dimanche 3 juin 2012

ROSIÈRES


Nous avions rendez-vous devant cette délicate église de Rioux, petit précis à l'usage des apprentis tailleurs de pierre, qui décline avec brio, comme sa voisine de Rétaud, tout une gamme d'appareils dont nous avons cherché le nom : en arête de poisson, en écaille de poisson, en épi de blé, en carreaux et tout ce que vous pouvez imaginer.


 "Tu ne penses qu'à jouer" me dit souvent Alter ! Et de fait j'avais, en l'attendant, regardé d'un peu trop près la fenêtre axiale du chœur, une jolie petite mélodie romane qui imagine cent motifs inventifs, et remarqué une petite anomalie dans le décor volontiers symétrique... anomalie qu'elle a cherché avec beaucoup d'indulgence et retrouvée sans problème !!! A votre tour de jouer ... regardez bien !!! (solution en fin d'article !!)


De là nous avons effectué un petit - tout petit mais intense - parcours roman saintongeais, à base d'identifications hasardeuses mais pourtant éclairées (oui, oui, nous nous sommes trouvées bonnes dans notre reconnaissance des différentes campagnes de reconstruction, agrandissement, restauration de tous ces édifices) : Rioux, Rétaud, Chermignac, Tesson, Montpellier de Médillan, Thaims, Saint Romain de Benet, pour finir en apothéose sur l'abbaye de Sablonceaux, entre lumière déclinante et vêpres commençantes ! Mais je lui laisse la parole ou au moins l'objectif, car la spécialiste toutes catégories du beau cliché, c'est elle ! Je n'ai pris que très peu de photos, me réservant de vous conter une tradition qui m'a toujours fait sourire et que je lui dédie (vous comprendrez pourquoi à la fin !).


Je tenais à aller à Saint Romain de Benet, non que l'église en soit particulièrement remarquable en termes architectoniques. Elle est marrante cette église : vue de loin, lorsqu'on passe le soir sur la voie rapide Saintes Royan, elle est superbe. Éclairée avec art, elle impressionne par son allure d'édifice roman de la plus belle eau. Or Alter (qui lit toujours avec attention les notices touristiques) m'a toujours mise en garde "Mais non, elle est toute neuve". En fait, il subsiste quelques restes romans mais il faut bien avouer qu'entre la façade refaite Dieu sait quand, le clocher dont seule la base est XIIème, et surtout les incroyables coupoles en béton armé qui la surmontent, ce n'est pas le monument le plus authentique de la contrée. Mais c'est là justement que l'histoire commence : car ces coupoles, larges et arrogantes, ont été offertes à la paroisse par une certaine Madame Minal qui, en veine de largesses, les a en quelque sorte surdimensionnées. Mais qui était cette généreuse donatrice ?



Louise-Héloïse DURIF, issue d’une famille pauvre de Saint Romain de Benet, s’en alla chercher fortune à Paris au milieu du 19ème siècle, sous le Second Empire*. Elle devint danseuse de cabaret et un bourgeois, nommé Charles-Emile MINAL tomba amoureux d’elle. Elle obtint le mariage et, devenue épouse de cet homme aisé, manufacturier et collectionneur de tableau, connut une aisance qui la mit à l'abri du besoin ... et la rendit même libérale. Devenue veuve et ayant hérité de la fortune  de son mari, elle décida de revenir à Saint Romain de Benet. Mais ses parents, considérant qu'elle avait « fauté » en devenant danseuse, la repoussèrent. C'est à cette époque que, devant regagner Paris le cœur gros de la rebuffade subie, elle dota le «  Conseil de fabrique » d’une grosse somme d’argent pour édifier deux coupoles remplaçant la toiture saintongeaise classique de l’église du XIIème siècle. Les travaux furent entrepris en 1901, elle avait 65 ans.


A sa mort, le 4 mars 1917, à Bordeaux, le maire de Saint-Romain-de-Benet  fut invité à se rendre à l'étude de Me Charpetier De Ribes, rue Sainte-Cécile à Paris, qui lui apprit le contenu du testament en faveur de la commune. Rédigé en février 1913, le document stipulait que cette dame souhaitait « léguer à la commune une somme de 30 000 francs pour l'entretien de l'église où elle avait été baptisée, une somme de 50 000 francs, placée en rente sur l'État, dont le revenu annuel serait accordé à deux filles ». La vertu était devenue, avec la dévotion religieuse, une juste cause pour cette ancienne danseuse. Il s'agissait de doter chaque année une rosière, c'est à dire une jeune fille vertueuse à laquelle on décernait solennellement une couronne et quelque argent pour trouver un époux. Madame Minal avait donc prévu qu'une fête aurait lieu en juin, en souvenir de sa naissance. La cérémonie du couronnement des deux Rosières se déroulerait  à la mairie et à l'église de Saint-Romain-de-Benet. Tout était prévu : « Le Conseil municipal réglera les réjouissances et on donnera 50 francs au curé pour le service religieux. Une somme de 30 000 francs servira pour ériger un monument sur le canton de ladite commune »… Toutes les conditions ayant été acceptées par le Conseil municipal en 1921, la municipalité créa la fête des rosières, célébration au cours de laquelle deux jeunes filles jugées méritantes sont mises à l'honneur. Et, les affiches en témoignent, la tradition se perpétue toujours, chaque deuxième dimanche de juin. On en est à la 91ème fête des Rosières !


