mardi 5 juin 2012

LEONARDO SOTTO LEONARDO...



 


J'ai déjà parlé des restaurations à l'issue desquelles la Madonna dei Fusi, récemment acquise par un riche collectionneur américain, a pu être attribuée avec beaucoup plus de probabilité à la main de Léonard. Les surprises des restaurations sont parfois étonnantes.
Témoin celle qui fut menée en 1904 sur ce portrait d'homme, présent à Londres et propriété de la Pinacothèque Ambrosienne de Milan. Connu pour être de la période milanaise du maître, il était identifié comme un portrait de Ludovico il Moro, seconde partie d'un diptyque dont l'autre portrait aurait été celui, présumé, de son épouse Béatrice d'Este. Lorsqu'on nettoya le panneau, on découvrit, dans la main de l'homme, et jusque là recouverte par un repeint, une partition musicale avec le texte "Cant... Ang...", suivi de notes de musique. Vous imaginez sans peine ce que cet indice a provoqué : tous les spécialistes de musique ancienne se sont penchés sur la question, et certains décidèrent qu'il s'agissait du portrait de Josquin des Près, contemporain de Léonard et présent à Milan de 1489 à 1495, donc durant la période milanaise du peintre.


D'autres proposent, avec beaucoup de vraisemblance, Francesco Gaffurio, maitre de chapelle à la cathédrale de Milan depuis 1494, et surtout compositeur d'un Cantum Angelicum qui semble correspondre au titre de l’œuvre indiquée sur le tableau. Là encore, il est amusant de vérifier la partialité des notices de Wikipedia sur ce sujet : la française ne parle que de Josquin des Près, alors que l'italienne accorde plus de crédibilité à Gaffurio, même si elle a l'honnêteté de parler aussi de Josquin.

Une autre restauration spectaculaire, et dont on a fort parlé, a été celle de la version de la Vierge au Rocher, seul tableau de Léonard de Vinci détenu par la National Gallery de Londres. La peinture était jaunie, le vernis craquelé et le nettoyage a permis de mieux définir les interventions du maître sur cette peinture qui a mis 18 ans avant d'être terminée. Il semble que les interventions des assistants, qu'on pensait prépondérante avant restauration, soient bien moins nombreuses que prévu et cette Vierge au Rocher se réclame aujourd'hui comme égale, voire supérieure à celle du Louvre. 


La National Gallery a profité de cette opération pour ré-encadrer la peinture, dans un cadre reconstitué à partir de morceaux d'un cadre de la fin du 15ème siècle, qu'on a reconstruit et adapté aux dimensions du retable. Il faut avouer que le résultat esr d'une qualité irréprochable.


Mais l'histoire la plus "romantique" reste celle de ce Salvatore Mundi, que le présentateur de l'émission présentait à tort comme un Ecce Homo et qui a alimenté toutes les rubriques "contes de fée" autour de l'exposition londonienne. Vendu à peine 50 euros en 1958, il est repéré par des spécialistes de Vinci et racheté dans les années 2000, par un consortium d'acheteurs emmené par le marchand d'art américain Robert Simon. Le prix est resté secret mais ces acquéreurs avaient l'intuition qu'il pouvait s'agir d'un Vinci. Une intuition confirmée après une restauration délicate. La toile, un temps propriété du roi Charles 1er avant de passer à un collectionneur britannique, avait toujours été considérée comme étant de la main d'un élève du grand maître. Il semble que la photo en noir et blanc reprenne un état ancien de l'oeuvre mais je n'ai pu déterminer de quand exactement date cette mauvaise reproduction. Voici ensuite, l'état que présentait la peinture lors de son rachat par Robert Simon.


Des restaurations inappropriées l'avait rendue sombre et grossière. La robe avait été repeinte en rouge, selon une mode de repeint qui ne s'est jamais démentie dans les siècles passés. Les plis du manteau bleu furent soigneusement repris et sculptés avec force. Le visage, sans doute jugé trop lointain, ou démodé, avait pris une allure typiquement 19ème, empreint d'une virilité toute sucrée. une ébauche d'auréole semble prouver que les restaurateurs avaient éprouvé le besoin de marquer plus dignement le caractère sacré de l’œuvre. Même le globe terrestre de cristal, tenu dans la main gauche du Christ, s'était vu agrémenté de reflets christiques, sans doute destinés à donner à l'objet plus de relief. Seule la dextre bénissante avait été à peu près épargnée. Ainsi que les boucles dans lesquelles on identifie, dit-on, avec le plus de précision la main du maître.
C'est ainsi qu'après une restauration vraiment drastique, la surprise était au rendez-vous :


Ce superbe Sauveur du Monde était "le" scoop de l'exposition : nul n'avait pu le découvrir avant, et le choc fut grand pour ceux qui connaissaient l'ancienne version. La peinture, quoique fort abîmée et difficilement lisible par endroit, avait retrouvé son esprit originel et ses qualités intrinsèques. On comprend l'enthousiasme de ceux qui veulent à tout prix concrétiser définitivement l'attribution à Léonard. Et qui estiment, au passage, l’œuvre à la modique somme de 200 millions de dollars (record de la Madonna dei Fusi battu !!) en précisant bien qu'elle n'est pas en vente.

