mercredi 7 novembre 2012

ALORS MAMAN... ET SYRACUSE ??? (1)


Il me faut bien reparler de la Sicile ! Car j'ai gardé Syracuse pour la fin, histoire de m'assurer que Mandarine, ardente admiratrice de la ville, "tiendrait" jusqu'au bout de cet interminable récit de voyage.
Sur Syracuse, tout en a été dit! Je vous épargne les envolées lyriques des auteurs enfermés dans le (ou la ??) Kindle et qui nous ont accompagnés sur les sites grecs et dans la vieille ville, Ortigia, ville qui les passionne nettement moins que les ruines et leurs légendes. N'ayant pas une passion irrépressible pour les restes antiques, toujours ce fichu manque d'imagination qui me rend infirme devant des accumulations de pierres dont j'ai un mal infini à reconstituer l'entier, j'avoue que la panique qui régnait dans l'aire archéologique a eu raison de ma détermination à les visiter. L'accès aux latomies, au milieu de hordes hurlantes ( au sens premier du terme : il s'agissait de tester l'écho de l'oreille de Dionysos) de ragazzi en giro scolastico*, auxquels s'ajoutaient tout naturellement les cars, nombreux, des touristes qui "font" la Sicile en une semaine, fut une épreuve digne du Carrousel Sicilien**. En moins drôle, car nous étions dedans.


Le théâtre était entièrement recouvert des gradins qui allaient accueillir les spectateurs du Festival de théâtre Antique, ce qui en limitait l'intérêt. Encore une chose qui ne me tente guère, Eschyle, Euripide ou Aristophane selon la politique du PAPS*** : voilà qui n'est guère ma tasse de thé.


L'accès à l'amphithéâtre demandait une longue patience pour franchir les rangées de badauds accumulés contre la rambarde qui le surplombe. Il faisait chaud, la poussière commençait à se faire collante, les auteurs du Kindle nous ennuyaient avec des fadaises... L'heure était à la morosité et quand l'un d'entre nous a commencé à marmonner, avec la plus parfaite mauvaise foi, "Bof, je préfère l'amphithéâtre de Saintes", d'un commun accord, même pas exprimé tant nous avons dans ces cas-là une pareille "épidermie", nous avons effectué un prudent repli vers d'autres horizons, sans regret et sans amertume. Après tout, il en est des foules comme des "chiuso per restauro", il faut savoir s'en accommoder avec légèreté.


Et, quitte à voir un temple grec, j'avoue que celui qui subsiste comme armature structurante de la cathédrale, m'a autrement impressionnée. Des siècles accumulés en strates parfaitement lisibles, qui satisfaisaient plus mon sens de l'Histoire, et suppléaient au mieux (à) mon manque d'imagination.
Notre visite de Syracuse avait en fait commencé par un endroit merveilleux, qui ne voit jamais un touriste : l'église Sainte Lucie hors les murs (photo en tête de l'article) où, selon notre guide, un peu dépassé je l'avoue, aurait dû se trouver l'Enterrement de la sainte par le Caravage, du fait de la supposée fermeture du palazzo Bellomo. Le palazzo Bellemo était ouvert et superbement restructuré, aménagé avec un sens idéal de la muséographie mais ne contenait pas plus la Sainte Lucie que l'église homonyme. Nous y avons par contre passé un immense et captivant moment devant l'Annonciation d'Antonello da Messina. 

L'oeuvre telle qu'elle apparaissait avant la restauration de 2006-2009

Une œuvre connue et consacrée dès le milieu du XVIIIème siècle comme étant du maître, théorie confirmée en 1903 grâce à la découverte des archives de commande. Ainsi étiqueté, le panneau, dans un très piteux état de conservation, fut confié au restaurateur Luigi Cavenaghi qui lui fit subir, comme c'était à la mode dans ces années-là, un transfert sur toile, opération très traumatisante pour la couche picturale déjà fort abîmée. Une autre intervention suivit, en 1936, ayant pour but de nettoyer un peu mieux l’œuvre. Mais, en 1942, lorsque la remise en cause des travaux précédents fut mise sur le tapis, le conservateur Cesare Brandi prit la très sage décision de ne rien faire. jugeant, fort à propos, que les techniques de reconstitution des lacunes n'étaient pas encore, à cette époque, suffisamment évoluées pour permettre de réparer sans dommage cette oeuvre majeure, il préféra la garder en l'état. Que grâces lui soient rendues : grâce à cette décision aussi raisonnable que modeste, le panneau n'a plus subi d'intervention. Jusqu'en 2006, date à laquelle, les techniques ayant considérablement évolué, on a enfin décidé de la remettre en état. 


Vu le grand nombre de lacunes, il fallait prendre des décisions quant aux carences à combler, et à celles à laisser visibles. Après une remise en état très scientifique du support et de la couche picturale, les restaurateurs se trouvaient en effet devant une affligeante image à trous, ne rendant nullement hommage au talent du maître de Messine. Une commission d'experts, ayant fait l'inventaire complet de ces manques, les classa en trois groupes :


ceux pour lesquels la reconstitution était mineure et très facile à réaliser, sans avoir à "inventer" 


ceux pour lesquels on pouvait rétablir une continuité sans risquer de faire œuvre re-créative, car les motifs se concevaient assez aisément et pouvaient être comblés sans difficulté


ceux enfin qui, jouant un rôle majeur dans la lisibilité de l’œuvre, devaient impérativement être comblés, avec le plus grand respect, pour ne pas nuire à la contemplation du tableau (le paysage, le manteau de l'ange, le livre de la Vierge...)



