La bécasse est en voie de murissement, la dégustation se prépare, avec le judicieux conseil de Mireille d'y ajouter, pour déglacer le fond de cocotte, un peu de foie gras... On imagine combien cela va améliorer ce délicieux mélange dont on tartine les épaisses tranches de pain sur lesquelles on présente la bestiole. J'avoue que je suis impatiente de goûter cette gourmandise supplémentaire qui va transformer ce mets rare en plat de roi. J'entends encore le récit de l'auteur du cadeau "c'était un merveilleux tableau de chasse", m'expliquant comment il rata la première, son jeune chien s'étant mis à l'affût comme le lui montrait son aîné, mais un peu trop fougueux, bougea trop trop et effraya la bécasse. "Pour la deuxième par contre, il avait compris la leçon et resta immobile jusqu'à ce que le vieux chien, plus expérimenté, lui donne le signal, et lève l'oiseau "dans les règles". Sa fierté pour ses deux chiens, la satisfaction de voir le jeune apprendre les ficelles avec une telle facilité, son émotion au souvenir des deux animaux parfaitement immobiles et vibrants, prêts à bondir, sa prise d'un oiseau dont chacun sait qu'il est parmi les plus difficiles à piéger (c'était sa première de la saison) tout cela faisait vraiment plaisir à voir. Vous l'entendriez parler des lièvres au gîte, vous seriez captivés !! Bref, c'est un chasseur vraiment amoureux de la nature, qui prend autant, sinon plus, de plaisir à l'observation des animaux, de leurs habitudes, de leurs ruses, au cadre, au partage avec "ses" chiens", qu'à celui du coup de fusil. Ce n'est ni un lourdaud, ni un être frustre et sanguinaire, il est proche du héros de Erri De Luca dans le Poids du Papillon. Comme l'est sans doute aussi le héros du dernier film de Thomas Vinterberg.
"La Chasse" est un des grands films du mois, voire du trimestre. Nous avions vu, et beaucoup apprécié malgré la caméra à l'épaule (le "malgré" me concerne, cela me donne des nausées) et la noirceur du propos, "Festen", un des fleurons du mouvement "Dogme". "La Chasse" est encore plus abouti dans le sens où pas une image n'y est superflue, pas un geste n'y est inutile, et où la noirceur, sur un sujet bien aussi glauque que celui de "Festen", est mesurée, distillée avec juste ce qu'il faut d'efficacité pour être inéluctable et tout simplement humaine.
Le thème, classique, est celui de la "curée" qui se met en place avec une stupéfiante rapidité dans une communauté apparemment soudée, dès lors qu'un soupçon pèse sur l'un de ses membres. On y assiste, médusés, impuissants, révoltés, à l'engrenage et à l'inexorable montée de la vindicte populaire, et à la descente aux enfers de celui qui tombe dans les rais de la médisance. Ou plus exactement ici du soupçon mal vérifié, de l'analyse mal dirigée de l'enquête (la police absente du film et pourtant en arrière plan, fait, manifestement, correctement son boulot en l'espèce), de la précipitation dans les jugements, bref d'une sorte de mise en branle d'un système dont il est impossible de sortir innocent. Qu'on ne s'y trompe pas, le thème ici n'est pas la pédophilie, mais plutôt, accessoirement, les réactions d'un village à ce soupçon, et surtout, surtout, la jouissance qu'a ce village à jeter un homme à terre, à le condamner sans même chercher à comprendre ou à savoir. La puissance de la rumeur est évoquée par une ambiance lourde mais pas du tout artificielle, qui s'opacifie au fur et à mesure que le film progresse. On sent que chacun dans le village, par frustration, angoisse personnelle, méchanceté ou simplement lâcheté, cède finalement à cette hystérie collective... comme s'il était naturel de se poser en justiciers sans savoir. Rien de lourd, l'hypocrisie sociale pèse son juste poids, l'amitié est mise sur le gril avec mesure, tout sonne vrai.
Enfin, le film mène une belle réflexion sur la place de l'enfant dans nos sociétés, qui sur-dimensionnent son importance et l'idéalisent (surtout ici la société danoise "un enfant ne ment jamais"). La parole d'un enfant est-elle sacrée? Est-ce que, au motif de le protéger, on peut faire n'importe quoi ? Est-il justifié de détruire sans état d'âme la vie d'un homme sous l'emprise d'un simple soupçon, qu'on ne s'accorde même pas le droit de vérifier, au risque supposé de traumatiser l'enfant ??
Enfin, le film mène une belle réflexion sur la place de l'enfant dans nos sociétés, qui sur-dimensionnent son importance et l'idéalisent (surtout ici la société danoise "un enfant ne ment jamais"). La parole d'un enfant est-elle sacrée? Est-ce que, au motif de le protéger, on peut faire n'importe quoi ? Est-il justifié de détruire sans état d'âme la vie d'un homme sous l'emprise d'un simple soupçon, qu'on ne s'accorde même pas le droit de vérifier, au risque supposé de traumatiser l'enfant ??