Même s'il ne faut pas céder trop vite à l'engouement que suscite ce type de résurrection, force est d'admettre que la peinture est d'une qualité que les "inventeurs" ont eu grand mérite à découvrir sous les repeints. L'expert interrogé sur ce sujet a un peu jeté le froid sur la fin de l'émission Leonardo Live en ne manifestant qu'un intérêt limité pour cette "découverte", mais le travail mené par les restaurateurs mérite ici d'être salué. Ils ont fait des miracles.

FIN ... ou presque !... il reste "notre" Sainte Anne !

14 commentaires:

  1. Que de lectures à rattraper !!! en tous cas on lit ce premier billet comme un roman policier, la restauration du dernier tableau est fabuleuse.

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    1. C'est fou en effet ce qu'on est capable de faire actuellement en matière de restauration !!
      Ravie de te revoir Robert, j'imagine qu'on va découvrir vos impressions britanniques !

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    2. Très bel article, effectivement on le lit tel un bon roman à suspens!
      On est ici dans un cas de figure très honorable, où les restaurateurs ont eu le terrible travail de dé-restaurer (c'est notre cauchemar!)...
      Je suis enchantée de vous découvrir et de lire vos prochains articles!

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    3. Bienvenue Sabine, c'est donc Françoise qui m'a indiqué votre blog car elle connait ma "vocation" ratée et sait combien je me passionne pour la restauration en général et pour l'art en particulier ! Mon blog par contre est assez éclectique, voire parfois un peu fouillis mais j'y parlerai de C2RMN bientôt !!

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  2. c'est impressionnant ce que la technique moderne arrive à faire!
    Je voulais aller voir l'exposition sur la Sainte-anne au Louvre lors de mon dernier passage à Paris mais le temps manquait alors je vais guetter ton article!

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    1. Et voilà Eimelle, rien à faire même si on a l'impression qu'il n'y a rien, le temps manque toujours, trop d'expos à voir d'un coup ! Sainte Anne, nous l'aurions zappée si Koka, ma fille, ne nous y avait traînés un soir, et quelle expo passionnante, vue trop vite car l'heure de la fermeture approchait !

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  3. IL faut vraiment que je te demande "qui" tu es et comment tu fais-tu as fait l'école du Louvre en plus de 10 ans d'études en musicologie ET tu apprends par coeur le monde de la musique dont tu possèdes les archives depuis 1950 ET tu diriges une compagnie aérienne ce qui te permet de voyager fréquemment? ;-)

    Non, parce que j'ai beau faire de la musique depuis 9 ans et fréquenter les salles de concert avec assiduité depuis une dizaine d'années, je serais bien incapable de rendre compte d'un concours de 4or avec autant de finesse! Quel est donc ton secret??!!

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    1. Blandine, tu me fais rougir de confusion... Que te dire ? Je suis pro de gestion, juriste, ma vocation ratée était pour l'histoire de l'Art, c'est donc resté une passion et pour le coup, je suis assez éclectique. Et la musique, c'est un peu pareil, je crois que c'est la passion ratée de mon alter ego, désigné dans le blog par Alter, et nous la partageons, en amateurs. Je crois que le mot est dit AMATEUR, qui aime et qui a envie de découvrir, de comprendre. Avec internet, les bouquins et les avancées de la recherche en terme d'analyse de l'art, tout cela est d'une intense richesse !

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  4. Je te conseille d'aller jeter un oeil sur ce blog
    J'ai eu l'occasion de rencontrer Sabine je suis certaine que tu te régalerais avec elle

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    1. Merci Françoise, j'avoue qu'effectivement ce blog est une "bonne adresse" et correspond tellement à ce qui me passionne, merci

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  5. Mais où trouves tu le temps et l'énergie? Là, j'ai quelques recherches à faire mais pas le temps en semaine, dimanche la bibliothèque qui va bien est fermée donc reste samedi si je n'ai rien de plus urgent à faire d'ici là ... Tiens, d'ailleurs, si tu as envie de me faire un topo d'ici dimanche (histoire de me laisser le temps d'ingérer cela avant mon cours)sur Honegger, sa vie son oeuvre et surtout son concerto pour violoncelle : reconnaissance éternelle !!! ;-)

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    1. Bon j'ai relevé le gant Blandine, tu trouveras quelques liens et quelques "copié-collé" dans mon article sur le dernier concert vu sur l'Estuaire !! J'espère avoir un peu répondu à tes attentes

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    2. PS l'article parâitra ce soir vers 20h20, pour laisser à sainte Anne le temps d'être lue !!

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  6. Allons bon je vais voir ce que je peux faire mais j'avoue qu'Honegger n'est pas trop dans mes cordes, je vois si je peux faire quelque chose mais pas aujourd'hui à bientôt blandine

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