lundi 14 mai 2012

WEEK-END BAROQUE


Nous nous disions, preuve en est que nos blogs finissent par tenir une place non négligeable dans nos vies "GF hurlerait au scandale !!". Comme Pauline Viardot qui, lorsque la version d'Orphée de Glück, revue et corrigée par Berlioz, fut publiée, vit dans ce montage "un compromis hybride et monstrueux". Pourtant le génie de Berlioz, mis au service de la réhabilitation de Glück qu'il admirait tant, offrit à Orphée un succès qui ne s'est jamais démenti. Cela a aussi ouvert la voie à de perpétuels remaniements, qui font forcément gronder GF mais qui font revivre l’œuvre en lui assurant une intemporalité, dans le genre souverainement apprécié de nos jours du "work in progress". Outre ses réaménagements d'ordre structurel, le travail de Berlioz porte sur des choix de réorchestration dus à la tessiture d'Orphée (ici une mezzo), une mutation des instruments de l'orchestre et de légères adaptations d'un livret jugé suranné. Là où Berlioz a choisi de supprimer de nombreux passages prévus par Glück pour le ballet, le chef Geoffrey Jourdain l'a suivi et a même réalisé d'autres coupes en ce sens, pour resserrer l'action. Par contre, il a pris sur lui de réintroduire l'Air de Furies et le superbe trio Tendre Amour auxquels Berlioz avait fait un sort. Ce qui est, avouons-le, bien regrettable !! Ces airs sont sublimes. Quant à la fin, la fameuse fin qui peut-être tour à tour "une" "lieto fine" de convention ou celle que Berlioz lui a substitué, Jourdain n'a retenu ni l'un ni l'autre, préférant réhabiliter en guise de conclusion une gavotte de la suite de ballets que le musicien allemand avait laissée de côté.


Le spectacle bordelais a été monté avec les jeunes voix de l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris, dans une mise en scène de Dominique Pitoiset. Les chœurs, qui ont dans cette pièce une place de choix, étaient superbes : sans effet gratuit, sans ostentation, mais avec une intense profondeur, une infinie poésie, ils liaient l'action avec une magnifique qualité d'interprétation. Les interprètes étaient en alternance, et je crains que nous n'ayons pas fait la bonne pioche. Mais pour ne pas faire de peine, je ne dirai pas quel soir nous y étions car après tout les insuffisances des solistes n'avaient rien de dramatique ! Et place aux jeunes, n'est-ce pas ? Enfin, la direction était franche, claire, précise et très vive, ce qui ne gâchait rien.
Par ailleurs, la mise en scène de Pitoiset, le directeur du TNBA, nous a enchantés : il dit le deuil impossible dans un langage contemporain qui, respectant la psychologie de ce drame, était très habile. Une mise en scène très moderne : un "deux pièces cuisine" du meilleur aloi, accueillait les égarements d'Orphée dans une ambiance de série policière, où le choeur "antique" gardait cependant toute sa place. Dans ce lieu de l'absence où chaque objet rappelle la disparue, les ombres hurlantes de l'enfer s'accommodaient fort bien de la contemporanéité de la mise en scène. Après tout ce qui compte, c'est la permanence de la douleur qui déchire le survivant quand l'aimé disparait, et la folie qui s'empare de lui, au point de le rendre capable de toutes les audaces.


Bordeaux jouant la carte des spectacles ouverts aux "étrangers" (il y avait foule d'anglais, espagnols et autres "non girondins" ayant suivi cette excellente initiative de "deux opéras en deux jours"), nous avons pu voir un deuxième opéra, Alcina de Haendel, dans une mise en scène très inventive. La partition est, GF le dirait mieux que moi, superbe : un concentré exceptionnel d'airs d'une délicatesse infinie, et même si les états d'âme et les déchirements sentimentaux de la sorcière Alcina sont un peu pesants, on peut les écouter sans nécessairement "occuper" le public pour éviter qu'il s'ennuie. C'est ce que faisait un peu trop la mise en scène de David Alden qui, dans une sorte de Jardin des Plantes à la professeur Tournesol, frisait parfois l'agitation ! Pourtant tout était réglé au cordeau et les chanteurs-acteurs étaient au top du professionnalisme. Ne crachons donc pas dans la soupe, d'autant qu'on a souvent souri, bien que le drame soit patent et l'esprit du livret bien respecté ! Car Alcina est un opéra merveilleux, qui abonde en transformations magiques et en effets surnaturels et les effets de scène ne sont pas déplacés.


