtiva, il entre très jeune en peinture puisqu'on trouve trace de lui dans un atelier de Valence en 1617. Puis il part à Naples, on sait qu'il y vit dès les années 20. D'abord assistant puis associé de Ribera, il est de toute évidence reconnu par ses contemporains. Mais, il semble que sa famille et lui-même aient péri dans la grande peste qui sévit à Naples en 1646, et sa trop courte vie n'a pas permis que sa notoriété soit suffisante : les siècles suivants l'ont oublié.
Ce n'est qu'assez récemment qu'on l'a identifié comme étant "le maître de l'Annonciation aux bergers", et les études sur son style ont permis de reconstituer son opus. La personnalité de Giovanni Do a été identifiée et certaines de ses toiles, auparavant attribuées à Bartolomeo Bassante ou à Ribera, lui ont été "rendues". Do est aujourd'hui reconnu comme un artiste du premier plan, qui a joué un rôle important dans le cadre du mouvement de peinture naturaliste baroque ayant dominé l'école napolitaine durant la première moitié du XVIIe siècle.
L'influence
conjointe du Caravage et de Ribera (témoin de son mariage avec la sœur
de Rosa en 1626) se lisent clairement dans le contraste d'ombre et de
lumière de ce tableau intitulé "un maître et son élève". Un homme à la
barbe grisonnante, le maître à n'en pas douter, présente à l'élève un
miroir que le jeune homme fixe ardemment, sans qu'on n'y lise aucun
reflet. Derrière, des livres, que le maitre semble négliger, préférant offrir la voie de la réflexion à son disciple, ce qui pourrait faire penser au Cogito de Descartes, énoncé la première
fois en 1637. Rien d'incongru alors à une interprétation philosophique de la toile, même si l'on peut sérieusement douter que le Discours de la Méthode ait fait partie des lectures quotidiennes du jeune Do !
Par contre, le vaste courant de réappropriation des auteurs anciens par les humanistes, avait ravivé la théorie socratique, que le peintre peut fort bien avoir illustrée pour un commanditaire lettré. C'est en tout cas l’interprétation qu'en offre le conservateur du musée des Beaux Arts. "Le maître tendrait le miroir à l'élève pour qu'il y trouve la vérité du monde, délaissant les livres en arrière plan qui ne peuvent que l'en écarter." Pourquoi pas Socrate donc ? Ribera n'a-t-il pas peint Cratès de Thèbes, Diogène, Archimède, Démocrite, Platon et tant d'autres ! Les philosophes grecs étaient dans l'air du temps, dans l'atelier napolitain.
Par contre, le vaste courant de réappropriation des auteurs anciens par les humanistes, avait ravivé la théorie socratique, que le peintre peut fort bien avoir illustrée pour un commanditaire lettré. C'est en tout cas l’interprétation qu'en offre le conservateur du musée des Beaux Arts. "Le maître tendrait le miroir à l'élève pour qu'il y trouve la vérité du monde, délaissant les livres en arrière plan qui ne peuvent que l'en écarter." Pourquoi pas Socrate donc ? Ribera n'a-t-il pas peint Cratès de Thèbes, Diogène, Archimède, Démocrite, Platon et tant d'autres ! Les philosophes grecs étaient dans l'air du temps, dans l'atelier napolitain.
Cependant,
si les livres semblent rejetés, il faut remarquer qu'une lumière
improbable, surgie de nulle part (la source lumineuse vient de la gauche
du tableau et, techniquement, les livres devraient être plongés dans
l'ombre), les impose comme le point le plus lumineux de cette scène
énigmatique. Ils émettent leur propre clarté et, à ce titre, sont intrigants. Sont-ils à rejeter, comme le suggère le commentaire, ou au contraire sont-ils la source de
tout savoir, venant éclairer notre monde obscur ? Et surtout, de quels écrits s'agit-il ?
Nous sommes au XVIIème siècle, ne l'oublions pas, et la philosophie des
Lumières n'est pas encore formulée : la théorie copernicienne a été condamnée par le Saint Office en 1616, et si Galilée n'est pas inquiété à ce moment-là, l'interdiction de son "Dialogo" en 1633 fait grand bruit et sème la panique dans les milieux intellectuels. Descartes lui-même renonce à faire paraître son "traité du monde et de la lumière".
