mardi 15 janvier 2013

CARMEN ET CENDRILLON


C'étaient les fêtes de Noël, nous avions projeté une petite virée parisienne car Koka nous prêtait son appartement et Alter avait envie de voir, le croirez-vous, l'exposition Raphaël au Louvre. Quitte à passer un week-end dans la capitale saturée de touristes, nous avons décidé de nous offrir l'Opéra. La folie de l'année...

Carmen d'abord, pas une place à l'horizon, mais grâce à l'ingénieux et fort sécurisé système de "bourse aux places" mis en place par l'Opéra lui-même sur Internet, nous avons trouvé une petite bretonne, fort marrie de ne pouvoir assister au spectacle car elle allait se livrer aux réjouissances familiales de rigueur, qui nous a revendu ses billets. Sur la place de la Bastille, les gens battaient le pavé pour tenter de se procurer, coûte que coûte, des entrées de dernière minute. On se faisait apostropher tous les 5 mètres par des amateurs, visiblement désolés de nos réponses négatives. 


Pour autant, le spectacle nous a fort déçus. D'abord une direction très approximative, avec pas mal de décalages entre scène et fosse, et sans grande originalité : Philippe Jordan sert assez mal Bizet, lui ôtant toute fougue et affadissant la passion.
Ensuite des voix toutes petites, certaines assez sympathiques mais aucune n'ayant de véritable envergure. Carmen elle-même, injustement sifflée car elle ne méritait tout de même pas cela, manquait singulièrement de caractère et elle était presque fade. Il parait pourtant que Karine Deshayes, qui succède dans le rôle à Anna Caterina Antonacci, était meilleure que cette dernière, copieusement conspuée par la critique. Quant au Don José de Nikolai Shukoff, il était  toujours un peu limite, jamais à l'aise dans les aigus, donnant au personnage une sensibilité et une fragilité presque touchantes.


Enfin la mise en scène d'Yves Beaunesne, qu'Alter n'a pas détestée*, m'a, quant à moi, profondément ennuyée. Une espèce de sous-Almodovar sans grand intérêt. Carmen en blonde, pourquoi pas, sauf qu'elle n'avait pas la voix du rôle et que cela accentuait le fait qu'elle n'était pas crédible. Et puis, des tonnes de gens, des mouvements de foule parfois gratuits, une agitation qui distrayait trop de l'intrigue, tout cela m'a vite lassée. Il ne suffit pas de quelques figurants travestis habillés de couleurs criardes pour enflammer le public. Escamillo (Ludovic Tézier, convenable mais sans plus) évoquant un Elvis Presley bedonnant et fat, des choeurs allant et venant à bicyclette, des acrobates refaisant cent fois le même geste, des enfants jouant l'insouciance avec une raideur qui montrait le manque de charisme du metteur en scène, tout cela rendait le chef d'oeuvre de Bizet presque laborieux. Un comble pour cette partition qui reste l'une des plus passionnée du répertoire.


Comme musicien, je vous déclare que si vous supprimez l'adultère, le fanatisme, le crime, l'erreur, le surnaturel, il n'y a plus moyen d'écrire une note. Parbleu, l'art a bien sa philosophie ! mais il faut un peu écorcher le sens des mots pour le définir "Science de la Sagesse". C'est bien cela, excepté que c'est tout le contraire.... L'imagination vit de chimères, de visions. Vous me supprimez les chimères, bonsoir l'imagination ! Plus d'art ! La science partout !!
Lettre de Georges Bizet à Edmond Galabert en novembre 1868


Après cette déconvenue, j'étais quelque peu inquiète pour le Cenerentola de Rossini, mis en scène par Jean-pierre Ponnelle.Quoiqu'assez confiante sur le talent de ce dernier, je craignais une nouvelle déception. Mais ici, tout ou presque était parfait. La direction était un peu lente mais d'une exquise délicatesse, très respectueuse des chanteurs, des instrumentistes et de Rossini lui-même. Les voix manquaient parfois de cette agilité qui rappelle combien le maitre de Pesaro est un magicien des notes, mais elles servaient la musique avec une louable et agréable légèreté.


Le jeune russe Maxim Mironov n'a pas encore toute l'aisance qui sied à son rôle mais il était très vaillant tout de même, beau comme tout et finalement assez à l'aise. Mariana Pizzolato, dans le rôle titre, offrait de belles envolées, même si elle donnait l'impression d'être assez inégale, parfois un peu juste, parfois très en voix, comme si elle possédait certains airs mieux que d'autres. Nicola Alaimo était impayable, puissant, léger, drôle à souhait dans son rôle de Dandini très bouffe, tout rond et esquissant des entrechats parfaitement crédibles. Les deux méchantes sœurs (Claudia Galli en Clorinda et Anna Wall en Tisbe) remplissaient idéalement leur contrat. Enfin Bruno de Simone était l’archétype du beau-père indigne, drôle, facétieux, parfait dans son rôle et dans sa voix.


