lundi 18 juin 2012

CIMA DA CONEGLIANO VU PAR KOKA



Pas moyen de résister à l'envie d'un deuxième billet sur Cima ! Je me dis, pour me rassurer, que le peintre étant peu connu en France, j’œuvre pour sa réputation et me laisse aller au plaisir de vous montrer encore quelques uns de ces superbes détails qui font de la visite de l'exposition que lui consacre le Musée du Luxembourg, un grand jeu de piste qui mérite vraiment le détour !!! En visitant cette fois-ci l'expo avec les yeux de Koka !!


C'est elle qui a remarqué la façon très particulière qu'a le peintre de nouer ses ceintures : nous nous sommes donc livrées à l'exercice plus difficile qu'il y parait de reproduire ces noeuds enlevés et décisifs, on a l'impression en les regardant de voir le peintre tirer d'un coup sec sur la boucle réalisée, puis la placer bien en vue, les pans de l'étoffe retombant librement. Nos essais n'avaient pas cette allégresse et nous avons incriminé notre écharpe, trop courte, ou manquant de souplesse. Du coup, nous avons décidé de parcourir l'exposition à la recherche de ces noeuds particuliers, et nous en avons trouvé 12 !! Vous savez ce qu'il vous reste à faire ! Aller vérifier si nous n'en avons pas oublié !!


L'incrédulité de Saint Thomas nous a, ensuite, longtemps retenues. Peinte pour la scuola dei "Mureri", elle ornait la chapelle du premier étage de l'édifice, où se tenaient les réunions de l'assemblée, autant dire que c'est une œuvre de prestige.


L'idée d'avoir placé la scène dans le cadre monumental d'une arcade ouverte sur un paysage lumineux est novatrice : elle procède à la fois de la passion, déjà notée, du peintre pour les paysages et représente une sorte d'hommage aux talents des membres de la corporation à laquelle elle est destinée. Cet arche est en effet un magnifique exemple d'architecture "moderne", dont tout maçon devait, en 1504, rêver de voir confier la construction ! 


Dans l'ample loggia ouverte sur l'extérieur, figure, à droite, l'autre  protecteur de la corporation : Saint Magne, et ce voisinage, associé à l'épisode narratif de l'incrédulité, crée une sorte de sacrée conversation.


Le lourd habit de brocard de l'évêque, sa main gantée qui serre le bâton pastoral, le fermail précieux qui clos son manteau, sont prétextes à démonstrations savantes et précises de la part de Cima.

La lumière, allusion symbolique à la foi, fait ressortir au premier plan, comme sur un bas-relief, les trois personnages sacrés, en modelant leurs formes et en aiguisant la netteté du trait, sur fond de paysage montagneux surmonté d'un vaste ciel parcouru de délicats nuages blancs.


Au centre, parfaitement campée, la figure du Christ constitue l'axe évident de la composition. Drapé dans une lourde étoffe blanche, qui le sculpte et met en valeur sa chair pâle, il saisit avec bienveillance la main de l'apôtre pour l'approcher de sa plaie ouverte. 


Le regard est doux, les plaies discrètes, pas de dolorisme ou d'expressionnisme de mauvais aloi dans cet homme ressuscité, dont seul le teint d'albâtre nous indique qu'hier encore il était au tombeau.


Mais c'est surtout la figure de Thomas qui retient l'attention : découpé en contrejour sur le fond de campagne bleutée, son léger déséquilibre insiste sur l'instantanéité du geste qu'il esquisse.


Sa main droite emprisonnée avec douceur et fermeté dans celle du Christ vérifie l'authenticité du miracle...


... la gauche, pleine de lumière, fait le lien entre le premier plan, le sacré, et à l'arrière, la vie, le profane. L'homme est terriblement humain, la veine gonflée qui bat sur son front montre son émotion, son ombre, nette et allongée, se projette sur le dallage. L'intensité de son regard, l'air étonné qu'il arbore, sa bouche entrouverte, ses boucles brunes éparpillées par la brise renforcent l'intensité dramatique de cette scène, statique et monumentale à droite, vibrante et sensible à gauche.