Le film est ciselé, monté avec une finesse et une modestie absolues : le sujet est délicat, et jamais cela ne vire à la caricature. Tous les personnages sont humains, crédibles et cela suscite une empathie totale du spectateur. C'est admirablement
filmé, admirablement joué, angoissant mais sans trop, révoltant mais
avec doigté, il n'y pas une maladresse, tout est juste et, de fait,
terrible. Mention spéciale pour la direction de cette enfant de 4 ans
qu'on sent menée avec un talent, une force de conviction et une compétence
absolue.On n'avait pas, depuis Ponette, vu une enfant jouer avec une telle vérité.
Alors, bien qu'il ait été de bon ton dans la presse de vilipender, sous différents motifs que je vous épargne, "La Chasse", je ne saurais trop vous le recommander. C'est un film émouvant, sobre, impeccable et "la curée" à laquelle se sont livrés certains critiques de cinéma ressemble par trop à ce que le film dénonce : qu'on en juge par le titre "humoristique" que certains ont trouvé "il faut tirer La Chasse".
"Festen" je l'avais beaucoup beaucoup aimé, et d'ailleurs quand "La chasse" a été présenté au festival de Cannes j'en ai lu quelques très bonnes critiques aussi, dans la presse italienne, faut donc que je bouge pour savoir s'il vient de sortir chez nous aussi.
RépondreSupprimerEn marge, quand tu dis "...chacun dans le village, par frustration, angoisse personnelle, méchanceté ou simplement lâcheté cède finalement à cette hystérie collective comme s'il était naturel de se poser en justiciers sans savoir", je crois qu'on pourrait désormais entendre ce village comme "village global", hélas...
Oh oui, Siu, tu as raison avec cette notion de village global, le net est, à cet égard, redoutable !! hélas !
SupprimerJe note ce film ...même et surtout parce que je vais peu au cinéma, cet avis m'est précieux.
RépondreSupprimerJe croyais être la seule à avoir la nausée avec cette manière de tenir la caméra, voilà qui me rassure !
bonne journée Michalaise
Alors pour le coup Josette, je ne sais si la Chasse a été tourné caméra à l'épaule, mais je n'ai ressenti aucune gêne ! soit il a abandonné, soit il s'est amélioré !! En tout cas, il m'est arrivé de quitter certains films Dogme (avec la caméra à l'épaule donc) tant cela me rendait malade !!
SupprimerBon, je viens d'aller sur les critiques, en effet elles ne donnent pas envie d'aller voir le film, mais par contre, ce que tu en dis me donne tout de suite envie d'y aller... et plus vite que ça...
RépondreSupprimerGros bisous Michelaise et bonne journée à toi.
Alors je ne sais pas pourquoi les critiques "professionnelles" sont aussi méchantes ??? car les critiques de spectateurs sont bien meilleures. Un certain snobisme ? va savoir... je t'avoue que le sujet et le thème me faisaient peur, que je n'avais pas envie d'y aller, que j'avais aimé Festen mais c’était tellement noir ... et j'ai trouvé que c'était vraiment du très beau cinéma. j'espère que cela te plaira aussi ??
Supprimerj'ai lu de bonnes critiques, je suis persuadée qu'il s'agit d'un film remarquable et pourtant, je me sens incapable d'aller voir un film aussi dur et remuant ...
RépondreSupprimerJ'avais cette même réticence Blandine, vraiment peur du thème. Mais en fait, ce n'est pas une histoire de pédophilie mais bien une histoire de "curée" contre un semblable, et de la façon dont une communauté se rassure en se dressant comme un homme seul, qu'elle condamne. Sans chercher à savoir ou à comprendre. Un homme qu'elle connait depuis toujours, et dont elle devrait savoir qu'il est incapable d'avoir fait ce dont on l'accuse. C'est la somme des petitesses et des mesquineries de chacun qui se trouve valorisée par cette mise à mort. C'est sombre mais pas noir. Cela bouscule mais cela oblige à réfléchir sur nos comportements à l'emporte pièce, trop fréquents et de plus en plus si l'on suit trop les rumeurs de la toile. Siu a raison, c'est dangereux le "village global". Et Vinternerg est tellement habile qu'on en tire une leçon très importante : il faut tout faire pour ne pas être comme ceux du village qui, qu'on le veuille ou non, nous ressemblent !
SupprimerMême ainsi, je crains vraiment d'y aller - non pas que j'ai beaucoup le temps d'aller au ciné en ce moment, d'ailleurs : finalement, la question ne se pose pas -, après un début d'automne un peu rude, je n'arriverais pas à plonger dans une telle noirceur.
RépondreSupprimer(Je sais, tu as dit que c'était "sombre mais pas noir" ...mais plonger dans la sombritude, je ne suis pas sûre que ça se dise).
J'ai la larme trop facile au cinéma!
Merci pour le clin d'œil Michelaise. Je suis un peu en retard comme d'habitude.
RépondreSupprimerJe ne peux pas te parler de ce film que je ne connais pas du tout. J'ai un peu de mal avec ce genre.
Mais toi tu en parles très bien.
Gros bisous et belle soirée.