Il s'agissait surtout de permettre d'apprécier pleinement l'art de la perspective, déployé ici avec virtuosité par Antonello, et rendu indéchiffrable par les trop nombreux trous infligés à la couche picturale par les blessures du temps.
Tout le reste fut laissé en l'état. Sans état d'âme. L'ensemble fut ré-offert à l'admiration du public dès 2009, trois longues années ayant été nécessaires pour réaliser de superbe travail. Il en résulte un panneau passionnant, car très compréhensible, mais très respectueux de l'original puisque toutes les réparations ont été effectuées grâce à la technique, qui a aujourd'hui largement fait ses preuves et pour laquelle on a un bon recul, de la reconstitution par traits parallèles. 

  
Une technique réversible (réalisée à l’aquarelle) et qui assure la continuité visuelle des plages de couleur par la reconstitution d'une unité chromatique et narrative particulièrement précieuse pour apprécier pleinement la peinture. C'est ainsi que, non contente d'être un chef d’œuvre incontestable du maître sicilien, le panneau est aussi maintenant un vrai modèle de restauration intelligente, telle qu'on la pratique actuellement, pour la plus grande joie des visiteurs et amateurs d'art.


Après cette longue et émouvante contemplation, nous avons visité le musée Bellomo avec des ruses de sioux ! Nous nous attendions à chaque détour de salle à tomber sur le Caravage, et voulions que la surprise soit absolue. Elle le fut, de Caravage au musée, point !


Toutes les illustrations de ce billet sont extraites du film réalisé par le studio Art Media de Firenze, chargé du travail de restauration (en italien)



* ah !! les sorties scolaires, la plaie du tourisme italien mais ce qui, d'après les prestataires de service, leur permet de survivre, de recevoir des subventions et de voir les sites entretenus, plaie nécessaire donc mais qu'il vaut mieux ne pas côtoyer de trop près. Les gamins se déversent comme des flots encadrés par des adultes épuisés et hagards, qui n'en peuvent mais, ayant depuis longtemps abandonné l'espoir de leur montrer ou de leur expliquer quoi que ce soit. Le voyage culturel est une vaste promenade durant laquelle les jeunes, en petites grappes compactes, rient, plaisantent, jouent avec leurs téléphones portables, et, parfois, au cri exaspéré de quelque adulte exténué, s'arrêtent brusquement et restent cois le temps que passe l’orage. Pour reprendre aussi vite, le soleil revenu, le cours de leurs amusements interrompus. Il est loin le temps du "giro" formateur où les enseignants, convaincus de l'importance de leur mission, tentaient contre vents et marées, d'interesser leurs chères têtes blondes aux mystères de l'Art. Mais, comme nous le disait le bateleur de la Fonte Ciane, "sans les écoles, nous n'aurions pas assez de revenus pour vivre". Alors, vivent les voyages scolaires qui maintiennent ces petits métiers et nous conservent ouverts les musées perdus en rase campagne, comme cette sublime installation de la Villa del Tellaro qui, sans les enfants, ne seraient qu'un luxe éteint.
** délicieux roman de Lawrence Durrell qui mérite d'être lu ou relu pour apprécier, à sa juste valeur, l'épopée que représente un voyage organisé ! L'auteur entreprit, en 1976, à la demande de son éditeur cette "folle équipée" qui consistait à accompagner une vingtaine de touristes parcourant l'île dans une petit autocar rouge. Savoureux.
** PAPS : premier arrivé, premier servi, ce qui implique nécessairement de longues queues et d'interminables attentes pour espérer être placé correctement.

3 commentaires:

  1. Il restait donc des épisodes au voyage!
    Très intéressant ces procédés de restauration, la technique évolue!

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  2. Comme d'habitude je ne viens qu'après avoir lu et relu ton article. Fouillant le détail pour essayer de comprendre et ne pas dire de grosses bêtises.
    L'histoire de cette restauration est fascinante mais vraiment très complexe pour une profane. D'où l'utilité de prendre son temps pour digérer ton analyse. Le procédé réversible utilisé m'était totalement inconnu. Encore une chose que je viens d'apprendre chez toi.
    Lorsqu'un sujet me passionne, je "lâche rarement le morceau".
    Je suis aussi tout à fait d'accord au sujet des voyages organisés. Je ne connais pas mais, pour en avoir croisé un grand nombre dans les musées et sites archéologiques je n'ai pas envie de connaître.
    Pouvant passer plusieurs heures dans un lieu chargé d'histoire je ne pourrais certainement pas suivre les visites au pas de course.
    Je ne connais pas le roman de Lawrence Durrell. Une bonne idée de lecture.
    Merci Michelaise pour le mal que tu te donnes à nous faire comprendre l'art.
    Bisous et belle journée.

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