J'ai trouvé la direction de Harry Bicket manquant parfois un peu de vigueur, mais avec de forts bons moments tout de même. Il souligne avec une évidente attention le caractère incandescent des personnages, et respecte  à la lettre l'intense inspiration mélodique de l’œuvre.… Parmi les voix c'est surtout la très inspirée Isabel Leonard qui nous a particulièrement séduits. Pourtant, elle était souffrante et, la veille on avait dû mettre en place pour la remplacer un système de playback assez inusité "Mme Isabel Leonard étant vocalement souffrante, le rôle de Ruggiero sera chanté par Mme Barbara Senator depuis une loge d'avant-scène (Mme Leonard demeurera parallèlement présente sur scène pour répondre aux exigences de la mise en scène)." Il faut dire que les jeux de scène sont très complexes, que le metteur en scène demande aux chanteurs une vraie prestation scénique. Si l'on peut chanter au pied levé un rôle, il semble impossible de jouer avec précision un spectacle aussi complet si l'on ne fait pas partie de la distribution. Dans le rôle d'Alcina, Elza van den Heever s'est révélée inégale, parfois très émouvante, parfois un peu déroutante quand l'air exigeait de la virtuosité. Morgana, jouée et chantée par une Anna Christy plus Betty Boop que nature, drôle, enlevée, légère et pourtant sûre, était la troisième voix intéressante de cette distribution.

8 commentaires:

  1. C'est vrai que côté remplacements, ce ne doit pas être simple!
    Il me semble que l'opéra de Bordeaux présente de belles saisons, on en entend souvent parler en bien, il faudrait que je me décide un jour à y programmer un week-end opéra, je vais voir si la saison 2012-2013 y est parue.
    Bonne journée!

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    1. Oui, quand la diva est plantée sur la scène comme un piquet, il suffit d'une autre bonne voix pour la remplacer, mais quand la mise en scène est aussi complète, chant, gestes, danse il faut coupler les deux !! drôle de ballet alors ! mais nous, nous avons eu "la malade" et cela allait très bien !

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  2. Mon point clé dans l'Orphée et Eurydice, à l'intérieur de l'air "Che farò senza Euridice" et tout après les mots "Che farò ? Dove andrò ? Che farò senza il mio ben ? Dove andrò senza il mio ben ?" ce sont les deux "Euridice.... Euridice !!!!!!", là où j'assume pleinement la responsabilité de cette ponctuation, car j'estime que ce deuxième "Euridice", après le premier... encore un peu hébété... doit etre crié de façon absolument terrifiante, aux antipodes donc de "bien chanté".
    N'est-il pas le cri définitif de quelqu'un qui, dans un état d'ame tragiquement désespéré, se sent définitivement perdu ? C'est ce que je crois, sinon il ne dirait pas, dès qu'il se remet un peu et recommence à penser : "Ah ! Non m'avanza più soccorso, più speranza nè dal mondo, nè dal ciel !"
    Voilà pourquoi, quand j'entends ce deuxième "Euridice", meme fort, mais en plein controle des plus ou moins subtiles vertus de l'art du chant, tout s'écroule à mes oreilles, meme la meilleure des mises en scène..!
    Absolutiste..?.. Qui, moi ?? Ben oui, de temps en temps... ;-))

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  3. L'absolu du désespoir Siù est une rigueur qu'on subit dès lors qu'on y est confronté. Et ce qui est passionnant dans ton commentaire c'est qu'il "signe" le côté intemporel de l'oeuvre : chant du deuil et de ses déchirements il est de tous les instants, et il est, simplement, description de l'âme humaine. Ton analyse de ces deux "Euridice" est fort intéressante.

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    1. Trois minutes et demi pour charger ton blog, 1 minute pour fermer la fenêtre pop up de pub qui s'ouvre quand on veut saisir un commentaire, c'est hyper compliqué en Corse de lire et commenter ton blog. Je ferai mieux à mon retour, mais tu n'as pas à craindre mes ukases, dès lors que Haendel est sauvé et que ce concert t'aura offert la possibilité de saisir toutes les beautés que recèle la partition d'Alcina! Si ça peut te consoler, la dernière fois pour moi aussi Isabel Rey était souffrante, et c'était dans Giulio Cesare!

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    2. c'est pénible ces histoires de popup il faut arriver à trouver où cela se trouve en htlm et je crains que ce soit dans un endroit non accessible pour les commentaires. A vérifier
      Donc tu es dans un endroit où le débit est bas ! merci de venir quand même sur le blog

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  4. Hier soir j'ai eu envie de réécouter "Che farò senza Euridice", après pas mal de temps à vrai dire... j'ai sorti donc ma cassette car oui, c'était bien une cassette, jadis enregistrée par une amie, avec Marilyn Horne/Orfeo (et Georg Solti + Covent Garden).
    Je déteste, vous l'aurez compris, quand le (deuxième) "Euridice" est chanté de façon pour ainsi dire molle et nonchalante, meme si très soignée d'un point de vue vocal.
    Mais je dois quand meme faire amende honorable et dire, après l'avoir réécouté, que l' "Euridice !!!!!!" de Horne est néanmoins très "bien chanté". Seulement, ça dépend je crois de la maitrise qu'elle a de sa voix indépendamment du fait d'y penser, maitrise donc comme condition requise tellement introjectée qu'elle n'exige plus aucune intention de la part de cette interprète.
    Et voilà que son intention se voue alors et s'abandonne, avec tout son coeur et son esprit, à la tragédie contenue dans ce cri, ce cri qui donne le frisson et qui fait entrevoir l'abime... presque en dépit, dirais-je, de sa beauté vocale.

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    1. Que voilà une belle analyse, je n'ai pas de quoi écouter cette version Horne au Covent Garden mais qui sait, un jour sur Youtube !!! en lisant ton comm...

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