C'est au tour aujourd'hui de Sandro Botticelli de nous annoncer la naissance du Sauveur et je vous propose cette Nativité découverte "pour de vrai" il y a peu (il me faut bien avouer que je n'étais jamais allée à Londres avant ce printemps) et qui est, semble-t-il, la seule toile autographe du maître. Une toile de taille imposante mais moins impressionnante qu'on ne peut l'imaginer tant qu'on ne l'a pas croisée : trop grande pour un tableau de dévotion privée mais trop petite pour une pala d'autel.
La signature de l'artiste, insérée dans un cartel de trois lignes en haut du tableau, intrigue le spectateur : "Questo dipinto, sulla fine dell'anno 1500, durante i torbidi d'Italia, io, Alessandro, dipinsi nel mezzo tempo dopo il tempo, secondo l'XI di san Giovanni nel secondo dolore dell'Apocalisse, nella liberazione di tre anni e mezzo del Diavolo: poi sarà incatenato nel XII e lo vedremo ... (mot rendu illisible par les dommages du temps, qui pourrait être "calpestato" o "precipitato") come nel presente dipinto". Dans d'autres cartouches, entrelacées aux branches au premier plan ainsi que sur certaines de celles tenues tenues par les anges dansant, on lit : "Gloria in excelsis Deo" e "Pax hominibus", autant dire une citation de Luc (2:14). D'autres anges, tenant des couronnes d'or et des branches d'olivier, agitent des rubans célébrant Marie, Mère de Dieu, Épouse de Dieu, Unique Reine du Monde. Ceux qui sont devant la crèche enfin, nous annoncent la teneur de l'événement qui le met en joie, en citant encore Jean (1:29)
Quand on y regarde de près, tout est surprenant dans cette nativité d'un genre très personnel. D'abord la disposition globale, strictement symétrique, réglée comme un ballet à la chorégraphie enlevée et joyeuse. A gauche un ange vêtu de rouge accompagne les rois mages, tandis que celui de droite, en blanc, montre la crèche aux bergers. En bas de la composition trois groupes, composés chacun d'un ange et d'un personnage couronné de lauriers, se donnent un ardent baiser de paix. Au sol, surgissant de crevasses du terrain dans lesquels ils semblent vouloir retourner se cacher, cinq diablotins montrent toutes les traces d'une agitation et d'une peur intense, manifestement affolés par l'événement que célèbre la foule qui s'embrasse.
Enfin au-dessus de l'étable, portant les couleurs des vertus théologales (blanc pour la foi, rouge pour la charité et vert pour l'espérance) douze anges aériens brandissent des rameaux d'olivier, et dansent en faisant une ronde et en chantant un hymne de louange.
Enfin au-dessus de l'étable, portant les couleurs des vertus théologales (blanc pour la foi, rouge pour la charité et vert pour l'espérance) douze anges aériens brandissent des rameaux d'olivier, et dansent en faisant une ronde et en chantant un hymne de louange.
Ce qui fait l'originalité de la toile est qu'elle combine le thème, classique, de la naissance du Christ avec celui de sa seconde venue, son retour sur terre avant le Jugement Dernier**, tel qu'il est promis par le livre de la Révélation. On assistera alors à la complète réconciliation entre les hommes et Dieu, comme semblent l'annoncer les accolades chaleureuses du premier plan. La fraternité régnera et le mal sera vaincu, ainsi que le suggèrent les diablotins qui se réfugient dans les lézardes de la roche. Florence, marquée par les souvenirs encore vibrants d'événements tragiques, avait besoin de réconfort moral. Botticelli mit toute sa culture humaniste au service de ses commanditaires, en réalisant ce panneau riche en symboles et qui a donné lieu à moult interprétations savantes.
* L'inscription peut-être traduite
ainsi : "Moi Sandro ai fait ce tableau à la fin de l'an 1500 durant
les troubles dont est victime l'Italie, à la moitié du temps
après le temps accordé au onzième chapitre de Saint Jean
dans le second sceau de l'apocalypse après la disparition du diable
pendant trois ans avant qu'il ne soit enchaîné au douzième
chapitre [... ] comme nous le verrons dans ce tableau". Les mots manquants
peuvent être "comme il s'est enterre lui-même".
Ces années sombres peuvent être mises en relation avec l'invasion française, avec les agitations florentines survenues après la mort de Laurent le Magnifique (avril 1492), aux menaces diverses en provenance de Ravenna, Faenza, Rimini etc qui inquiétaient les florentins. "La moitié du temps après le temps" a ainsi été interprétée comme "comme un an et un demi-an" après que les français aient envahi l'Italie (1498) mais cela peut également
dire la moitié d'un millénaire (500 ans) après un millénaire
(1000 ans): 1500, la date du tableau. Comme la fin du millénaire en
l'an 1000, la fin du demi-millénaire, 1500 a aussi été pressentie par beaucoup comme l'annonce de la seconde venue du Christ prophétisée
par l'Apocalypse.
** On parle de Parousie
** On parle de Parousie
Bien sûr, Botticelli, comment ne pas le mettre à l'honneur en cette période et cette "Nativité que je ne connaissais pas ( bé oui, y a des lacunes )mérite qu'on la regarde avec attention et toi tu en parles avec beaucoup de finesse.
RépondreSupprimerBotticelli était ici incontournable en effet... même si sa nativite est inhabituelle
SupprimerUne nativité très savante que je découvre ici... que de messages et d'interprétations possibles, merci encore pour ce billet.
RépondreSupprimerBonne soirée
Josette
C'est loin d etre le botticelli le plus connu... trop savant sans doute. Pour un sujet qu on aime voir traiter de façon plus affective
SupprimerLe Ciné Club de Caën qui émet souvent des fiches très intéressantes suggère que le théme de cette oeuvre proviendrait des sermons de Savonarole ce qui expliquerait peut-être son côté inhabituel
RépondreSupprimerEn effet !!
SupprimerEt Joseph qui fait la tête, en tout cas qui "nous" tourne le dos ???
RépondreSupprimerMerci pour le lien Aloïs, je ne connaissais pas leur site !
Soit il dort et il est épuisé par toutes ces aventures, soit il n'a rien compris!! le pauvre ...
SupprimerComme d'habitude c'est un vrai régal de te lire et je prends mon temps. Je reviens plusieurs fois lorsque je ne comprends pas bien du premier coup.
RépondreSupprimeret la j'ai eu du mal pour les détails car je suis en pleine affection virale aux yeux ce qui m'empêche de trop fixer l'écran.
Je ressemble à un lapin russe atteint de myxomatose!
Pour Joseph je me suis fait la même réflexion et j'opte pour ta troisième solution.
Bisous et bonne soirée
Merci lapin de ton passage, malgré les yeux rouges !! Cela doit être drôlement difficile de regarder ce fichu écran, et j'espère que cela va bientôt passer... Quant à ce malheureux Joseph, on sent que manifestement les commanditaires n'ont pas donné d'instruction et que les peintres s'en accommodent selon leur propre vision des choses.
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