Toujours le regard de Ferrante Ferranti !! Ici sur l'incrédulité de St Thomas


Mais la peinture préférée de Koka était un petit tondo au titre prometteur : le sommeil d'Endymion. Une forme et une dimension inhabituelles pour ce peintre de retables, chez lequel, de plus, les sujets profanes sont rares. Séduite par la beauté du jeune berger endormi, Diane obtient de Jupiter qu'il dorme d'une sommeil éternel, de manière à ce qu'elle puisse s'unir à lui chaque nuit*. Une sacrée coquine, entre nous !


Elle est ici représentée par la Lune dont l'éclat s'apprête à éclairer ses amours avec le beau jeune homme pendant que les animaux, assoupis sous l'effet soporifique des pavots, assistent, inconscients au prodigieux événement.


Même le cerf, dont la nature est d'être toujours en alerte, ne parvient pas à se soustraire au charme du sommeil.


Pas plus que le chien, animal fidèle et attentif à la sécurité de son maître, ou les cigognes, symbole par excellence de la vigilance.


Représentées d'ordinaire en équilibre sur une patte, pour éviter de s'endormir, elles ont dans cette composition les deux pattes posées sur le sol et ne réagissent pas. Par contre, je crains que les lapins, animaux lunaires, ne représentent ici la "tentation de la chair" et la lubricité, et soient, eux, bien réveillés !


Le tronc du chêne qui se dresse derrière le dormeur est, quant à lui, le symbole de la pureté de la vie intérieure et de la contemplation. Le lierre, utilisé pour voir son amoureux en rêve, est le signe de la fidélité et des attachements solides. Il symbolise aussi l’étreinte amoureuse. On voit enfin, à gauche des cigognes, deux fleurs de pavot qui ont perdu leurs pétales, emblème du sommeil et de la mort.

Chacune des toiles de Cima offrirait autant de détails et de commentaires. Miriam a aimé "la lamentation sur le Christ mort", Danielle se souvient avec émotion de la Nativité des Carmini ... dont parle GF (un sujet peu fréquent chez Cima d'ailleurs), Autour du Puits craque pour le Baptême de San Giovani in Bragora (qui est aussi à l'expo)... Cet art, imprégné de l'humanisme de la Renaissance, est une véritable mine pour qui désire se promener dans les peintures.

Web TV - Musée du Luxembourg : une présentation de Cima à Venise
Si vous n'avez pas l'opportunité d'aller visiter l'exposition, n'hésitez pas à vous offrir le "parcours thématique", concocté pour vous par le Musée du Luxembourg : il est très complet et très bien fait. 

* D'après les Dialogues des dieux de Lucien. On sait qu'une édition latine de Lucien fut publiée à Venise en 1494 par Simone Bevilacque, mais il semble que l'inspiration de ce tableau soit à trouver dans un recueil de poèmes en langue toscane composé par le catalan Benedetto Gareth, dit Cariteo (Barcelone vers 1450 - Naples 1514) dont la première édition fut publiée à Naples en 1506, suivie d'une seconde en 1509. Le thème des amours de la Lune et d'Endymion connut beaucoup de succès à Venise.

7 commentaires:

  1. Billet très beau et intéressant... salut Koka !
    Quant aux noeuds bien sympas, comme je suis nulle, pour cet argument comme presque tous ceux dont l'aspect pratique est évident, je ne vais meme pas essayer..!

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    1. Allons Siu, je suis sûre que tu n'es pas si nulle que tu le dis, mais il faut une TRES grande écharpe, j'en témoigne !!!

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  2. Avec émotion oui, je vais retrouver Cima à Carmini, je me souviens aussi d'un beau tableau de lui à Zanipolo, il me semble je vais aller revoir tout ça...

    J'adore vos petits noeuds et tous les beaux détails qui enrichissent l'horizon de notre regard...

    Bravo Michelaise et bises du jour.

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    1. Regarde bien comment sont les noeuds à Venise Danielle, et raconte moi !!

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  3. Et bien, je découvre ce Cima de belle façon! Et j'aime vraiment ce jeu de piste autour des nœuds; une façon originale de parcourir une exposition en n'oubliant aucun détail.

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  4. Trop tard... Je suis allé voir cette magnifique exposition juste avant mon départ en Corse et à l'époque, je n'avais remarqué que le magnifique nœud rose qui ceint le périzonium de saint Sébastien. Merci de m'avoir ouvert les yeux sur les autres nœuds de toutes les couleurs!

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