Galilée abjure, selon une formule concoctée par le Vatican et qui est restée gravée : « Moi, Galileo, fils de feu Vincenzio Galilei de Florence, âgé de soixante dix ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté, ayant devant les yeux et touchant de ma main les Saints Évangiles, jure que j'ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l'aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église Catholique et Apostolique affirme, présente et enseigne. Cependant, alors que j'avais été condamné par injonction du Saint Office d'abandonner complètement la croyance fausse que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n'est pas au centre du monde et se déplace, et de ne pas défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit, par oral ou par écrit; et après avoir été averti que cette doctrine n'est pas conforme à ce que disent les Saintes Écritures, j'ai écrit et publié un livre dans lequel je traite de cette doctrine condamnée et la présente par des arguments très pressants, sans la réfuter en aucune manière; ce pour quoi j'ai été tenu pour hautement suspect d'hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n'est pas le centre, et se meut..."*
Galilée abjure, selon une formule concoctée par le Vatican et qui est restée gravée : « Moi, Galileo, fils de feu Vincenzio Galilei de Florence, âgé de soixante dix ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté, ayant devant les yeux et touchant de ma main les Saints Évangiles, jure que j'ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l'aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église Catholique et Apostolique affirme, présente et enseigne. Cependant, alors que j'avais été condamné par injonction du Saint Office d'abandonner complètement la croyance fausse que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n'est pas au centre du monde et se déplace, et de ne pas défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit, par oral ou par écrit; et après avoir été averti que cette doctrine n'est pas conforme à ce que disent les Saintes Écritures, j'ai écrit et publié un livre dans lequel je traite de cette doctrine condamnée et la présente par des arguments très pressants, sans la réfuter en aucune manière; ce pour quoi j'ai été tenu pour hautement suspect d'hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n'est pas le centre, et se meut..."*
Ribera, toujours lui, n'hésite pas à peindre, pour symboliser la vue, en plus des lunettes et du miroir, un astronome tenant une lunette forcément galiléenne ! On pourrait donc, avec une certaine audace, voir dans ces livres écartés mais pourtant lumineux, l'affirmation discrète d'une certaine résistance à la sentence vaticane, mais cela me semble par trop osé.
Mais il est, dans la toile de Do, un aspect qui surprend plus encore que ces livres semblant dispenser leur propre lumière, et qui force à pousser un peu plus la réflexion. Le miroir, censé apporter une meilleure connaissance de soi à l'élève, est obstinément noir. Pire, recevant théoriquement la lumière en provenance de la gauche du tableau, il devrait au moins refléter des lueurs éclairantes sur la face attentive du jeune homme. Or, et c'est frappant quand on voit la toile dans son ensemble, le visage de ce dernier est barré d'une ombre inopportune et plutôt mal venue, qui "casse" la lecture de façon presqu'inesthétique. Comme cette obscurité s'étend sur la partie basse du visage, on pourrait imaginer que son esprit, éclairé par la parole et les conseils du maitre, n'est pas encore assez imprégné de sagesse pour lui permettre de parler. Mais là encore, c'est un peu tiré par les cheveux.
Je préfère, quant à moi, remettre la toile dans son contexte, forcément religieux, nous sommes à Naples dans les années 1630-1640, et on peut se permettre une lecture de la toile à la lumière des Écritures.
Dans cette optique, une référence à la première lettre de Saint Paul aux
Corinthiens serait tout à fait réaliste : dans le chapitre 13, Saint
Paul explique que, quelques soient nos connaissances et notre
compréhension des mystères, sans l'Amour, nous ne sommes rien, nous ne
savons rien.
"Supposons que je parle les langues des hommes et même celles des anges : si je n'ai pas d'amour, je ne suis rien de plus
qu'un métal qui résonne ou qu'une cymbale bruyante.... Les messages divins cesseront un jour, le don de parler en des langues inconnues prendra fin, la connaissance
disparaîtra. En effet, notre connaissance est incomplète et notre annonce des messages divins est limitée ; mais quand viendra la perfection, ce qui est incomplet disparaîtra.... A présent, nous ne voyons qu'une image confuse, pareille à celle d'un vieux miroir ; mais alors, nous verrons face à face.