Dans la mise en scène de Ponnelle, l'immense Paolo Montarsolo, devant lequel Bruno de Simone n'a pas à rougir
 
Quant à la mise en scène de Ponnelle, qui date de 1968, elle n'a pas pris une ride et, sauf à vouloir faire "moderne" à tout crin, c'est une réussite totale. La maison de poupée dans laquelle les protagonistes évoluent permet des jeux de mise en scène qui ravissent le public et servent très bien Rossini. Les chœurs d'hommes sont excellemment orchestrés, naturels bien que cadrés au millimètre, ils rendent à la partition toute sa saveur. La pantomime sous l'orage (il semble que ce soit une vraie pluie !!) qui réunit 15 personnes et un chien sous le même parapluie est délicieuse. L'ensemble "Questo è un nodo avviluppato" durant lequel les solistes enchevêtrent lentement leurs mains pour former un immense entrelacs est une trouvaille géniale. Les inventions se multiplient à plaisir et on a l'impression que tous sont à l'aise dans cette mise en scène claire, drôle et pétillante.




Et pour finir, la plus grande Cenerentola de tous les temps, mais qui n'a pas joué dans la mise en scène de Ponnelle...




Que ne puis-je donner au lecteur l'esquisse la plus légère de l'effet que le délicieux bouffe Paccini, chargé du rôle de Dandini, produisait à Trieste ! .... et ce spectacle étonnant changeait tous les jours ; comment donner une idée de la foule infinie des mauvaises plaisanteries, des parodies des gestes de ses camarades, d'allusion à leurs petites aventures ou aux anecdotes de la journée dans Trieste, dont Paccini remplissait son jeu ?...
Il est clair qu'à Paris, (les plus mauvaises plaisanteries de Paccini) ne créeraient que l'indignation ou du dégoût, au lieu du rire général donc nous fûmes témoins à Trieste.... On dirait que le rire est prohibé en France. Sur quoi je demande : ce malheur doit-il se rencontrer dans toutes les civilisations avancées ? Un peuple doit-il nécessairement passer, en se civilisant, par un tel excès de vanité ?
Stendhal


* En fait, il a tenté de positiver, que voulez-vous, quand on "s'offre" une soirée à l'Opéra, on n'a pas envie qu'elle soit ratée, alors on essaie de trouver bien ce qui ne l'est guère !

Carmen est terminée au moment où j'écris ces lignes, par contre Cenerentola reprend avec une distribution différente mais avec la même mise en scène en février-mars

10 commentaires:

  1. Est-ce que je me trompe, en lisant ces dernières lignes stendhaliennes comme une espèce d'arme à double tranchant, sinon carrement comme une enième preuve du fait que monsieur le consul de France n'aimait pas la ville de Trieste (à civilisation pas suffisamment avancée, évidemment...) ?
    Avec en plus ce barbare vent de "Borra" auquel il ajoutait un "r", pour se venger peut-etre du fait qu'il arrivait au point de lui donner son rhumatisme jusque dans les entrailles ! A sa décharge, faut dire quand meme que la police autrichienne ne lui rendait pas la vie facile...
    Mais voilà que j'ai ici l'occasion de lancer ma toute petite revanche-vengeance, dans l'autre sens c'est à dire de Trieste vers la France, et ça vient... directement de mes entrailles : je n'aime pas Carmen. Ahhh !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Donc, j'ai au moins un compagnon, et prestigieux, dans la guerre aux "doppie", prêt à crier avec moi "Li mortacci alle doppie" !!
      J'ai même retrouvé cette mention de l'abominable "borra", accompagnée tout de même de quelques remarques point trop désagréables sur Trieste :
      "Il y a doubles vitres partout ici, à cause de l'abominable borra qui me donne de l'humeur ce soir. Toutes les rues sont la Via Larga de Florence; il n'y a ni volets, ni persiennes; tout le monde a une veilleuse à ce qu'il paraît; cela se met entre les deux vitres de façon que la nuit, dès dix heures, la ville a l'air illuminée. Trottoirs partout séparés de la rue par de petites colonnes. Mer et collines magnifiques. Les premiers jours du printemps rendent cette ville charmante"(dans une Lettre au baron de Mareste du 12 décembre 1830. Correspondance de Stendhal, édition Paupe et Chéramy, Paris, 1908, tome III, n° 498, p. 2.)
      Dans une autre lettre : "Il fait borra deux fois la semaine et grand vent cinq fois. J'appelle grand vent quand l'on est constamment occupé à tenir son chapeau, et borra quand on a peur de se casser le bras. J'ai été transporté l'autre jour pendant quatre pas. Un homme sage, l'an dernier, se trouvant à un bout de cette ville, toute petite, a couché à l'auberge, n'osant pas, à cause de la borra, rentrer chez lui. Il y a eu, en 1830, vingt jambes cassées. Je m'en moquerais, absolument, vu la bravoure que j'ai montrée contre les voleurs de Catalogne, mais Monsieur, le vent me donne mes rhumatismes dans les entrailles" (28 janvier 1831. Correspondance, tome III, n° 506, p. 14.)... Pas de doute, il n'aimait pas Trieste, n'avait qu'une envie, en partir et y trouvait tout à redire ! Mais je pense que son mépris pour Trieste n'est pas uniquement dû à une "civilisation pas assez avancée", plutôt tout un faisceau de circonstances qui le rendaient incapable de profiter de son séjour triestin. Comme tu le dis très bien d'ailleurs !!
      Ceci étant, Siù, je te rassure, tout le monde ne porte pas Stendhal aux nues chez nous, témoin Victor Hugo qui disait de lui à Rochefort à propos du Rouge... : « chaque fois que je tente de déchiffrer une phrase de votre ouvrage de predilection , c’est comme si on m’arrachait une dent… Stendhal ne s’est jamais douté un seul instant de ce que c’était que d’écrire. » Pas très objectif le petit père Hugo dans ses jugements !!!
      Quant à Carmen, saperlotte, tu as tout à fait le droit de détester, c'est très "marqué" comme type de musique, mais il faut bien avouer que c'est un des opéras les plus populaires, et je t'assure qu'à l'Opéra on se battait vraiment pour avoir des places, la salle étant complète depuis des lustres ! J'avoue quant à moi, que j'aime toujours le réentendre !!! Même s'il me faut bien reconnaitre qu'il est bourré de facilités (ou qui semblent telles), il y a des passages vraiment réussis !

