UNE FAMILLE RESPECTABLE

Je vais finir par croire que j'ai vraiment mauvais goût en matière de cinéma, car ces temps-ci je ne suis jamais d'accord avec les critiques. Ce qui vous vaut ce nouvel article, car il fallait vraiment que je défende ce film qui, non content d'être courageux et profondément intelligent, est, à mon goût, très talentueux.

Tourné avec sans doute peu de moyens (c'est un premier long métrage) par un documentariste rigoureux et pourtant pétri de culture classique, il déploie un humanisme et des accents de vérité vraiment saisissants. 

D'accord, l'histoire est touffue et il faut être très attentif, voire sur le qui-vive, pour décrypter les tenants et aboutissants de cette sombre histoire de famille, traitée comme un polar. Mais qui va nettement plus loin que la première impression, manifestement nécessaire pour avoir permis au réalisateur de dire, sans complaisance, ce qu'il avait à dire de la société iranienne d’aujourd’hui. Corruption, hypocrisie religieuse, désir de s'enrichir, manque de scrupules, récupération des martyrs de la guerre contre l'Irak à des fins peu avouables, proclamation permanente de l'existence d'un Etat de droit dont on se demande comment il s'accommode de toutes ces compromissions, la charge est téméraire et toujours équilibrée. On sent que

D'aucuns ont critiqué les couleurs, que je trouve parfaitement naturelles, le rythme, qui est calme et serein malgré la gravité du propos, les acteurs, que j'ai trouvés très justes. D'autres ont déploré les images d'archives qui casseraient l'histoire, alors qu'à mon sens, elles sont parfaitement dosées pour placer l'intrigue en perspective. Certains enfin déplorent un certain manichéisme, le héros posant sur les événements qui l'assaillent et les êtres qui le trompent un regard qui peut sembler naïf, mais qui est surtout celui de qui a beaucoup souffert et a appris à transcender ses blessures. 

Et puis il faut rappeler que le film doit se lire comme une fable des temps modernes. Le prénom du personnage principal, n'a pas été choisi par hasard : Arash est, dans la tradition orale irannienne, un archer  célèbre pour s'être sacrifié dans une guerre qui opposait les iraniens et, peut-être, les turanians. Les deux partis ayant décidé de faire la paix, ils parvinrent à un accord décidant que les limites de chaque territoire seraient définis  par un tir de flèche. Après que sa flèche ait voyagé de l'aube au coucher du soleil, ou parfois durant 40 jours, l'archer Arash est détruit par ce coup trop puissant et meurt pour avoir permis à l'Iran de voir repousser ses frontières.

Fortement marqué par les années de guerre Iran Irak, Massoud Bakhshi montre un héros hanté par la violence inutile de ces années de sang, et décrit avec beaucoup de sensibilité la fracture d'une cellule familiale, la perte des valeurs anciennes, l'omniprésence de la volonté de s'enrichir, le film dévoilant progressivement les secrets, les complots, les turpitudes de ceux qui ont peur du regard clair d'Arash. Car ce dernier, sans colère et sans rancoeur, n'a qu'une ambition : voir renaître son pays de cette confusion dont il a été le témoin et l'innocente victime. C'est un très beau moment d'humanité, décliné à la fois comme une légende, comme un conte moral, et aussi comme une intrigue policière. Si vous êtes prêts à rentrer dans le jeu, à tenter de comprendre ce qu'on nous cache avec obstination, pudeur ou honte, vous aimerez "Une famille respectable". Dont on a dit aussi que c'était un film "féministe", étrange que l'adjectif soit posé comme un reproche, alors que Bakhshi explique simplement "L’importance des femmes dans notre société est déterminante. Dans mon film, je tenais à le montrer sans dissimuler l’existence de ces femmes ni céder aux clichés qui peuvent circuler en Occident. Mon équipe a été frappée par le fait que toutes les femmes de mon film sont du côté du Bien et m’a dit que j’étais excessivement féministe. Mais c’est ainsi que je vois les Iraniennes".