Quels critères peut-on retenir, en nos temps de grande liberté des mœurs, pour juger de la vertu des jeunes candidates ? Si l'on en croit le maire de la commune, interrogé par le journal Sud-Ouest : « Plusieurs critères sont pris en compte, comme la notoriété de la famille et leur implication dans la commune, et l'image qu'elles reflètent de la jeunesse ». Les élues font donc partie de deux familles bien implantées dans la commune. « Ni ringard ni désuet, ce moment est une distinction positive et une occasion de réunir vos familles. Vous entrez dans l'histoire de notre commune », assurait en 2009 le maire de la commune aux rosières de l'année. Et, après le "couronnement", il est encore d'usage d'aller en cortège à l'église, pour recevoir la bénédiction du curé. Un bel exemple de réconciliation entre maire et curé, tel que mon grand-père, laïque en diable, en aurait été estomaqué... lui qui disait "le curé, c'est pas mon truc mais j'aime bien boire un canon** avec lui !"... comme s'il se fut agit là d'un exemple rare d'ouverture d'esprit !


Quant à la statue située sur le parvis de l'église, elle représente Madame Minal en costume traditionnel de saintongeaise, un bouquet de fleurs à la main, une petite fille admirative accrochée aux plis de sa robe. Sur le socle, le sculpteur a sagement représenté les vertus d'une jeune fille éligible : elle récolte des lauriers à l'école (ou alors elle aide ses parents aux champs, j'avoue que je ne sais trop !), elle console sa petite camarade qui pleure, elle prête sa poupée à une autre tandis que les angelots de service chantent ses louanges !!
Alors pourquoi ne pas créer au Coudray dont elle est adjoint au maire, une telle cérémonie ?? Il y a déjà, depuis cette année, à son grand agacement, une Miss Coudray !!! La Rosière aurait finalement été plus décalée, et de fait, moins agaçante ...


Solution du "jeu" ci-dessus : dans le piédroit de gauche, orné tout au long, comme celui de droite, de palmettes terminées en crochets polylobés, en haut ... un petit séraphin, avec toutes ses ailes, et sa bouille bien ronde !


* Beaucoup de Charentais en firent autant à cette époque, tels Ernest Cognacq 1839-1928 né à Saint Martin de Ré fondateur de La Samaritaine et généreux mécène, Emile Gaboriau 1832-1873, né à Saujon, créateur du roman « judiciaire » et vedette du  feuilleton  populaire  dans « Le Petit Journal » en 1868.
** boire un canon = boire un verre

8 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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    1. Désolée Noune, j'ai fait une fausse manip et voila ce qu'il advint !! Je t'avoue que nous n'avons pu entrer dans l'église donc je ne sais si les coupoles ont été restaurées, mais en tout cas, vues de l'extérieur elles sont bien neuves !!

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  2. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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    1. Encore une victime de ma maladresse : désolée Eimelle j'ai supprimé le commentaire où tu remarquais, à juste titre, qu'il fallait avoir l'oeil pour remarquer le petit séraphin ! Mais pas de doute, Aloïs a l'oeil !

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    2. ne t'inquiète pas cela m'est arrivée aussi de cliquer au mauvais endroit!
      Bonne journée!

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  3. Eh bien mes photos???!!!!
    Bon je verrai,je bien arriver à faire mon miel de quelques clichés
    L'émotion ,certainement, des retrouvailles.
    Nous aurions pu continuer notre jeu en comparant les chevets de Rioux et Retaud
    Tiens quelle est la différence alors qu'on peut presque les considérer comme jumelles?
    Quant à la rosière c'est bête j'aurais pu aller à Salency lors de mon séjour dans l'Oise,village où est né Saint Médard ,à qui on doit cette célébration

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    1. Comme j'imagine les différences entre des jumeaux, il ne faut pas se fier aux apparences n'est-ce pas ??? quant aux rosières, la tradition, revue et corrigée, forcément, existe en effet dans de nombreux villages encore !

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    2. Au moins, avec vous, on fait du "saute-blog" à gogo : c'est rigolo et toujours très instructif !
      Bravo pour vos notes communes qui retrace une rencontre sur la piste des monuments historiques !

      Biseeeeeeeeeeeeees de Christineeeeeeeeeeeeee

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