A présent, je ne connais qu'incomplètement ; mais alors, je connaîtrai Dieu complètement, comme lui-même me connaît (verset 12)"(traduction de l'Alliance Biblique, en français dit "courant")
Le
face à face est évident et l'absence de reflet semble confirmer que ce
miroir est vision vers un autre que soi-même, dépassement de soi,
accession à une dimension plus large du champ de la "connaissance". Cette
interprétation expliquerait que les livres ne sont pas rejetés mais
simplement mis à l'écart, secondaires. Cela justifierait aussi l'ombre
qui se répercute sur le visage du jeune homme, pas assez imprégné de
sagesse pour être, encore, ouvert à la lumière.
Elle permettrait aussi de mieux comprendre le silence écrasant de cette leçon, où tout n'est que geste : le maître s'adressant autant à nous qu'à son disciple, montrant, par son front plissé et son air vaguement interrogatif, qu'il a compris le message de Paul. Il nous invite à le suivre, mais il n'est pas encore dans la Vision du Face à Face divin. Il sait, il transmet le message que les livres saints lui ont révélé, peut-être finalement sont-ce ces épais volumes qui accrochent la lumière derrière le miroir... mais même lui, le maitre, n'est pas encore dans la connaissance parfaite.
* Pour le texte complet, voir Texts from The Galileo Affair : A Documentary History, edited and translated by Maurice A. Finocchiaro
Elle permettrait aussi de mieux comprendre le silence écrasant de cette leçon, où tout n'est que geste : le maître s'adressant autant à nous qu'à son disciple, montrant, par son front plissé et son air vaguement interrogatif, qu'il a compris le message de Paul. Il nous invite à le suivre, mais il n'est pas encore dans la Vision du Face à Face divin. Il sait, il transmet le message que les livres saints lui ont révélé, peut-être finalement sont-ce ces épais volumes qui accrochent la lumière derrière le miroir... mais même lui, le maitre, n'est pas encore dans la connaissance parfaite.
FIN des articles sur l'exposition de Bordeaux "Comme Jamais"
...ou bien l'art d'etre érudite sans etre annuyante du tout (clin d'oeil au billet précédent).
RépondreSupprimer... ou juste un peu !! Mon billet est fort long et j'en suis très gênée mais j'avais vraiment envie de regarder longtemps cette toile, puissante, intrigante !! Merci Siu de me suivre avec toujours autant d'ardeur !
SupprimerVotre analyse à la lumière du message de Saint Paul remporte mon adhésion, Michelaise. En ce qui concerne la composition, on peut remarquer, peut-être, qu'elle repose essentiellement sur la figure du triangle qui symbolise la spiritualité : l'oeil et la main du maître et l'oreille du jeune homme (certainement un triangle équilatéral légèrement incliné, mais dirigé vers le haut); les deux mains du maître et l'oeil du disciple ; les deux mains du maître et celle de l'élève à l'avant (ces deux triangles dirigés vers la lumière); etc...
RépondreSupprimerMerci pour votre publication. Bonne journée!
Anne
Que oui Anne, j'ai suivi "vos" triangles et en ai trouvé, comme le dit votre "etc..." bien d'autres ! J'avoue avoir négligé cet aspect, car ces "mises en page" ne m'ont pas sauté aux yeux, comme dans d'autres compositions "simples"... bravo d'avoir rajouté de point important, le triangle, la trinité, les trois intervenants dans le sujet de la toile (le maitre, le disciple et Dieu) bref, cela a aussi une grande importance.
SupprimerJ'avais eu une autre explication des triangles
RépondreSupprimerAmusant le jeu des miroirs patience tu comprendras pourquoi
Je sens que tu nous concoctes un jeu de reflets !!! quant au triangle, c'est un des symboles auquel on attribue sans doute le plus de sens, parfois de façon débridée !!
Supprimerune bonne idée ces miroirs déformants, regarder autrement, c'est intéressant aussi!
RépondreSupprimerCela permet de regarder vraiment car l'attention est mobilisée !
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