      Supprimer
    2. Oui, je crois que tu as bien identifié la raison qui ne ma fait pas aimer Carmen : c'est très "marqué". Mais si un jour je l'écoutais tout entier avec attention j'imagine que je saurais bien y trouver maints passages plus que réussis.
      Et comme je me sens d'humeur à faire des aveux j'ajoute -sans aucune honte meme !- que je déteste aussi "Eine kleine Nachtmusik" et le Bolero de Ravel.
      Dernier aveu (et puis je vais creuser le plus profond des trous pour m'y cacher dedans) : j'ignore qu'est-ce que "saperlotte" signifie.

      Supprimer
    3. Saperlotte c'est "sapristi" ou sacrebleu... et vers le milieu du 19ème siècle saperlotte a été allongé en saperlipopette... donc c'est un mot un peu désuet !!

      Supprimer
  2. Merci Michelaise, je suis restée un long moment devant ton billet chantant, j'ai croisé les bras et j'ai écouté...

    Un régal !

    Il faut que je le dise, blonde ou brune j'aime Carmen...

    Grosses bises du matin à toi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bon, les avis sont donc partagés, on aime, ou on n'aime pas, normal !! Ravie que tu aimes aussi !!

      Supprimer
  3. La plus grande Cenerentola ne chante plus le Non più mesta tout à fait comme cela, mais ça fait toujours plaisir de revoir Cecilia! Pour le reste, tu as tout dit sur cette Carmen, c'était un spectacle assez lamentable, mais l'Opéra de Paris a connu, il y a quelques années, des Carmen bien plus épouvantables que celle de Beaunesne, avec des mises en scène largement plus vulgaire. Antonacci, je te l'accorde, était absente du drame, mais la faute à la direction d'acteurs, car elle était bien plus investie et bien plus crédible (va voir sur Youtube la séguédille avec Jonas, elle a tout son corps qui ruisselle) dans la production de l'Opéra Comique il y a 3 ans! Quant à la Cenerentola de Garnier, vue l'an dernier, je dois avouer que ce spectacle m'avait plutôt laissé de marbre (surtout après avoir vu, comme tu dis, la Cendrillon du siècle...)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout est donc très relatif !! J'avoue que j'ai entendu des Cenerentola bien meilleures vocalement (dans des années fort lointaines, et à Pesaro, plus tard à Aix, voire même à Bordeaux) mais après le calamiteux Carmen, c'était reposant de voir des chanteurs qui n'avaient pas l'air de ne pas pouvoir piauler !!! Et la mise en scène était absolument charmante et tirée au cordeau....
      Quant à imaginer des Carmen plus vulgaires, je n'en doute point, c'est un opéra qui engendre ce genre de risque !

      Supprimer
  4. Derrière ces connaisseurs, j'avancerai seulement un très beau souvenir d'une Carmen interprétée par Nathalie d'Oustrac qui m'avait enthousiasmée ! Elle dominait son rôle à merveille !
    Quant à la Cenerentola que je n'ai jamais vue, tes extraits sur You-Tube sont assez "parlants" pour donner envie d'y courir...
    En Italie, en pleine campagne j'ai le souvenir d'un Rigoletto qui était accompagné par tout le public, une vraie fête de l'opéra populaire dans un sens noble !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, les italiens n'hésitent pas à reprendre, plus ou moins discrètement, les airs connus en même temps que les solistes ! cela rend les opéras là-bas fort sympathiques, même si cela fait hurler les puristes ! un des seuls endroits où l'on bisse des airs pendant le spectacle ...
      Tu as raison pour Carmen, faut que la cantatrice domine son rôle.
      Quant au(x) spécialiste(s), le seul qui puisse avoir droit au titre c'est GF, moi tu sais, je suis une petite "amatrice" du fin fond de la province qui n'a pas l'occasion bien souvent de se frotter aux "grands" interprètes !!! Juste passionnée et... en vieillissant, de plus en plus difficile !! Sacrebleu !!!

      Supprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...